Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Aimez vos ennemis

Marie-Armelle Beaulieu
26 mai 2015
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L’icône des martyrs coptes de Lybie, genèse d’une naissance

Son icône a fait le tour du monde en quelques heures via les réseaux sociaux. Tony Rezk a l’air juvénile sur les photos qu’on trouve de lui sur Internet. Il a tout au plus 25 ans. C’est un Égyptien, originaire du Caire et qui vit à Alexandria… aux États-Unis, État de Virginie. Comment, sous la plume informatisée d’un si jeune homme, est née une icône si puissante?

Le 15 février, un groupe se réclamant du soi-disant État Islamique (EI) diffusait les images de la décapitation de 21 Égyptiens sur une plage de Libye, tués au motif qu’ils étaient chrétiens. Un choc pour Tony qui raconte sur son blog : “J’étais assis dans ma cuisine avec mes parents par une fraîche après-midi de dimanche, j’ai allumé la télévision, et découvert des extraits de la vidéo de Daesh (EI). Mon cœur commença à sombrer, mon corps à trembler, et je fus pris d’angoisse. C’était surréaliste de regarder ce qui pouvait passer pour un film, sans acteurs, mais avec des personnes réelles conduites à l’abattoir. Je voyais de mes yeux ce avec quoi nous avons tous (chrétiens coptes) grandi, l’histoire des saints et des martyrs tués pour leur foi au Christ.”

Tony ne regarda pas la vidéo en entier. Pas tout de suite. “Je n’avais pas les tripes assez solides.” Il le fit pourtant, plus tard dans la journée. “Je vis cet homme masqué parlant de l’“hostile Église d’Égypte” à laquelle j’appartiens. (…) Alors que je regardais la vidéo, j’ai entendu le cri de ya Rab ya Yassou, littéralement “Mon Seigneur, Jésus-Christ”. Dès que je l’entendis, je commençai à ressentir de la peine, de l’angoisse, du dégoût, de la haine et du mépris.Un de mes amis était également rempli de haine. Nous nous sommes dit combien il serait facile de haïr ces barbares mais en même temps combien ce serait contraire aux enseignements du Christ, qui nous a commandé d’aimer nos ennemis, de bénir et non de maudire, de prier pour ceux qui nous persécutent. La haine est un poison ; du moment que l’on commence à le faire entrer dans le cœur, il commence lentement à détruire nos sens, nos émotions, notre humanité, et à la fin il nous prend la vie. C’est pourquoi le Seigneur nous a demandé d’aimer nos ennemis, à cause de nous, pour nous apprendre à être purs et saints, et pleins d’amour, à l’image de notre Père des cieux. Aimer ses ennemis n’est pas une tâche aisée.”

Honorer leur sacrifice

Et comme il ne voulait pas en dire plus de lui-même, Tony trouva le réconfort dans les paroles des Pères de l’Église dont il cite ensuite de nombreux passages.

Puis, ce diplômé de dessin assisté par ordinateur se mit au travail. Il a confié au National Review : “Mon but était d’abord d’honorer leur sacrifice. Tertullien, un apologiste chrétien du IIIe siècle, a dit “Le sang des martyrs est semence de chrétiens.” Nous croyons que leur martyr aidera l’Église à se renforcer. Mon autre objectif était d’expurger ma frustration, car je trouve qu’en exerçant un art, on fait une expérience de relaxation.”

Son travail terminé, il posta l’image sur son compte Twitter et joignit ces mots : “Sentez-vous libres de copier et partager”. Quelques heures plus tard, découvrant que son icône devenait planétaire, il ajouta : “Si j’ai permis de partager, je dois préciser que personne n’a le droit de l’imprimer et de commercialiser ce travail”. Depuis, Tony a remis à l’évêque de Minya, la province d’Égypte d’où étaient originaires la plupart des martyrs, et le dessin en haute résolution et les droits d’en user à sa convenance. Il essaie aussi de trouver un moyen de permettre au plus grand nombre de connaître cette icône pour qu’elle porte à la prière.

On a pu lire ici ou là des explications de l’icône. Les visages identiques à l’exception des deux imberbes parce qu’ils avaient moins de 20 ans, et de la personne au teint plus foncé puisque Soudanais.

Mais ce qui rend plus saisissant ce travail est certainement la façon dont Tony a su mêler à la plus pure tradition iconographique copte, les symboles de la brûlante actualité. La combinaison orange tristement connue, croisée de l’étole rouge des martyrs ; la mer se teintant du sang des victimes (comme le montrait la vidéo du massacre à grand renfort d’effets quasi hollywoodiens). Et le Christ qui envoie les anges couronner les martyrs, transformant ce dramatique massacre en action de grâces.

L’Église copte ne s’y est pas trompée qui, par la voix de son patriarche Tawadros, annonçait dans les jours qui suivirent l’insertion des noms des victimes dans le Synaxaire, procédure équivalant à la canonisation dans l’Église latine.

Tony, lui, a retrouvé la paix. Mieux, le martyre de ces 21 hommes, la diffusion virtuelle de son icône et les réactions qu’il a reçues de tous horizons, “même protestants” se réjouit-il, lui font espérer que l’Église copte soit mieux connue et il prie “pour que la mort de ces 21 hommes soit semence d’une vraie unité de l’Église.”

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