Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le numérique sauve les bibliothèques de Jérusalem

Giulia Ceccutti
24 juin 2020
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Une université catholique du Minnesota (Etats-Unis) s'est mise à la disposition de diverses bibliothèques historiques de Terre Sainte pour la numérisation de leur patrimoine livresque le plus précieux. Le bénédictin Columba Stewart coordonne le projet.


La conservation, la transmission et la diffusion du savoir peuvent être – aussi – un moyen de construire des ponts de connaissance et de confiance mutuelle entre chrétiens et musulmans. En témoigne, en Terre Sainte comme dans d’autres pays, le travail du Hill Museum and Manuscript Library (Hmml). Il s’agit d’une organisation à but non lucratif basée à Collegeville, dans le Minnesota (Etats-Unis), près de l’abbaye Saint John et de l’université du même nom, une réalité qui a déjà réussi à sauver plus de 300 000 textes anciens de la guerre, de la détérioration et de la fureur destructrice du fanatisme en les rendant disponibles en format numérique et sur microfilm. L’objectif est de créer la collection numérique la plus complète de manuscrits anciens – chrétiens et musulmans, scientifiques et philosophiques – et de la rendre accessible à tous gratuitement en ligne.

L’entreprise est dirigée par le père Columba Stewart, un moine bénédictin américain qui parcourt le monde en nouant des contacts et en gagnant la confiance de différents interlocuteurs – ordres religieux, bibliothèques, fondations et familles – afin de préserver des manuscrits uniques.

Au cœur des bibliothèques de la Ville Sainte

« A Jérusalem, nous avons commencé en 2011 avec un projet dans le milieu chrétien – explique le père Stewart – et rapidement on nous a demandé de travailler avec l’une des plus importantes familles musulmanes de la ville. Nous avons accepté parce que les communautés chrétienne et musulmane d’ici vivent côte à côte depuis des siècles, tout comme leurs bibliothèques. Celles-ci ne sont qu’une partie d’un patrimoine intellectuel plus vaste qui n’a pas encore été documenté dans son intégralité, contrairement au patrimoine juif. En fait, presque tous les manuscrits juifs du monde ont déjà été photographiés par un projet de la Bibliothèque nationale d’Israël ».

A ce jour, six collections ont déjà été numérisées avec l’aide de techniciens locaux : celle du monastère syriaque orthodoxe de Saint-Marc, celle de l’église Sainte-Anne et quatre collections musulmanes importantes (les bibliothèques Al Budeiry, Al Khaliddiyya, Sheikh Abdul Aziz Al-Bukhari et Dar IssafNashashibi).

A la question de savoir quels ont été les principaux défis rencontrés pour se mouvoir dans la mosaïque de cultures qui caractérise la Ville Sainte, le père Stewart répond naturellement que c’était de : « Naviguer à travers la complexité des différentes traditions, pour trouver des mécènes ou des personnes qui nous soutiennent au sein de chaque communauté, et d’être conscient des menaces que la situation politique et sécuritaire représente pour ces communautés ». Il ajoute aussi : « Sans aucun doute, notre identité en tant qu’organisation parrainée par une université catholique et le fait que je sois moine ont été une aide précieuse, car l’Eglise catholique est respectée pour son soutien au peuple palestinien, musulman et chrétien ».

L’accès aux manuscrits en ligne est également une ressource indispensable pour les universitaires et chercheurs palestiniens qui n’ont pas accès à Jérusalem parce qu’ils vivent de l’autre côté du mur de séparation, en Cisjordanie et à Gaza. « D’une certaine manière, c’est comme s’ils vivaient sur un autre continent : la numérisation aide donc tout le monde, les utilisateurs proches et lointains », conclut le moine.

L’enthousiasme de Shaima Budairy

La coordination de l’ensemble du processus de numérisation à Jérusalem est assurée par une femme, Shaima Budairy, descendante d’une des familles les plus importantes de la ville (la bibliothèque Al Budeiry déjà mentionnée appartenait à son grand-père). « Ce travail, au contact de textes aussi rares, m’a fait apprécier l’unicité des trésors culturels rassemblés dans les bibliothèques familiales de Jérusalem, et a fait grandir encore davantage ma passion pour ce que je fais », raconte-t-elle.

Parmi les principales difficultés rencontrées, Shaima souligne le fait que certains manuscrits étaient si endommagés qu’il était impossible d’en séparer les pages pour les photographier car elles étaient collées les unes aux autres. « Une des leçons, simple mais pas évidente, que mes collègues et moi avons tirée de cette expérience – poursuit-elle – est que ces héritages devraient être mieux préservés de façon à tenir compte des facteurs environnementaux ». Les six collections entièrement numérisées se trouvent désormais en sécurité à Jérusalem, dans des lieux protégés. Et le plus important, souligne Shaima, « est qu’ils sont accessibles gratuitement dans la salle de lecture virtuelle Hmml, afin que toutes les parties intéressées puissent voir, étudier et promouvoir l’histoire de Jérusalem de diverses manières ».

L’héritage de la Grande Mosquée de Gaza

Enfin, il convient de noter le dernier projet en cours – mené en collaboration avec la British Library (Bibliothèque nationale du Royaume-Uni – ndlr), le sponsor principal – qui concerne la collection de manuscrits de la Grande Mosquée al-ʿUmarī à Gaza.

Le catalogue, composé de 208 manuscrits originaux, va des sciences islamiques aux sciences humaines, avec de nombreux textes de jurisprudence (fiqh), appartenant à la tradition prophétique (Ḥadīth) et

à ses disciplines associées. Il comprend également des œuvres littéraires de valeur, comme le recueil de poèmes (Dīwān) du poète Ibn Zaqāʿah al-Gazzī.

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