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Israël – Jordanie : l’enjeu commun du tourisme religieux

Christophe Lafontaine
3 décembre 2019
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Israël – Jordanie : l’enjeu commun du tourisme religieux
La tombe supposée d’Aaron (dont le sanctuaire date du XIVème siècle) à Jabal Harun à Petra, en Jordanie, va rouvrir après discussions au sommet entre le président israélien et le prince Ghazi de Jordanie. ©Joneikifi/Wikimedia Commons

Le 27 novembre à Londres, le président d’Israël et le conseiller jordanien pour les affaires religieuses ont évoqué le développement des lieux saints le long du Jourdain et la réouverture de la tombe d'Aaron en Jordanie.


Une rencontre rare. Reuven Rivlin, le président israélien, a rencontré le 27 novembre le prince Ghazi ben Mohammed, conseiller principal des Affaires religieuses et culturelles et envoyé spécial du roi Abdallah II de Jordanie, ainsi que d’autres officiels jordaniens. Petra News a souligné que la réunion avait été demandée par la partie israélienne et qu’elle avait été organisée des mois à l’avance.

Les deux hommes se sont entretenus à la résidence de l’ambassadeur de Jordanie à Londres (Royaume-Uni) a fait savoir l’agence de presse jordanienne, pour discuter de la coopération dans le développement de sites de pèlerinage chrétiens le long de la frontière israélo-jordanienne. Le communiqué de la présidence israélienne précise que c’est « dans un esprit de dialogue ouvert et productif » que plusieurs questions ont été abordées au premier rang desquelles « le développement du site du baptême ».

Qasr el-Yahud est géré par les Israéliens sur les rives occidentales du Jourdain en Cisjordanie. Le prince Ghazi est quant à lui président du conseil d’administration de la Commission du site du baptême du côté jordanien, connu sous le nom « al-Maghtas ». « Promouvoir et développer le site constitueraient un élément important dans la construction de ponts entre les peuples et les religions », indique la déclaration du bureau du président et qui rapporte aussi que « les deux parties attendent avec intérêt de poursuivre le dialogue sur la question».

La réouverture du tombeau d’Aaaron aux Israéliens

Plus concrètement et à court terme, suite à la rencontre de mercredi dernier entre le président Rivlin et le prince Ghazi, le site de la tombe d’Aaron en Jordanie va rouvrir aux Israéliens après quatre mois de fermeture, a annoncé hier un communiqué émis par le bureau de la présidence israélienne. Le frère de Moïse serait enterré sur le mont Hor, à proximité de Petra, dans un lieu connu localement sous le nom de djebel Haroun (la montagne d’Aaron) qui est parfois visité par des pèlerins juifs et musulmans. Les autorités jordaniennes considèrent la tombe d’Aaron comme une mosquée et interdisent les prières juives sur le site.

Or, ce lieu de pèlerinage avait été fermé aux pèlerins juifs en août dernier. En cause, une vidéo qui semblait montrer des Israéliens y priant, donc qui étaient dans l’illégalité. Le ministre du Waqf, qui contrôle les affaires islamiques et les lieux saints, a pris la décision de fermer l’accès. Selon le Times of Israel, « à l’époque, la Jordanie avait déclaré que plusieurs centaines d’Israéliens étaient arrivés à Petra, sans coordination préalable ni autorisation de prier sur le site ».

Le communiqué de la présidence israélienne a fait savoir que le président avait demandé au ministre israélien des affaires étrangères, Yisrael Katz, « de charger les autorités compétentes de poursuivre la coordination, conformément aux accords conclus, ce qui permettra aux groupes de se rendre sur les lieux, en coordination préalable avec des guides et des services de sécurité sur place ».

La rencontre londonienne et les annonces qui ont suivi interviennent à un moment où les relations israélo-jordaniennes sont « à leur niveau le plus bas », comme l’a exprimé la semaine dernière, le roi de Jordanie, Abdallah II, lors d’un événement organisé à New York (Etats-Unis) par le groupe de réflexion américain Washington Institute for Near East Policy. Israël et la Jordanie n’ont d’ailleurs pas marqué le mois dernier de quelque manière que ce soit les 25 ans du traité de paix signé en 1994. Pour mémoire, la Jordanie et l’Egypte sont les deux seuls états arabes à avoir conclu des traités de paix et établi des relations diplomatiques formelles avec Israël.

Rivlin en Jordanie ?

Ces dernières années, les tensions diplomatiques se sont dégradées entre Amman et Tel Aviv. La Jordanie soutient la solution à deux Etats entre Israël et la Palestine avec Jérusalem comme capitale partagée, et s’est ainsi insurgé contre la reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale d’Israël, en décembre 2017. Les déclarations du Premier ministre israélien sur sa promesse d’annexer la vallée du Jourdain occupée ne fait que mettre de l’huile sur le feu.

Le royaume hachémite dénonce aussi régulièrement les tensions qui surviennent au mont du Temple/esplanade des mosquées et les événements de juillet 2017, lorsqu’un agent de sécurité de l’ambassade israélienne d’Amman avaitabattu deux Jordaniens. Une impasse diplomatique s’en était suivie pendant plusieurs mois, et l’ambassadrice israélienne avait dû quitter le pays avec le personnel de l’ambassade.

Symbole de la dégradation des relations diplomatiques, le roi Abdallah II de Jordanie a mis fin aux annexes du traité de paix en récupérant deux terrains frontaliers situés à Baqoura (province d’Irbid, au nord) et Ghoumar (province d’Aqaba, au sud), prêtées à l’Etat hébreu, en vertu de l’accord de paix de 1994. Ce qui permettait depuis plus de deux décennies aux agriculteurs israéliens, à leurs employés et à d’autres personnes d’accéder facilement à deux parcelles situées en Jordanie. Cet accord prévoyait qu’Israël pouvait exploiter gratuitement ces zones pour un bail de 25 ans, renouvelable automatiquement, si aucune des deux parties n’y mettait fin.

Si la Jordanie reste officiellement attachée à l’accord de paix, ses relations se limitent principalement à des relations de sécurité, à une coopération en matière de tourisme et d’environnement. Encore que sur ce point, le projet de canal mer Rouge/mer Morte est moribond. « Israël traîne des pieds, la Jordanie interdit la venue de scientifiques israéliens, et la mer disparaît à vue d’œil », résume le Times of Israel.

C’est à l’aune de cette ambiance délétère, à l’issue de la réunion entre le président Reuven Rivlin et la délégation menée par le prince Ghazi, que des contacts ont été pris pour l’organisation d’une visite officielle du président israélien en Jordanie, a fait savoir Haaretz la semaine dernière.

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