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François, Bartholomée: le souci de la maison commune

Terrasanta.net
25 juin 2015
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François, Bartholomée: le souci de la maison commune
Le pape François et le Patriarche �cuménique Bartholomée Ier à Jérusalem en mai 2014. Les deux hommes sont sensibles à leur mission de préserver la création.

Ces derniers jours, lors de la présentation de l'encyclique « Laudato si » (Loué sois-tu) - que le pape François a voulu consacrer aux questions écologiques - a également été souligné le rapprochement avec l'enseignement du patriarche œcuménique de Constantinople qui, depuis longtemps, réfléchit sur la préservation de la création.  Terrasanta.net publie une partie d'un discours récent du patriarche de Constantinople.


(Gs) – Le 18 juin dernier, au Vatican, le théologien grec-orthodoxe Joannis Zizioulas, Métropolite de Pergame, prenait la parole lors de la présentation de l’encyclique papale « Laudato si » (Loué sois-tu), consacrée aux questions écologiques.

Ce dignitaire religieux rappelait que le patriarcat œcuménique de Constantinople – depuis 1989, lorsque sur la chaise de Saint-André siégeait le patriarche Dimitrios – fut la première voix du monde chrétien à attirer l’attention sur la protection de l’environnement naturel. Une préoccupationque le patriarche actuel, Bartholomée I,  a fait remarquer à plusieurs reprises, au cours de son ministère. Comme l’a expliqué Zizioulas lors de son intervention – nous avons besoin de mieux comprendre les enjeux environnementaux du point de vue théologique et spirituel.

Il faut en effet comprendre que l’être humain ne peut pas être dénaturalisé et placé au-dessus du reste de la création, la dominant presque « en l’encourageant à profiter de la création sans limite et sans aucun respect pour son intégrité et sainteté« . Cette approche ne tiendrait pas compte de deux principes fondamentaux de la théologie chrétienne: l’Incarnation – par laquelle le fils de Dieu a rejoint non seulement l’humanité, mais toute la création – et l’Eucharistie, par laquelle nous sommes appelés à rendre grâce pour les dons reçus de Dieu.

De ces deux principes découlent des conséquences d’ordre spirituel premièrement. Nous devons être conscients que la relation saine entre l’humanité et la nature a été mise à mal par l’individualisme propre à notre culture et à la cupidité qui nous amène à considérer, à tort, le bonheur individuel par contraste et en concurrence avec celui des autres êtres humains, contemporains et futurs. D’où cet appel à une ascèse écologique.

Cette préoccupation écologique du patriarche œcuménique Bartholomée Ier – que le pape François mentionne aux paragraphes 7, 8 et 9 de « Laudato si » (Loué sois-tu) – était encore au cœur du discours que l’archevêque grec-orthodoxe de Constantinople a livré le 30 janvier 2014 à Paris, en acceptant un doctorat honorifique de l’Institut Catholique. Nous tenons à offrir aux lecteurs de Terrasanta.net un extrait de ce texte.

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Partager pour donner

Nous oublions trop souvent que l’homme n’est pas seulement un être logique ou politique, mais qu’il est avant tout une créature eucharistique, capable de gratitude et dotée du pouvoir de bénir Dieu pour le don de la création. Un esprit eucharistique implique donc d’utiliser les ressources naturelles du monde avec un esprit de reconnaissance, les offrant en retour à Dieu. (…)

 Cet esprit eucharistique cultive en nous un esprit ascétique. La spiritualité orthodoxe nous apprend à vivre en harmonie avec notre environnement et nous enseigne comment le préserver en réduisant notre consumérisme par la modération et l’abstinence, ainsi que par la pratique du jeûne et d’autres disciplines spirituelles similaires. La spiritualité orthodoxe nous rappelle que tout ce dont nous sommes en possession est un don de Dieu. Ces dons nous sont octroyés pour satisfaire à nos besoins, à condition qu’ils soient partagés équitablement entre tous les hommes. Il ne convient donc pas d’en abuser, ni de les gaspiller sous prétexte que nous éprouvons le désir d’en consommer ou avons la possibilité matérielle de les acheter.

L’ethos ascétique nous enjoint de protéger le don de la création et de préserver la nature intacte. C’est la lutte pour la modération et la maîtrise de soi, lorsque nous ne consommons pas n’importe quel bien de manière impulsive, mais manifestons plutôt un sens de frugalité et d’abstinence de certains biens. La protection et la modération sont toutes deux des expressions d’un amour envers l’humanité tout entière et pour l’ensemble de la création naturelle. Seul un tel amour peut protéger le monde d’un gaspillage inutile et d’une destruction inévitable.

