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Rukban, une autre frontière scellée

Carlo Giorgi
23 juin 2016
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Rukban, une autre frontière scellée
Avec cette succession de photos prises par des satellites à différentes périodes, IRIN documente l'augmentation du nombre de réfugiés dans ce « no man's land » entre la Syrie et la Jordanie, plus exactement à Rukban. Un amas de bâches bleues et de tentes.

Dans le camp de Rukban, sur la frontière entre la Jordanie et la Syrie, l'explosion d'une bombe a causé de nombreuses victimes.  Sur cette bande de terre sont aujourd'hui amassés des milliers de réfugiés.


Il y a deux jours, une voiture piégée explosait à Rukban, sur la frontière entre la Jordanie et la Syrie. Depuis des mois, des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la guerre campent en ce lieu. La bombe a malheureusement fait plusieurs victimes, tuant six soldats et 14 civils jordaniens.

Mais pourquoi une bombe a-t-elle ciblé un camp de réfugiés et pourquoi précisément Rukban ?

Rukban est un lieu méconnu, un bout de Jordanie à la frontière avec la Syrie. Aucune ville sur un périmètre de plusieurs dizaines de kilomètres, pas d’eau, point de vie. Le désert seulement, un vent brûlant et une ligne de démarcation – droite comme s’il avait été tracée à la règle – suite à l’accord, en 1916, entre les puissances coloniales de l’époque, la France et la Grande-Bretagne.

Cependant, Rukban n’est pas un poste frontière comme les autres, il est l’équivalent d’Idomeni en Grèce ou Dunkerque en France : de ces endroits où vivent, où ont vécu, des dizaines de milliers de migrants, dans des conditions de vie épouvantables. Portés par leur seul espoir de pouvoir enfin franchir la frontière et trouver un avenir meilleur.

La frontière du Rukban, au cours de ces dernières années de guerre, a toujours vu passer des civils Syriens en fuite. Cependant, en milieu d’année 2014, la Jordanie – ayant par ailleurs déjà accueilli 650.000 réfugiés – décidait de bloquer ce passage. Ainsi, les gens qui atteignirent ce passage durent s’arrêter et, dans l’espoir de traverser tôt ou tard, y plantèrent leur tente. Entre les deux fossés qui marquent la frontière entre d’un côté la Jordanie et de l’autre la Syrie, se trouve une bande de terre large d’environ deux kilomètres. Ici, et dans la localité voisine d’Hadalat, tel le phénomène de la ville champignon, un camp massif de réfugiés a vu le jour pour atteindre aujourd’hui les 60.000 individus. Un gigantesque et chaotique agglomérat humain qui, selon les agences humanitaires, pourrait atteindre d’ici à la fin de l’année les 100 mille personnes, dépassant en taille le plus grand camp jordanien de réfugiés géré par l’Organisation des Nations Unies, à Zaatari, et qui abrite 80.000.

Selon IRIN, service d’information et d’actualité indépendant proposant des articles de première main sur les situations d’urgence et les migrations, la situation de Rukban s’aggrave de jour en jour. Cette communauté de réfugiés vit une zone sans eau courante, sans clinique, école, et même une quelconque autorité reconnue à même de maintenir l’ordre et faire respecter la loi. Les autorités à Amman, de fait, considèrent que leurs compétences officiellement ne vont pas au-delà de la frontière. Dans le camp, en l’absence de loi, surviennent bagarres et crimes violents qui ne sont pas poursuivis. Les organisations humanitaires, pour leur part, n’y pénètrent pas faute d’autorités à même de garantir la sécurité de leurs équipes. Ces derniers restent sur le territoire jordanien et gèrent l’urgence alimentaire et sanitaire. A la frontière de l’eau est acheminée via des camions citernes ; tout comme des colis alimentaires qui sont distribués tous les deux jours. Les réfugiés viennent les ramasser et les transportent en cette « terre » où ils sont contraints de vivre. Suhreya, 42, syrienne d’Alep, a passé quatre mois avec ses six enfants à la frontière, avant que les autorités jordaniennes l’autorisent à entrer dans le pays.  «  La situation est particulièrement difficile dans Rukban – raconte la femme à IRIN -. Dans le camp, il y a des gangs qui contrôlent et volent tout. J’étais seule avec mes enfants, parce que mon mari est en Syrie. Sans protection, j’étais véritablement terrorisée. »

Depuis mars, le gouvernement d’Amman, dans le but de réduire les tensions à Rukban, a commencé à laisser entrer en Jordanie, chaque jour, plusieurs centaines de syriens sur lesquels est maintenu un contrôle très strict. Ces réfugiés sont tous acheminé au camp d’Azraq, géré par l’Organisation des Nations Unies. Un camp qui se trouve en plein milieu de la Jordanie, à 50 kilomètres de la capitale, Amman. Les nouveaux arrivants sont tous logés dans une partie du camp appelée « village 5 », laquelle est séparée du reste du camp, clôturée et gérée avec grande sévérité. Selon les travailleurs humanitaires qui administrent Azraq, les places disponibles au « village 5 » (plus de 10.000) ont toutes été occupées et il n’est plus possible d’accueillir qui que ce soit. Cela a incité les autorités à diminuer, de nouveau, les flux d’entrées en Jordanie. En conséquence, plus de personnes devront rester dans le camp inhumain de Rukban.

Cette prudence de la Jordanie à l’égard des migrants n’est en rien surprenante. La menace de l’entrée de membres de l’Etat islamique en son espace, cachés dans le flux des familles et des civils, est très élevée et la bombe qui est tombée à Rukban semble bien une réponse à la politique restrictive d’Amman ; mais aussi une preuve que les attaques terroristes sont un risque toujours présent. Il y a seulement deux semaines, le 6 juin (premier jour du Ramadan), une attaque contre le siège des services de renseignements jordaniens dans le camp de réfugiés palestiniens de Baqaa, près d’Amman, a fait cinq morts. On soupçonne que l’auteur pourrait-être un membre ou un sympathisant de l’Etat islamique.

Cliquez ici pour télécharger une photo prise par les satellites des Nations Unies documentant l’amas de réfugiés à Rukban, le long de la frontière jordano-syrienne (légendes des images et carte en anglais et en format pdf).