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Rawabi la cité futuriste voit le jour

Mélinée Le Priol
9 avril 2015
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Rawabi la cité futuriste voit le jour
Rawabi sortant de terre, vue depuis le Visitor Center ©Shira Wilwil

Rawabi ne ressemble pas vraiment aux habituelles bourgades de Palestine. Destinée à la classe moyenne éduquée fuyant les centres-villes engorgés de Cisjordanie, cette cité futuriste est sortie de terre à quelques kilomètres au nord de Ramallah, sur la route de Naplouse. Imaginé par Bachar al-Masri, milliardaire palestino-américain, le projet est financé au 2/3 par le Qatar ce qui ne fait pas que des heureux.


D’une démarche langoureuse, un matou aux reflets dorés se faufile entre les immeubles encore en construction et les engins de chantier. Comment est-il arrivé là ? Nul ne le sait, mais c’est sans doute le tout premier chat de Rawabi. D’ici deux mois, la vie lui devrait être plus douce, puisque les premiers habitants emménageront dans la ville nouvelle: qui sait, certains lui offriront peut-être le toit et le couvert ?

A quoi ressemble Rawabi ? Voyons voir… Prenez une ville palestinienne classique. Maintenant, élevez les maisons pour en faire des immeubles élancés d’une dizaine d’étages. La teinte des pierres, elle, reste de la même : un jaune pâle habitué à dorer au soleil moyen-oriental. Désencombrez les toits des antennes et bidons noirs qui font la spécificité paysagère des villes de Cisjordanie ; balayez le tout pour ne garder que des panneaux solaires savamment ordonnés. Congédiez les vendeurs de bonbons et les boutiques de téléphones du rez-de-chaussée des immeubles, et rassemblez ces commerces de proximité dans une galerie marchande couverte. Enfin, remplacez les voitures poussiéreuses et les vieux taxis jaunes par des bus électriques dernier cri et un paisible centre piétonnier.

Vous y êtes. Vous l’aurez compris, Rawabi ne ressemble pas vraiment à la Palestine. Destinée à la classe moyenne éduquée fuyant les centres-villes engorgés de Cisjordanie, cette cité futuriste est sortie de terre à quelques kilomètres au nord de Ramallah, sur la route de Naplouse. Les excavations avaient commencé en 2010, la construction l’année suivante. Aujourd’hui, quatre des 23 quartiers sont déjà construits. Pour ces immeubles, les ouvriers en sont aux finitions : ils terminent d’aménager ces appartements modernes et fonctionnels, qui devraient accueillir à partir du mois de juin leurs 650 premiers propriétaires. A terme, la ville de Rawabi ambitionne d’abriter 40 000 personnes.

Présenté pour la première fois en 2008, ce titanesque projet immobilier se veut le laboratoire du futur Etat palestinien. Il a été imaginé par Bachar al-Masri, milliardaire palestino-américain qui a fait fortune dans l’immobilier, les communications, et les nouvelles technologies. « Rawabi, c’est une manière de montrer au monde que les Palestiniens ne cherchent pas tant à détruire qu’à construire », soutient l’homme d’affaires, qui déplore que son peuple soit perpétuellement assimilé au terrorisme. Il ajoute, prudent : « J’ai conscience que cette ville ne va pas apporter la paix pour autant. Elle ne pourra advenir que quand nos deux peuples se seront mis d’accord. »

Avalisé par les autorités israéliennes, le chantier se déroule, depuis cinq ans, au rythme de l’occupation. Rien n’est simple, tout doit être négocié, anticipé, calculé. Les matériaux de construction sont stockés ici en quantités supérieures aux besoins pour éviter que de mauvaises surprises : et si l’on ne parvenait pas, un jour, à faire passer un camion par un check-point ? Et jusqu’au mois dernier, les développeurs du projet étaient dans l’incertitude quant à l’approvisionnement en eau. Israël a finalement donné son accord pour qu’une pipeline passe sur son territoire, et l’eau devrait arriver d’ici la fin mai.

