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Découverte d’un reliquaire à Bethsaïde: le débat est ouvert

Christophe Lafontaine
11 août 2018
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Découverte d’un reliquaire à Bethsaïde: le débat est ouvert
Reliquaire qui aurait contenu des restes des apôtres André, Pierre et Philippe sur l'un des sites supposés de Bethsaïde. © Mordechai Aviam

Un bloc de pierre qui aurait abrité les reliques des apôtres Pierre, André et Philippe a été retrouvé à El-Araj (Israël), l’un des sites putatifs de Bethsaïde. Alimentant le débat sur la localisation exacte de la ville.


« La cité perdue des apôtres. » Ce pourrait être le titre d’un feuilleton estival qui revient chaque année. L’an dernier à la même époque, des archéologues israéliens et américains affirmaient avoir enfin découvert des preuves confirmant que le site archéologique d’El-Araj sur la rive nord du lac de Tibériade, avait de fortes chances, parmi d’autres sites en compétition, d’abriter les traces de l’antique Bethsaïde.

Ce 30 juillet dernier, le Centre d’étude du judaïsme ancien et des origines chrétiennes (CS-AJCO) et le Nyack College de New York (d’obédience protestante aux Etats-Unis) ont annoncé dans un communiqué que la troisième saison de fouilles organisée sur les lieux venait d’être achevée et venait étayer cette thèse.
Derrière Jérusalem et Capharnaüm, Bethsaïde est la troisième ville la plus régulièrement citée dans le Nouveau Testament relatant la vie de Jésus de Nazareth. Si l’on s’en réfère à l’Evangile selon Saint Jean (1, 44 ; 12, 21), Pierre (considéré comme le fondateur de l’Eglise), André son frère, et Philippe, trois des douze disciples de Jésus, y seraient nés ou y auraient résidé. Par conséquent, la ville ne laisse personne indifférent.

Mordechaï Aviam, chercheur du Kinneret College, Institut universitaire du lac de Tibériade, en charge des fouilles d’El-Araj, avec le professeur Steven Notley du Nyack College, en collaboration avec le CS-AJCO, avait, l’été dernier, formulé l’espoir que de nouvelles fouilles permettent de valider que ce site était bien celui où vécurent trois des douze apôtres de Jésus. Si les dernières fouilles semblent lui avoir donné satisfaction, la prudence, confie-t-il dans les colonnes du journal Haaretz, reste cependant de mise.

De quoi s’agit-il ? D’un bloc de basalte de quelque 300 kilos, divisé en trois niches (une plus grande sculptée à la verticale et deux autres moyennes taillées à l’horizontale).

Le coffre est  compatible avec la forme d’autres reliquaires connus remontant à l’époque byzantine. Par voie de conséquence, les trois compartiments seraient liés à l’idée d’honorer trois personnes. Cependant, le probable reliquaire n’a pas été retrouvé sous les ruines de ce qui aurait pu être une église byzantine mais dans les restes d’une maison ottomane (détruite en 1955).

Il convient cependant de souligner que les parties supérieures du bloc de pierre sont sculptées alors que la base de l’ensemble est restée rugueuse. Ces détails ne sont pas à éluder. Traditionnellement, dans les églises byzantines où les reliques sacrées étaient extrêmement populaires, des reliquaires similaires étaient positionnés – conformément à la pratique courante – dans le sol sous l’autel. Ainsi, « nous suggérons, avec prudence, que cela pourrait être le reliquaire de Pierre, Philippe, et André. Cela aurait pu être le reliquaire de l’église des Apôtres », avance Mordechaï Aviam.

Le reliquaire, à supposer qu’il fut initialement placé dans l’église, aurait été récupéré, comme cela se faisait habituellement, pour une construction ultérieure et c’est pourquoi il a très bien pu être délogé, réutilisé et se retrouver avec les aléas du temps, dans la maison ottomane, comme spolia. En archéologie, on désigne souvent les remplois les matériaux de construction par ce terme.

