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Ami Ayalon : sans État palestinien pas de démocratie juive

Marie-Armelle Beaulieu
30 mai 2013
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Ami Ayalon : sans État palestinien pas de démocratie juive
Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Beth ©Nir Maor/Musée de la Marine

Ami Ayalon est un des six anciens directeurs de l’Agence de contre-espionnage israélien à avoir participé au documentaire The Gatekeepers. “La Terre Sainte” l’a rencontré et revient avec lui sur les propos qu’il a tenus.


Dans le documentaire vous stigmatisez l’absence de stratégie chez les dirigeants israéliens. Que voulez-vous dire ?

Si j’ai participé à ce film c’est pour influencer le débat public israélien avec un message : nous n’avons aucune stratégie, nous ne conduisons pas les affaires d’État qui feront d’Israël une démocratie juive.

Le documentaire de Dror vous a donné l’occasion de vous exprimer ?

Je parle depuis que j’ai quitté le Shin Beth au printemps 2000. Je tente de faire passer ce message partout, en Israël, en Europe, en Amérique. Ce qui est formidable avec ce film : c’est qu’aucun d’entre nous ne dit quelque chose de nouveau. Tous ces 20, 15, 10 dernières années nous disions la même chose.

Vous venez tous d’horizons différents, pourtant vous avez tous les mêmes conclusions. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne suis pas sûr d’avoir la bonne explication mais diriger le Shin Beth vous fait voir le conflit sous un angle différent. Vous comprenez que vous avez affaire à des êtres humains. Et pas seulement à des organisations ou des armes. Quand vous rencontrez (les Palestiniens), lorsque vous les interrogez, ce sont encore des êtres humains. Et surtout, quand ils souffrent de nos actions, ce sont des êtres humains.

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Pour ma part, c’est seulement lors de la première Intifada, que j’ai pris conscience du conflit dans lequel nous vivons. Je fais partie d’une génération qui croyait avoir libéré la Judée et la Samarie. C’est là qu’est né le judaïsme. C’est ce vous apprenez, enfant, dans les récits bibliques et quand vos parents ont quitté l’Europe avant l’holocauste, afin de construire un foyer sûr pour le peuple juif. L’idée c’est que nous allions construire un État dont les frontières seraient partout où nous pourrions nous implanter, travailler la terre et nous défendre.

Ce n’est qu’au cours de la première Intifada que j’ai réalisé que si nous avons libéré la terre, nous avons aussi vaincu et contraint à l’occupation des personnes. Il y a un antagonisme entre libérer des terres et occuper des populations. Si nous voulons donner un avenir à Israël en tant que démocratie nous devons nous retirer (de la Judée-Samarie).

« Les troubles et la violence en Palestine dureront aussi longtemps que nous occuperons les populations et la société palestiniennes. »

Ce message est d’autant plus fort que durant des années vous avez combattu le terrorisme palestinien…

Certes nous voyons la violence palestinienne, la terreur semée par des Palestiniens. Mais nous voyons aussi que les Palestiniens souffrent, nous le voyons de plus près que n’importe quel autre Israélien. C’est probablement une explication.

Ces dernières semaines, la Cisjordanie gronde, pensez-vous que nous sommes au début d’une troisième intifada ?

Je n’en ai aucune idée. De fait nous constatons des vagues de violence comme celles que nous avons connues au cours de la première et de la deuxième Intifada. Les troubles et la violence en Palestine dureront aussi longtemps que nous occuperons les populations et la société palestiniennes. Nous devons comprendre leur aspiration à la liberté.

Nous pouvons nous convaincre qu’il n’y a pas de peuple palestinien. Mais ce n’est pas à nous d’en décider. Peu importe qu’ils se tiennent pour un peuple depuis 2000 ou 5 000 ans, comme nous le faisions, ou que cela fasse 50 ou 100 ans. Ce qui compte c’est ce qu’ils éprouvent aujourd’hui ! Et tant qu’ils vivront sous la pression économique et tant qu’ils auront à souffrir l’humiliation, nous ne pouvons pas nous attendre à autre chose.

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Nous pourrions assister à une vague de violence, à un nouveau soulèvement populaire ou pire encore à une sorte de djihad mondial. Que sais-je ? En tous les cas, selon moi, cette violence n’est pas le pire scénario. J’ai fait partie des Services de Sécurité d’Israël pendant près de 40 ans : le pire scénario c’est le statu quo.

Le pire scénario est que, quand bien même il n’y aurait pas de violence durant 10, 20 ou 40 ans, si dès aujourd’hui, nous ne voyons pas se dessiner un État (palestinien) alors il n’y aura pas de démocratie. Il n’y aura pas de foyer national sûr pour le peuple juif. Je ne peux pas imaginer ou décrire ce que ce sera mais ce ne sera pas une démocratie juive.

Fiche d’identité

Ami Ayalon, homme politique israélien né le 27 juin 1945. Ancien commandant de la flotte militaire il a été directeur du Shin Beth, le Service de Renseignement israélien de 1996 à 2000. Dans la vie civile, il promeut l’initiative de paix “la voix des peuples” avec l’universitaire palestinien Sari Nusseibeh. Cette initiative propose deux États (chacun ayant Jérusalem pour capitale), le retrait israélien des Territoires occupés, et le retour des réfugiés limité aux Territoires occupés.

 

Remerciements : Cette interview a été rendue possible grâce au correspondant de France Info, Grégory Philipps.

Dernière mise à jour: 09/02/2024 18:03