Il faut dire que si 90% des 6,3 km² de Rawabi se trouvent en zone A (sous contrôle total palestinien), les 10% restants se situent en zones B et C (sous contrôle partiel et total d’Israël). Pour ces portions de territoires, notamment 2,8 km de la route qui mène à la ville nouvelle, une autorisation de l’Etat hébreu est nécessaire, et doit être renouvelée chaque année. Autrement dit, le passage vers la ville modèle pourrait être coupé à tout moment… Ajoutons que sur la colline qui fait face à celle de Rawabi s’étend une colonie juive, Ateret, qui abrite 300 habitants juifs.

« Maintenant que ce problème d’eau est réglé, je n’ai plus aucun doute : Rawabi va perdurer, assure Bachar al-Masri d’un ton confiant. Nous ferons peut-être faillite, mais le projet vivra de lui-même, car il est bien lancé désormais. » Faillite ? Oui, car l’Autorité palestinienne, étranglée financièrement, n’y a apporté aucune contribution financière, pas même pour la construction des routes et des trois écoles déjà bâties. L’investisseur principalde ce projet de 345 millions d’euros, c’est le Qatar, qui le finance aux deux tiers. En l’honneur de ce partenaire essentiel, l’une des cinq entrées du centre-ville portera le nom de sa capitale : porte de Doha.

En faisant appel pour son chantier à des experts et sous-traitants israéliens, Bachar al-Masri s’est attiré les foudres de nombreux Palestiniens, qui déplorent également l’allure générale de la ville: ils trouvent qu’elle ressemble à une colonie juive…

L’entrepreneur rétorque qu’il a pourtant tout fait pour éviterune telle ressemblance : « Contrairement à une colonie, dont les quartiers sont monotones car tous les immeubles identiques, nous avons construit des bâtiments de formes et de tailles différentes, se défend-il. Et puis, les pierres de Rawabi sont jaunes, quand celles des colonies sont blanches. En revanche, quand on m’a dit de ne pas construire en haut d’une colline, j’ai refusé, et tant pis pour les ressemblances : on ne va quand même pas construire dans la vallée pour laisser le haut des collines aux colons ! »

Autre critique souvent adressée à ce projet : cette ville sera une enclave pour les riches Palestiniens et fera ainsi l’affaire des Israéliens, qui n’auront pas à se soucier de leur sécurité dans cette zone. « Rawabi, c’est la Palestine, et ses habitants seront des Palestiniens comme les autres, réplique aussitôt Bachar al-Masri. Ce n’est pas parce qu’ils auront un cadre de vie agréable qu’ils seront moins radicaux ou cesseront de se battre pour leurs droits. » Il ajoute que certains Israéliens sont favorables à la création d’un Etat palestinien et l’espèrent prospère. « Alors si Rawabi est populaire en Israël, tant mieux ! »

Sur certains points, Bachar al-Masri a dû revoir ses ambitions à la baisse. Il était par exemple prévu que 3000 à 5000 emplois soient créés ici, de nombreux  bureaux étant destinés à accueillir des entreprises, notamment dans les nouvelles technologies. Celles-ci pourraient être des sociétés locales ou internationales : Google et Microsoft pourraient profiter de la ville nouvelle pour s’implanter en Palestine ? « J’avoue que pour l’instant, nous n’avons pas eu beaucoup de réponses positives de ces grosses entreprises, concède Bachar al-Masri. Il faut dire que la situation politique ne joue pas en notre faveur. »

Fait notable : 11% de la première tranche d’acheteurs sont des chrétiens, alors que ceux-ci ne constituent que 2% de la population de Palestine. Une église orthodoxe s’élèvera un jour en contrebas du centre-ville. En février 2013, sa pierre de fondation a été d’ailleurs bénie par le patriarche orthodoxe de Jérusalem Théophile III.