Le meilleur candidat

En tout état de cause, si véritablement, il s’agit d’un reliquaire ayant contenu les reliques des apôtres, dans une église qui leur était dédiée à l’époque byzantine, alors l’hypothèse que le site d’El-Araj soit Bethsaïde se renforce. « Je ne dis pas que El-Araj est Bethsaïde, mais je pense que c’est un meilleur candidat que l’autre site », a déclaré en ce sens le professeur Mordehaï Aviam, au quotidien israélien Haaretz. Faisant référence directement à Et-Tell près de l’embouchure du Jourdain (dans le Jordan Park) à deux kilomètres d’El-Araj.

L’emplacement exact de la ville biblique fait en effet l’objet depuis de longues années de nombreuses recherches. Car le Nouveau Testament manque sur le sujet de précision. La ville perdue se situe « quelque part sur les rives du lac Kinneret », appelé également lac de Tibériade.
Pour Mordechaï Aviam, El-Araj serait probablement l’ancienne ville romaine de Julias. Or, d’après l’historien romain d’origine judéenne et de confession juive Flavius Josèphe (Ier siècle après Jésus-Christ), cette cité a été construite aux alentours de l’an 30, sur les ruines de Bethsaïde, petit village de pêcheurs. Le village de Bethsaïde fut ensuite renommé Livia/Julias en l’honneur de Livie (connue sous le nom de Julia Augusta), la femme de l’empereur romain Auguste, morte en l’an 29.

Pour Mordehaï Aviam, un indice de taille a été mis au jour l’an dernier pour confirmer qu’il s’agit bien de Julias, qui a succédé à Bethsaïde. « Nous avons mis au jour des fragments de poterie, des pièces de monnaie, ainsi que les vestiges d’un bain public, ce qui tend à prouver qu’il ne s’agissait pas d’un petit village, mais d’une localité pouvant correspondre à Julias », expliquait alors l’archéologue à l’AFP. De fait, les bains publics attestent de l’existence d’une culture urbaine loin du mode de vie plus simple d’un village de pêcheurs. Et d’après Flavius Josèphe, Julias confirmerait donc l’existence d’une ville romaine édifiée sur ce qui fut le village de Bethsaïde. En outre, près du bain public découvert, les archéologues ont également trouvé un mur de mosaïques. Ceux-ci semblent indiquer qu’une église – certainement richement décorée et ornée – se tenait un jour à cet endroit. Or, Saint Willibald, le premier évêque d’Eichstätt, en Bavière, qui a visité la Terre Sainte en 725 après Jésus-Christ, raconte avoir visité « l’église des apôtres » à Bethsaïde (d’époque byzantine). Là où aurait alors été initialement posé le fameux reliquaire de trois des douze apôtres de Jésus… CQFD ? Presque. Car dans son récit, l’évêque Willibald mentionne seulement l’église de deux apôtres, Philippe et André : il ne cite pas Pierre. « Mais je suis convaincu que l’église était celle de trois apôtres », confie toutefois Mordechaï Aviam. « Pourquoi y aurait-il sinon trois cavités dans la roche », s’interroge-t-il.

Certes, les archéologues d’El-Araj n’ont pas (encore ?) trouvé la structure de l’église byzantine qu’évoque dans son récit de pèlerinage Saint Willibald, mais ils ont sorti de terre l’an passé une quantité de petites pierres de mosaïque et nombre de cubes de verre dorés dont seules les églises les plus riches pouvaient se doter. Ils ont également identifié des fragments de meubles en marbre. Or, « il n’y a pas de marbre en Israël. Il faut l’importer », a déclaré Mordechaï Aviam dans le Haaretz, ce qui témoigne également de la richesse de l’église. Et surtout de son importance. Surtout s’il s’agissait de faire mémoire des trois apôtres de Jésus, André, Pierre et Philippe.

Suite au prochain épisode. Les fouilles reprendront effectivement en 2019 du 16 juin au 11 juillet.

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