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Elections en Israël : la difficile équation d’une coalition

Christophe Lafontaine
18 septembre 2019
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Elections en Israël : la difficile équation d’une coalition
L’avenir politique d’Israël est entre les mains du chef du parti israélien Beytenu, Avigdor Lieberman. Ici, au lendemain des élections israéliennes du 17 septembre 2019 © Flash90

Les Israéliens sont retournés aux urnes ce 17 septembre pour élire les 120 membres de leur Parlement, cinq mois après l’échec de la formation d’une majorité gouvernementale. Les dés relancés n’ont pas trop changé le jeu.


(F.P / C.L) Le 17 septembre, Israël a voté, pour la deuxième fois en 2019, afin d’élire les 120 membres de la Knesset, le Parlement israélien. Les précédentes élections du 9 avril n’avaient pas permis de former une majorité gouvernementale, en raison de la division entre le Likoud (à droite) de Benjamin Netanyahu (arrivé le premier avec 26,5% des voix, avec seulement 15 000 voix d’avance) et Israel Beytenu (Israël notre maison), le parti de droite nationaliste et laïque de l’ancien ministre de la Défense. Avigdor Lieberman qui avait de fait refusé une coalition avec les partis ultra-orthodoxes alors que Benjamin Netanyahu leur avait promis de conserver l’exemption du service militaire pour les étudiants des yeshivot, les écoles talmudiques. Sans l’appui du parti Israel Beytenu, Benjamin Netanyahu n’est pas parvenu à former un gouvernement, tâche qui lui avait été confiée au sortir des urnes par le Président d’Israël. Le 30 mai, la Knesset a finalement voté sa propre dissolution et le pays est retourné aux urnes hier.

Le système électoral israélien fonctionne à la proportionnelle, avec un seuil électoral de 3,25%. Le cadre politique est particulièrement fragmenté : en avril, 11 partis sont entrés au Parlement et 30 autres sont restés sous le quorum.

En avril dernier, Benjamin Netanyahu et son principal rival Benny Gantz à la tête de Kahol Lavan (Bleu et Blanc), une alliance centriste, avaient tous les deux obtenus 35 sièges. Les résultats (se basant pour l’heure sur 90% des suffrages décomptés officiellement) donnent cette fois-ci 32 sièges à Bleu et Blanc, et 31 au Likoud du Premier ministre sortant qui préside aux destinées du pays depuis plus de 13 ans et qui compte bien le rester pour ne pas risquer d’être condamné pour diverses affaires de corruption.

Une chose est, en tous les cas, certaine : le futur Premier ministre aura besoin d’une coalition d’au moins 61 sièges. Chacun des deux challengers va donc devoir convaincre le Président d’Israël qui devra déterminer qui est le mieux placé pour former une coalition et qui n’est pas forcément le leader du parti arrivé en tête. Le président consultera aussi les députés élus qui lui recommanderont ou non un chef de gouvernement. Le candidat qui sera désigné disposera alors de 28 jours (avec éventuellement une courte prorogation) pour former son gouvernement.

Un « faiseur de roi » qui veut un gouvernement d’union nationale, mais…

A l’heure où est écrit cet article et selon les résultats provisoires officiels, le bloc de droite – le Likoud, Yamina (alliance de partis de droite et d’extrême-droite), Shas et Yahdaout HaTorah (droite religieuse) – rassemble 55 sièges, et le bloc dit de centre-gauche 56. Et ce, avec les sièges obtenus par Bleu et Blanc, le Camp Démocratique (une alliance des forces de centre-gauche et des défenseurs de l’environnement), le Parti travailliste (formation historique de la gauche israélienne, qui s’est présenté avec le petit parti Gesher – à l’accent social -) et en comptant le soutien éventuel de la Liste arabe unie.

Conclusion, pour éviter de troisièmes élections (ce qui est possible), c’est Israel Beytenu, le parti de Liebermann, qui ayant obtenu neuf voix, va clairement pouvoir jouer les arbitres.

