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Sammak: L’islam a le dos au mur: réagissons à la violence

Manuela Borraccino
8 octobre 2013
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Sammak: L’islam a le dos au mur: réagissons à la violence
Mohammed Sammak

«L’islam est de plus en plus montré du doigt dans le monde entier, les gouvernements des pays à majorité musulmane doivent passer des paroles aux actes » contre l’extrémisme. Mohammed Sammak, l’un des représentants les plus influents de l’islam sunnite, admet se sentir «sous accusation» pour la foi qu’il professe, pendant que les massacres de chrétiens par les musulmans sont en augmentation.


(Rome) – Il ne suffit plus de « condamner les attaques contre les chrétiens » : «L’islam est de plus en plus montré du doigt dans le monde entier, il est dans notre intérêt que les gouvernements des pays à majorité musulmane passent des paroles aux actes » contre l’extrémisme. Mohammed Sammak, un de représentants les plus influents au monde de l’islam sunnite admet se sentir « de plus en plus sous accusation » pour le nom-même qu’il porte et pour la foi qu’il professe, pendant que les massacres de chrétiens de la part des musulmans augmentent dans de nombreux pays, du Nigeria au Pakistan en passant par les agressions féroces en Égypte et en Syrie.

Invité par la Communauté de Sant’Egidio lors de la rencontre internationale pour la paix intitulée Le courage de l’espoir, Mohammed Sammak – secrétaire général du Comité pour le dialogue islamo-chrétien, du comité exécutif pour le groupe arabe islamo-chrétien et pour le Sommet spirituel islamiste – reconnaît que « l’islam est montré du doigt dans le monde entier à cause de la violence». « L’heure n’est plus à la parole, mais aux actions, nous sommes tous en danger », déclare-t-il à Terrasanta.net.

 

Docteur Sammak, ces deux dernières semaines de nouvelles grosses vagues de terrorisme ont été enregistrées à Peshawar, au Pakistan, contre deux églises chrétiennes, à Nairobi, faisant des dizaines de victimes, en plus de menaces quotidiennes contre les chrétiens d’Égypte et de Syrie… Comment considérer ces attentats d’inspiration islamiste?

Je ne parlerais pas d’islamisme, mais de massacres commis au nom de l’islam. Ces terroristes se réclament de l’islam, mais leur présupposée croyance est bien différente de la foi islamique authentique. Ce dont les musulmans devraient se rendre compte, c’est que ceci est dangereux pour l’islam comme pour les musulmans, mais aussi pour la cohabitation entre chrétiens et musulmans du monde entier. Défendre l’islam aujourd’hui signifie prendre une position forte contre l’extrémisme : c’est absolument nécessaire. Il ne s’agit pas seulement de se montrer solidaires avec les chrétiens attaqués, malheureusement pas qu’au Moyen Orient. Il ne suffit plus de dire « Nous condamnons… ». Nous devons absolument faire quelque chose pour le salut de l’islam et du christianisme, et pour les relations islamo-chrétiennes. Il est urgent pour les musulmans de respecter ce que dit le Coran au sujet des croyants des autres religions, en particulier des gens du Livre, juifs et chrétiens, et de se conformer aux paroles du Prophète quant au respect des autres. Et quelque chose doit être fait collectivement pour nous défendre en tant que musulmans : par l’Organisation des pays islamiques ou d’autres institutions. Et nous devons le faire maintenant. Le temps est venu.

 

Qu’y a-t-il de changé par rapport au passé récent ?

Je pense qu’il y a eu trop de dégâts, la souffrance causée par la violence n’est plus tolérable. Nous avons passé des années à dire que les terroristes étaient une minorité déviante qui ne représentait pas l’islam, mais aujourd’hui nous ne pouvons plus attendre pour réagir : les chrétiens sont devenus des cibles faciles pour les extrémistes, et ceci est extrêmement dangereux pour l’avenir de la région. C’est dangereux pour les musulmans eux-mêmes, parce qu’avec les chrétiens, ils sont dans le même bateau contre la violence de l’extrémisme. Nous devons agir ensemble, car cet extrémisme est notre ennemi commun.