La pratique du jeûne à laquelle nous invite la vie spirituelle dans l’Église orthodoxe est une autre façon de rallier le ciel et la terre. C’est une façon de reconnaître les résultats catastrophiques d’une fausse spiritualité qui a fait fausse route. Les premiers ascètes avaient une grande estime du jeûne, et les moines contemporains en font autant. De nos jours encore, les chrétiens orthodoxes laïcs s’efforcent de suivre les exigences du jeûne, en s’abstenant de produits laitiers et de viande près de la moitié de l’année. Malheureusement, au fil des siècles, la notion de jeûne et d’abstinence a perdu son sens, ou du moins sa connotation positive. De nos jours, elle est utilisée dans un sens négatif et en vient à signifier l’opposé d’une diète saine ou d’un engagement équilibré dans le monde. Or, dans l’Église primitive, jeûner signifiait ne pas permettre aux valeurs de ce monde ou à l’égocentrisme de nous détourner de ce qui est le plus essentiel dans notre relation avec Dieu, avec les autres, avec le monde.

Le jeûne implique un sens de liberté. Le jeûne est une façon de ne pas vouloir, de vouloir moins, et de reconnaître les besoins des autres. Par l’abstinence de certains aliments, nous ne nous punissons pas, mais nous rendons plutôt capables de reconnaître la valeur adéquate de chaque aliment. De plus, le jeûne implique la vigilance. En faisant attention à ce que nous faisons, à la nourriture que nous prenons et à la quantité de ce que nous possédons, nous apprécions mieux la réalité de la souffrance et la valeur du partage.

La crise morale engendrée par notre injustice économique mondiale est profondément spirituelle et signale que quelque chose ne va pas dans notre relation avec Dieu, les hommes et le monde matériel. Nos sociétés de consommation contemporaines ignorent trop souvent l’injustice créée par le commerce mondial et les régimes d’investissement. Or, la modération et l’abstinence que nous enseigne le jeûne nous sensibilisent et nous incitent à avoir compassion des pauvres, et nous invitent au partage des biens matériels.

Le jeûne est donc une alternative critique à notre mode de vie consumériste, à la société de convoitise, qui ne nous permet pas de remarquer l’impact et l’effet de nos habitudes et de nos actions. Le monde spirituel, conditionné par la prière et le jeûne, n’est pas déconnecté du « vrai » monde, et de ce fait, le « vrai » monde est informé par le monde spirituel. Nous ne sommes plus alors étrangers à l’injustice de notre monde. Notre vision s’élargit, nos intérêts grandissent, nos actions gagnent une portée considérable. Nous cessons de limiter notre vie à nos petits intérêts et nous acceptons notre vocation de transformer le monde entier.

Le jeûne ne nie pas le monde, mais affirme l’entière création matérielle. Il rappelle la faim des autres dans un effort symbolique de s’identifier, ou du moins de se rappeler, de la souffrance du monde, afin de languir pour sa guérison. Par le jeûne, l’acte de manger devient le mystère du partage, le souvenir qu’il « n’est pas bon que l’homme soit seul sur cette terre » (Gn 2, 18) et que « ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme » (Mt 4, 4). Jeûner signifie alors jeûner avec et pour les autres. En fin de compte, le but d’un tel jeûne est de promouvoir et de célébrer le sens de l’équité dans ce que nous avons reçu. Tout comme n’importe quelle autre discipline ascétique dans la vie spirituelle, on ne peut jamais jeûner seul dans l’Église orthodoxe. Nous jeûnons toujours ensemble, et nous jeûnons à des moments établis. Le jeûne est un rappel solennel que tout ce que nous faisons est inséparable du bien-être ou de la blessure des autres.

Ainsi, par le jeûne, nous reconnaissons que « la terre est au Seigneur » (Ps 24, 1) et qu’elle ne nous appartient pas pour qu’on l’exploite, la consomme ou la contrôle. Elle doit toujours être partagée en communion avec les autres et rendue à Dieu avec action de grâce. Jeûner c’est apprendre à donner, et pas seulement à renoncer. C’est apprendre à rentrer en contact et non à se séparer. C’est faire tomber les barrières de l’ignorance et de l’indifférence à l’égard de son prochain et de son monde. C’est restaurer la vision originelle du monde, tel que Dieu l’a voulu, et discerner la beauté du monde, tel que Dieu l’a créé. C’est offrir un sens véritable de libération de la cupidité et de la contrainte. En effet, le jeûne corrige efficacement notre culture basée sur le désir égoïste et le gaspillage insouciant.(…)

Bartholomée Ier – Patriarche de Constantinople