Avigdor Lieberman a d’ores et déjà annoncé que les deux grands partis n’avaient pas d’autre choix que de s’allier à lui dans une grande coalition laïque d’union nationale. Son souhait étant de siéger à la fois avec Kahol Lavan et le Likoud débarrassé de l’influence des partis juifs ultra-orthodoxes et des partis arabes. La question sera de savoir si cela se fera avec ou sans Benjamin Netanyahu ? Il est fort à parier que Benjamin Netanyahu fera tout pour obtenir la charge de former un gouvernement. Il a déjà entamé des négociations de coalition avec les partis de droite. Channel 12 rapporte même que Benjamin Netanyahu espère que Reuven Rivlin considérera le bloc des 55 sièges comme un parti unique et acceptera donc de charger le Premier ministre de former le prochain gouvernement …

A noter que, le « faiseur de roi » – Avigdor Lieberman – a déclaré qu’il n’entrerait en tractation avec les chefs des partis seulement si ses conditions étaient remplies dont les plus emblématiques sont la fin de l’exemption de service militaire pour les ultra-orthodoxes, l’autorisation de circulation des transports publics et l’ouverture des commerces pendant le Shabbat. Ce qui place Benjamin Netanyahu dans les mêmes difficultés qu’en avril dernier, lui qui avait choisi de soigner ses alliés religieux…

L’équation reste complexe aussi sur la tête que cette union nationale porterait.  Benny Gantz accepterait-il d’être dans un gouvernement mené par son rival qu’il définit comme populiste et corrompu ? Et Benjamin Netanyahu, au pouvoir depuis plus de 13 ans, acceptera-t-il de participer à un gouvernement sans le diriger ?

De l’autre côté de l’échiquier politique, Ehud Barak, ancien Premier ministre, a exhorté – rapporte le Times of Israel – le président de Kakhol Lavan, Benny Gantz, à former une coalition temporaire avec son parti le Camp Démocratique, le Parti travailliste et Israel Beytenu, avec le soutien de la Liste arabe unie. L’idée de l’ancien Premier ministre Ehud Barak, comme il l’a déclaré à la radio de l’armée, est que cette coalition durerait jusqu’à la fin de la procédure judiciaire de Benjamin Netanyahu et qu’à ce moment-là sera ensuite décidé si le Likoud rejoigne ou pas le gouvernement. Mais Israel Beytenu n’envisageant aucunement la formation d’un gouvernement d’unité avec les partis arabes, il y a peu de chance que cette solution soit suivie.

De plus, les partis arabes qui ont déclaré vouloir s’opposer à la désignation de Benjamin Netanyahu comme chef de gouvernement, n’ont pas non plus dévoilé leur stratégie vis-à-vis de Benny Gantz et ont dit qu’ils lui communiqueraient leurs « conditions » dans le cas d’un soutien qu’ils pourraient lui apporter. Leur poids n’est pas à négliger, les élections viennent d’en faire a priori la troisième force politique du pays. Selon les derniers résultats, 13 sièges seraient attribués à la Liste arabe unie. Les partis arabes avaient fonctionné sur deux listes distinctes en avril, ne recevant que 10 sièges au total. En 2015, l’alliance avait reçu 13 sièges. D’après des sondages publiés la veille par le journal Haaretz, la liste pouvait prétendre à récolter plus de 80% des voix des citoyens de langue arabe d’Israël (1,8 des 9 millions d’habitants en Israël, soit 20%, sont des arabes). A noter que le Patriarche émérite latin de Jérusalem avaient appelé – « les bonnes volontés » désireuses d’avoir la paix – tant chez les arabes israéliens (les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948) que les juifs israéliens, à venir voter, n’hésitant pas à exprimer ses craintes quelques jours avant les élections : « Il semble que les prochaines élections en Israël, le 17 septembre, présentent un danger particulier et annoncent davantage de conflits que de paix », avait-il déclaré en faisant référence notamment – sans les citer – aux promesses électorales d’annexer les colonies de la vallée du Jourdain. A-t-il été entendu ? Sans doute en partie, puisque la participation dans les villes arabes s’élève à environ 60 %, contre 50 % lors du scrutin d’avril, a rapporté Haaretz.

Les élections vues du côté palestinien

Pour le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP), qu’importent les résultats : Likoud ou Bleu et blanc : c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Mohammad Shtayyeh a indiqué mardi qu’il ne voyait pas de différence significative entre les deux candidats au poste de Premier ministre israélien. Selon lui, la différence « est aussi grande que la différence entre Pepsi et Coca-Cola. » Et d’ajouter : « nous ne comptons pas sur les résultats des élections israéliennes qui se déroulent aujourd’hui, car la compétition a lieu entre deux candidats qui n’ont pas d’agenda pour mettre fin à l’occupation », a estimé Shtayyeh à une conférence devant des entrepreneurs palestiniens.

Le secrétaire général de l’OLP Saeb Erekat a réagi aux résultats provisoires des élections. « Pour que la paix l’emporte, le prochain gouvernement doit réaliser qu’il n’y aura ni paix ni sécurité si un terme n’est pas mis à l’occupation : la Palestine aux côtés d’Israël selon les frontières de 1967 », a-t-il écrit sur Twitter.

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