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Deux bustes romains débusqués à Beit Shean

Christophe Lafontaine
31 décembre 2018
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Deux bustes romains débusqués à Beit Shean
Bustes des IIIème-IVème siècles découverts près du site funéraire de Beit Shean ©Eitan Klein, Autorité des Antiquités dIsraël

L'Autorité des Antiquités d’Israël a annoncé la découverte de deux statues en calcaire d’il y a 1700 ans au nord d’Israël. Leur style oriental montre qu’à la fin de l’époque romaine, l’art classique n’était plus de mode.


Non pas une mais deux statues sont sorties de leur sommeil après les fortes pluies qui ont sévi dans le nord d’Israël ces dernières semaines. La double découverte a eu lieu au début du mois de décembre au nord du site antique de la ville de Beit Shean. Comme en a fait part l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI) dans un communiqué daté du 30 décembre. Les deux artéfacts, grandeur nature, pèsent une trentaine de kilos chacun, comme l’a précisé le Times of Israel. En raison du contexte dans lequel ils ont été retrouvés – c’est-à-dire dans un cimetière des IIIème et IVème siècles ap.J.-C. – ils ont pu être datés de cette époque, à cheval entre la fin de la période romaine et le début de la période byzantine. Pour les spécialistes, de telles statues à la mémoire des morts, étaient généralement placées à l’entrée ou à l’intérieur de grottes funéraires.

Selon un article d’Avshalom Zemer, conservateur de l’exposition « Les Bustes funéraires de la période romaine en Eretz-Israel », organisée par le National Maritime Museum à Haïfa, des bustes funéraires en calcaire sont apparus à la fin de l’époque romaine, vers les IIème et IIIème siècles et ce jusqu’au IVème siècle où ils ont commencé à disparaître au moment de l’expansion du christianisme dans la région. A la fin de l’époque romaine, la ville de Beit Shean abritait probablement quelques premiers chrétiens, mais elle était principalement païenne, précise le journal Haaretz.

Beit Shean était l’une des anciennes villes de la Décapole qui connut son apogée à l’époque romaine et byzantine. A une trentaine de kilomètres au sud du lac de Tibériade, plantée dans une vallée fertile, elle jouissait d’une importance stratégique en tant que carrefour de deux voies importantes : l’une venant de Jérusalem et se dirigeant vers le nord, et l’autre provenant de la côte nord et conduisant vers l’est au-delà du Jourdain.

Les bustes funéraires qui y ont été retrouvés sont bien conservés. Ils représentent des visages d’hommes. L’un d’entre eux est barbu. On y décèle des traits de visage différents, des détails concernant les vêtements et les coiffures.

Prévalence du style oriental à la fin de Rome

Les deux statues sont façonnées dans du calcaire local dur qui était aussi utilisé pour le bâti dans la région. Cela signifie qu’elles ont été probablement sculptées par des artisans locaux, a souligné Eitan Klein, cité dans Haaretz. Leur conception ne correspond pas au canon classique qui prédominait dans l’empire romain. Dans ce style, le burin travaillait sur la base des attributs physiques naturels des personnes avec force détails pour le visage, la musculature ou encore pour le drapé des vêtements. A contrario, le style oriental est plus schématique, moins réaliste. Les sourcils et le nez apparaissent souvent alourdis, les yeux représentés de manière sommaire et les lèvres sont pincées. Ce qui fait dire à l’archéologue, cité dans le communiqué de l’AAI que les deux têtes retrouvées récemment à Beit Shean « sont de style oriental ». Une preuve « qu’à la fin de la période romaine, l’usage de l’art classique avait cessé et que les tendances locales étaient à la mode. »

Malgré les traits plutôt stylisés, les bustes ont eu probablement vocation – dans les grandes lignes – à représenter des personnes spécifiques défuntes. Dans la mesure où ont été retrouvés de la même époque et dans la région (dans le nord de la Jordanie et dans les environs de Beit Shean) des dizaines d’autres bustes, tous différents.

D’après l’article d’Avshalom Zemer, conservateur cité plus haut, certaines statues funéraires portaient le nom du défunt (parfois même son âge). Les noms pouvaient être d’origine grecque, latine ou sémitique. Visiblement, ce n’est pas le cas pour les deux bustes de Beit Shean. Un signe que les personnes qui ont commandé ces bustes funéraires sculptés dans un matériau de qualité moyenne, dépourvus du savoir-faire des sculpteurs de portraits romains et donc moins chers, ne faisaient probablement pas partie de l’élite sociale.

Selon Avshalom Zemer, la coutume des classes supérieures de faire tailler des bustes funéraires – le plus souvent en marbre – datent de la fin du règne de Trajan (98-117) et du début du règne d’Hadrien (117-138). La coutume aurait, au milieu du IIIème siècle ap. J.-C.,touché les classes inférieures qui auraient eu recours au calcaire. « Cela était apparemment dû à une loi appliquée par l’empereur Antoninus Caracalla (211-217), selon laquelle tous les habitants de toutes les parties de l’Empire devaient être reconnus comme citoyens romains avec des droits égaux – connus sous le nom de Constitutio Antoniniana», explique-t-il.

Appel au civisme

Ce qui laisse à penser que beaucoup d’autres bustes dorment encore sous la terre de Beit Shean. Eitan Klein, a déclaré dans l’édition anglaise du Times of Israel, que des fouilles dans la zone sont prévues dans le futur. Mais en attendant, selon l’inspecteur de l’Unité de prévention du vol de l’AAI, Nir Distelfeld, « il est important de noter que les fortes pluies d’hiver peuvent amener d’autres découvertes à la surface et nous appelons les gens à nous les signaler. » Appelant au civisme de chacun. C’est d’ailleurs grâce au regard affuté et à la prévenance d’une randonneuse, résidente de Beit Shean, que l’on doit la récente découverte. Ayant aperçu partiellement le haut arrondi du chef de la première statue se dégageant du sol, elle et son mari ont alerté l’unité de prévention du vol des antiquités de l’AAI. Les archéologues se sont rendus aussitôt sur les lieux et ont, de surcroît, durant le travail d’excavation, déterré le second buste. Pour cet acte, la promeneuse recevra un « certificat de bonne citoyenneté » pour avoir prévenu l’AAI, a annoncé celle-ci dans en tête de son communiqué.

Il y a presqu’un an, à la fin du mois janvier 2018, une jarre intacte d’il y a 1500 ans qui aurait été utilisée pour conserver de la farine et des légumes lors de rituels d’inhumation, avait également été découverte par une famille de promeneurs, eux aussi salués pour leur civisme.

 

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