 

Que suggérez-vous aux institutions dont vous êtes membre ?

Tous sont d’accord sur le principe, le plus difficile est de savoir comment poser des bases. Certes, beaucoup peut être fait par l’éducation, l’école, les médias de masse. Mais nous sommes conscients que cela prend du temps, et le temps n’est pas de notre côté. Un tiers de la population du monde arabe est analphabète. Selon les rapports de l’UNESCO, un citoyen américain lit en moyenne 11 livres par an, un européen 9, un arabe lit environ une fois tous les quatre ans. Chaque année, le monde arabe investit un demi-milliard de dollars au total pour la recherche scientifique, et deux milliards de dollars par an pour les produits cosmétiques. Ce sont des données que nous devons garder à l’esprit pour comprendre que cette situation est de plus en plus difficile et incendiaire, et pas seulement au Moyen-Orient. C’est pourquoi je pense qu’il est temps que les gouvernements agissent, au moins ceux qui ont le pouvoir de le faire, car comme tout le monde le sait, de nombreux gouvernements du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’autres pays à majorité musulmane – comme le Pakistan – sont quasiment paralysés. C’est notre grand problème. La prise de conscience d’une nécessité de réagir avec force contre la propagation de la violence est de plus en plus forte, mais traduire ces intentions dans la réalité s’avère beaucoup plus difficile.

 

Au début des émeutes arabes, on parlait, peut-être un peu trop hâtivement, d’une défaite de l’islam politique. Comment interprétez-vous la montée de l’islamisme radical en Afrique du Nord?

Les émeutes sont l’expression d’une recherche de meilleures conditions de vie, de bien-être, de dignité et de développement : malheureusement, nous avons vu l’extrémisme religieux s’approprier ces soulèvements en Égypte, en Syrie, en Libye … Aujourd’hui, la crainte dominante, et pas seulement parmi les chrétiens, serait de passer d’un despotisme politique à un despotisme religieux, la pire des tyrannies. Les sociétés arabes sont des sociétés historiquement pluralistes, par les religions, les cultures, les langues, et nous assistons aujourd’hui à une tentative de suppression de l’autre. Il suffit de regarder ce qui se passe avec Boko Haram au Nigeria, mais aussi au Pakistan et en Somalie … Cette destruction de la culture du vivre ensemble met les musulmans et les chrétiens dans la même tranchée : l’extrémisme affectera demain les musulmans qui eux-mêmes sont en faveur du pluralisme. Aujourd’hui, elle s’attaque aux chrétiens. Ce n’est que si la présence des chrétiens est préservée que nous pourrons voir les fruits du Printemps arabe.

 

Que pensez-vous du coup d’État qui a déposé le président Mohammed Morsi en Égypte ?

Personnellement, je suis favorable à la démocratie, mais il est évident que le comportement adopté pat Mohammed Morsi et les Frères Musulmans une fois arrivés au pouvoir fut antidémocratique. Les égyptiens cherchaient avant tout la dignité humaine, la possibilité de pouvoir travailler et d’étudier, ils voulaient du développement, une vie meilleure… mais nous n’avons vu que l’accaparation du pouvoir et l’exclusion de tous les éléments du peuple égyptien du processus de démocratisation en cours. Ce fut une erreur fatale, et mon sentiment est que les égyptiens sont en train de payer très cher cette erreur.

 

Beaucoup se demandent à quoi servent ces rassemblements interreligieux comme celui qui a eu lieu à Rome ces derniers jours, puisque sur le terrain il n’y a que peu ou pas de changements. Vous sentez-vous mis en accusation en tant que représentant de l’islam sunnite?

Franchement, je me sens déjà mis en accusation pour le nom que je porte… Je me sens souvent mis en accusation, ou dans le meilleur des cas, je me sens jugé, simplement parce que je porte ce nom. Mais en même temps je profite de cette circonstance pour être aussi fidèle que possible à l’héritage religieux islamique : j’essaie de me rappeler que défendre ma religion, c’est défendre en quelque sorte le nom que je porte, c’est d’abord témoigner du véritable islam, l’islam le plus authentique. Je pense que le chemin est encore long, et nous devons aller de l’avant.