La première école du cirque a été fondée dans les territoires palestiniens en 2008. Cette expérience unique qui s’adresse aux jeunes a introduit l'art du cirque dans un pays qui ne le connaissait pas. Aujourd'hui, des centaines de garçons et de filles fréquentent ces cours. Venez découvrir un art qui ne connaît pas de frontières et qui permet partager ses rêves.
(Hébron, Cisjordanie) – Février 2013, un samedi après-midi. La salle est pleine d’enfants et les cinq acteurs sur scène les font rire par leurs cascades et leurs sauts périlleux. L’École palestinienne de cirque fait un arrêt dans la ville d’Hébron pour présenter son spectacle Kol Saber ! Un mois et demi après la mort de Mohammed Zaid Salayam Awwad.
Mohammed avait 17 ans et était l’un des élèves de l’école de cirque. Le 12 décembre, jour de son anniversaire, il est parti acheter un gâteau pour le repas de fête avec sa famille. Il a été frappé d’une balle tirée par une soldate israélienne, près du check-point de la mosquée d’Abraham qui divise la ville d’Hébron en deux zones : H1 et H2, la première est sous contrôle civil et militaire israélien et la seconde sous contrôle palestinien.
Mohammed était près du check-point quand il s’est disputé avec les soldats: selon l’armée israélienne, il avait en main un faux pistolet qui a effrayé les soldats. Selon certains témoins, le jeune garçon défendait un enfant.
Parmi les acrobates d’Hébron, enfants et jeunes, qui étaient au cirque le 2 février, beaucoup étaient des camarades de Mohammed. « Quand il a été tué, nous étions en tournée en Belgique », rapporte Shadi Zmorrod, fondateur et directeur de l’École palestinienne de cirque. « Ce fut un choc pour nous: Mohammed était un garçon plein d’entrain et très amusant. Nous irons rendre visite à sa famille. L’école n’a jamais cessé, les cours se poursuivent à Hébron en mémoire de Mohammed. »
En Palestine, il est difficile d’oublier l’occupation militaire. La question s’impose brutalement, même lorsque l’on fait des acrobaties ou que l’on jongle avec des cerceaux et des massues. « Le titre de notre spectacle, Kol Saber! signifie «Mangez le cactus !», c’est à dire, « avalez votre impatience» . Le spectacle, en tournée partout en Palestine et en Europe, parle de la relation entre l’opprimé et l’oppresseur, de la façon dont les gens agissent et se transforment quand ils sont en position de force » explique Fadi Zmorrod, l’un des acteurs.
Fadi a 32 ans, il vit à Jérusalem. Il a été acteur et professeur à l’école de cirque pendant huit ans. Il a commencé presque par hasard, curieux de connaître le projet mis en place par son frère, Shadi: «Avant, je pouvais exprimer ma créativité uniquement par la peinture. Maintenant, en tant qu’acteur, c’est beaucoup plus facile. Sur scène, je change sans arrêt : je mûrir et je grandis. C’est grâce à l’interaction permanente entre le public et mes compagnons. L’idée de la Palestine change aussi en permanence, tout comme la perception de la terre, de la patrie.»
Shadi se prépare pour le spectacle, il va monter sur scène dans quelques minutes. Ce jeune garçon souriant, aux yeux bleus et au corps d’athlète, nous parle en italien, langue apprise durant les deux années qu’il a passées à l’école de cirque de Turin. «Le message que nous voulons faire passer par ce spectacle, c’est le poids de l’oppression dans la vie des gens, les conséquences du pouvoir. Cela se produit partout dans le monde. C’est un message qui peut être appliqué à n’importe quelle situation.»
Sur scène, l’attention des acteurs et du public est attirée par deux vestes: l’une en or représente le rêve, l’autre noire avec des bandes sur les épaules représente le pouvoir. Les cinq acteurs sautent, courent, grimpent sur la corde raide: ils font tout pour mettre la main sur la veste de l’autorité. Le vêtement doré les unit, les rapproche physiquement et mentalement, car il est le signe avant-coureur d’un rêve commun. Le noir ne parvient pas à les attirer, ils créent des distances et des rôles hiérarchiques.
