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Existe-t-il un art de la photographie « arabe » ?

Alessandra Abbona
24 janvier 2020
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Existe-t-il un art de la photographie « arabe » ?
Ramallah 1907 : membres de la famille Bdainy ©Archives numériques, Musée palestinien

Après avoir été longtemps observé par des yeux occidentaux (et colonialistes), le monde arabe du Moyen-Orient exprime aujourd'hui ses propres visions. Avec des résultats artistiques importants.


Existe-t-il un art de la photographie « arabe » ? La question est sûrement un peu trop générale. Ce serait comme se demander, par exemple, s’il existerait une photographie méditerranéenne ou asiatique. D’ailleurs, parle-t-on de la photographie du monde arabe (aussi fragmenté, varié, inégal soit-il) ou de la photographie issue du monde arabe ?

La représentation eurocentrique du Maghreb et du Moyen-Orient était déjà très claire dans la peinture du XIXème siècle : un monde à forte composante exotique, sensuelle et sauvage, mais surtout rigoureusement imaginé, romancé et transposé sur toile par des artistes européens. Il suffit pour cela de penser aux orientalistes tels que Jean-Auguste-Dominique Ingres ou Eugène Delacroix.

La photographie est ensuite apparue : mais pendant la majeure partie du XXème siècle, les images de style colonial prirent le dessus, toujours et encore une vision externe et malheureusement hégémonique. Puis, à partir de la seconde moitié du siècle, à l’ère du photojournalisme et du reportage, où la représentation du Moyen-Orient et de ses conflits, en particulier, fait partie d’un cliché encore difficile à surmonter aujourd’hui, puisque ce sont principalement des observateurs occidentaux qui ont illustré le monde arabe.

Mais en même temps, l’héritage colonial a favorisé la naissance de la photographie de portrait puis celle de la photographie familiale et privée. Là, nous pouvons enfin parler d’auto-représentation. Mais aujourd’hui, comment le monde arabe est-il photographié, et plus particulièrement le Moyen-Orient ?

Deux grandes collections

Un rôle important est joué par les entités muséales et les fondations dédiées au patrimoine iconographique de la région. Au Liban et en Palestine, il existe par exemple deux jeunes entreprises qui visent à cataloguer, archiver et mettre à la disposition du public des documents photographiques et vidéo.

A Beyrouth se trouve l’Arab Image Foundation (Aif), une association indépendante qui conserve une collection de plus de 500 000 images et documents photographiques relatifs au Moyen-Orient, à l’Afrique du Nord et à la diaspora arabe (en particulier syro-libanaise) dans le monde. Cette collection a été créée au cours des 20 dernières années grâce au travail d’experts et de passionnés, et aux dons d’archives familiales, professionnelles et historiques. A ce jour, environ 28 000 images ont été numérisées et 10 000 d’entre elles sont disponibles sous licence Creative Commons. Œuvre de professionnels, d’amateurs et de photographes anonymes, les documents Aif reflètent un large éventail de genres et de styles – dont des documentaires, des reportages, de la photographie industrielle, de la photographie de mode, de l’architecture, de la publicité, des albums de famille, des beaux-arts, des paysages, des portraits en studio, des natures mortes et même des nus – du Liban, de Syrie, de Palestine, de Jordanie, d’Egypte, du Maroc, d’Irak, d’Iran, du Mexique, d’Argentine et du Sénégal.

Près de Ramallah se trouve le nouveau Musée Palestinien, dans un bâtiment au design futuriste conçu par le cabinet d’architecture irlandais Heneghan Peng, et dédié au patrimoine culturel et historique de la Palestine. Outre diverses expositions, le musée dispose d’une section d’archives digitales abritant plus de 90 000 documents, principalement des photographies et des reproductions du début du XIXème siècle à nos jours tous accessibles en ligne. A l’intérieur le Family Album Project explore les souvenirs photographiques familiaux que de nombreux Palestiniens ont conservés chez eux, et qui constituent un héritage important pour la mémoire des générations futures.

Si l’histoire passée et récente, racontée à travers la photographie, trouve de l’espace et donne la parole aux protagonistes de la région dans un contexte muséal-documentaire, les jeunes générations de photographes et plasticiens sont souvent captés à l’international lors de grandes expositions en Europe et Occident.

Les Rencontres de la photographie à Arles, qui ont 50 ans, représentent le plus important festival mondial de la photographie : chaque été, y émergent les nouveaux talents, les tendances du secteur, ainsi que les rétrospectives des géants de l’image.

Ce rendez-vous a toujours accordé une attention particulière aux « autres » mondes et aux différents récits : et la galaxie arabe et moyen-orientale, également pour le lien culturel et linguistique qui existe toujours avec la France, jouit à Arles d’une place au soleil.

En 2019, les Rencontres de la photographie à Arles ont accueilli l’artiste libanaise Randa Mirza, photographe et vidéaste active entre Beyrouth et Marseille. Son exposition, intitulée El-Zohra n’est pas née en un jour, consistait en une série de dioramas, chacun racontant un mythe préislamique oublié et obscurci : des œuvres oniriques, conçues pour questionner les formes de représentation et de visualisation supprimées par l’aniconisme (l’interdiction de représenter le visage humain et divin).

Les tensions d’une culture, tiraillée entre modernité et tradition, sont un extraordinaire outil d’inspiration. Aujourd’hui, de plus en plus nombreux, les jeunes artistes du Moyen-Orient choisissent de s’exprimer à travers la photo.

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