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L’Eglise chypriote en croisade contre une chanson satanique

Christophe Lafontaine
10 mars 2021
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L’Eglise chypriote en croisade contre une chanson satanique
Dans un communiqué signé depuis son palais archiépiscopal, l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre à Nicosie, a appelé au retrait de la chanson « el Diabolo » qui pour elle promeut l'adoration du diable © A.Savin / Wikimedia Commons

La chanson choisie pour représenter Chypre à l'Eurovision a créé un énorme tollé sur l'île d’Aphrodite. Eglise et fidèles orthodoxes l’accusent de louer Satan. Cependant, elle reste maintenue au concours.



Décidément la Terre Sainte et l’eurovision alimentent bien les médias. En 2018, l’Israélienne Netta Barzilai remportait le 63e Concours Eurovision de la chanson pour le compte de son pays. Et ce, avec une chanson appelée « Toy », au ton complètement déjanté assorti de cris de poule imités par la chanteuse. Israël a donc été désigné, comme le stipule les règles du jeu, comme l’hôte organisateur de l’édition suivante du concours. S’en est suivie un vrai parcours du combattant entre les problèmes géopolitiques – Tel Aviv ou Jérusalem ? -, ou les questions religieuses liées au shabbat. Le tout sur fond de controverse : la chanteuse étant accusée de plagiat…

Pour l’édition 2021, c’est au tour de Chypre dont la majorité du 1,2 million d’habitants sont chrétiens orthodoxes, de faire diablement la une. Le scandale vient de la chanson « El Diablo » (Le diable en espagnol) qui a é été sélectionné pour représenter l’île au concours de l’Eurovision du 18 au 22 mai à Rotterdam, aux Pays-Bas. Ce titre pop est interprété, dans un genre voisin à celui de « Lady Gaga », par l’actrice et chanteuse grecque Elena Tsagrinou qui chante en anglais avec quelques mots espagnols : « Ce soir nous allons brûler dans une fête, c’est le paradis en enfer avec toi ». Ou encore le refrain : « J’ai donné mon cœur à El Diablo… Parce qu’il me dit que je suis son ange ».

« Pourquoi est-ce si difficile de sélectionner des artistes de notre île ? »

Très vite, la Cyprus Broadcasting Corporation (CyBC) – la télévision publique chypriote – qui en a diffusé le clip il y a 15 jours, a fait l’objet d’appels téléphoniques menaçants. Par ailleurs, un syndicat de professeurs d’éducation religieuse pour les lycéens a publié un communiqué deux jours plus tard pressant la CyBC d’abandonner la chanson. Le syndicat exprimant son « dégoût » au sujet des paroles de la chanson sélectionnée pour la compétition européenne prévue en mai, estimant que la chanteuse « louait Satan, lui dédiait sa vie et l’aimait ». Le syndicat a intimé à la CyBC de retirer le titre de ses antennes, et s’interroge également sur les critères de la radio-télévision publique de Chypre pour « sélectionner des chansons d’une si faible qualité » : « Pourquoi est-ce si difficile de sélectionner des artistes de notre île (…) qui peuvent promouvoir notre culture et notre tradition musicale dans les compétitions de musique internationales ? »

Le 6 mars dernier, des dizaines de fidèles chrétiens orthodoxes portant des croix en bois ont chanté des hymnes religieux devant la CyBC. Certains manifestants, dont des familles entières, ont brandi des pancartes avec des légendes en grec : « Nous protestons pacifiquement, non à El Diablo » ou « Le Christ sauve, le diable tue », a rapporté l’Associated Press.

« Nous vivons sur une terre chrétienne orthodoxe »

La manifestation est intervenue plusieurs jours après que l’influente Eglise orthodoxe de Chypre, via son Saint Synode, l’assemblée des évêques, a réagi dans un communiqué daté du 2 mars. En exprimant son « fort désaccord » et sa « déception » quant au fait que la chanson « loue la soumission fataliste des humains à l’autorité du diable » au lieu de « contribuer à la promotion des droits de nos peuples, et de faire connaître leurs exigences de liberté et de prééminence des valeurs morales ». Les évêques du Synode ont en outre appelé au retrait de la chanson : « Nous demandons au gouvernement, qui nomme le conseil d’administration de la CyBC et devant lequel il est responsable, de travailler à l’annulation de la sélection de cette chanson, et à son remplacement par une autre qui exprime notre histoire, notre culture, nos traditions et nos aspirations ».

L’Eglise orthodoxe de Chypre a par ailleurs déploré que les paroles de la chanson « ne cessent de représenter une triste sous-culture indigne de la culture et des valeurs de notre peuple, et qui s’oppose à ses traditions grecques et orthodoxes ». « Nous vivons, ont rappelé les évêques, sur une terre chrétienne orthodoxe où, depuis 2000 ans, notre Seigneur Jésus-Christ, par la présence des apôtres Barnabé et Paul et la nuée des Saints et des martyrs de notre foi, abolit le pouvoir du diable et libère les gens des chaînes de la corruption et de la mort. Ne devenons pas oublieux et transgresseurs de cette vérité. »

Si la polémique a pris une dimension politique après que l’Eglise orthodoxe en a appelé au gouvernement, le porte-parole de ce dernier a cependant déclaré respecter tous les points de vue, notamment les préoccupations de l’Eglise orthodoxe mais aussi la liberté d’expression et la création artistique. Autrement dit, le gouvernement n’interviendra pas.

La télévision publique campe sur ses positions

Si une pétition pour le retrait de la chanson a généré près de 20 000 signatures à l’heure actuelle, la CyBC assure, dans un communiqué, que la chanson a été mal comprise et qu’elle parle de « l’éternelle lutte entre le bien et mal ». De son côté, la chanteuse a expliqué que la chanson raconte l’histoire d’une femme qui crie au secours parce qu’elle est tombée amoureuse d’un « bad boy » surnommé « el Diabolo » qui la maltraitait. « La chanson véhicule un message fort contre les abus sous toutes ses formes », a déclaré Tsagrinou dans un communiqué. A ce jour, la télévision publique chypriote a déclaré qu’elle ne retirera pas « El Diablo » du Concours de l’Eurovision en mai.

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