«L’idée de Kol Saber! est née de nos expériences communes», explique Fadi. «Chacun d’entre nous a livré son idée personnelle de l’autorité ; une idée qui, dans la discussion, est devenue commune et collective. Dans le spectacle, nous ne parlons jamais, sauf à la fin. Les mots réduisent le message, qui est absolu. En utilisant uniquement le corps, nous laissons au public (et avant eux aux acteurs) la possibilité d’utiliser leur imagination, d’interpréter le message pour qu’il devienne le leur. Le spectacle change en fonction du public : enfants ou adultes, palestiniennes ou étrangers».
Depuis huit ans, l’école de cirque palestinienne a poursuivi l’objectif de stimuler les imaginations. C’est au mois d’août 2006 que Shadi Zmorrod et une poignée d’autres rêveurs ont fondé la première école de cirque en Palestine, loin de les arts traditionnels arabes : «Je faisais du théâtre depuis l’âge de 12 ans, à Jérusalem. Mais au cours de la deuxième Intifada, je suis parti. Je n’avais pas ce qu’il fallait pour partager mon art avec des acteurs israéliens. Puis quelque chose a changé, je suis allé en Belgique, où j’ai travaillé avec des artistes du cirque des quatre coins du monde. J’ai alors réalisé que l’art a le mérite de rassembler les peuples et d’effacer les différences. Je suis revenue en Palestine et j’ai ouvert l’École du cirque.»
Le centre principal est à Birzeit : là-bas, l’art du cirque est enseigné selon trois niveaux différents, débutant au professionnel. Puis il y a les Clubs de Cirque, des leçons hebdomadaires dans différentes villes de Cisjordanie : Ramallah, Hébron, Jénine et dans le camp de réfugiés d’Al Farah. Cent soixante-dix-huit élèves y participent : 96 hommes et 82 femmes, âgés de 10 à 27 ans. Ils apprennent l’art de la jonglerie, des acrobaties, la gymnastique aérienne, les échasses, mais aussi le théâtre.
«J’ai commencé à étudier les arts du cirque en mars 2008 » témoigne Noor Fawaz Abou Al Rob, âgé de 21 ans, habitant à Jénine. « À l’époque je n’avais aucune idée de ce qu’était le cirque. J’ai découvert qu’il ne se limite pas à un type particulier de sport ou à un art, mais qu’il s’ouvre à toutes les cultures. C’est la seule chose que je veux faire : mon rêve était de devenir un enseignant et j’ai réussi.»
En quelques années, l’École palestinienne du cirque s’est fermement établie : spectacles dans les théâtres, dans la rue ou lors de festivals palestiniens. L’École a également fait des tournées en Europe, de nombreuses fois en Belgique et en France.
La dimension artistique et éducative du cirque est de combattre l’injustice, l’occupation, l’oppression physique et mentale dans lesquelles les enfants et les adultes sont contraints de vivre, constamment soumis à des humiliations et donc à la colère et à la frustration. «Nous avons un double objectif», explique Shadi, le directeur. «Au niveau local tout d’abord : la société palestinienne accuse souvent l’occupation israélienne de tous les types de tares et de restrictions. Cela est certainement vrai, mais nous devons apprendre à travailler sur nous-mêmes, sur notre culture, pour la modifier et l’améliorer, en particulier dans les relations entre les sexes. C’est pourquoi les enfants sont notre principal souci: ils sont les futurs dirigeants de la Palestine. Une fois adultes, ils resteront influencés par les expériences négatives vécues lorsqu’ils étaient enfants. Nous devons leur donner des expériences positives.»
«Au niveau international, notre objectif est d’ouvrir les portes de la Palestine à ceux qui ne la connaissent pas ou qui en restent aux clichées, aux stéréotypes. Le monde entier nous regarde, mais il ne nous connaît pas. Grâce au cirque, nous leur montrons notre vrai visage.» Un visage créatif, profond, original et avenant. Comme seul le cirque peut l’offrir.