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Un an après l’explosion, Beyrouth peine à panser ses plaies

Jacques Berset à Beyrouth pour cath.ch
3 août 2021
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Un an après l’explosion, Beyrouth peine à panser ses plaies
Dans les rues de Gemmayzé, quartier chrétien dévasté près du port de Beyrouth. Les plus pauvres cherchent la nourriture dans les poubelles © Jacques Berset

A la veille des commémorations du premier anniversaire de la gigantesque explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et les quartiers chrétiens le 4 août 2020, et fait plus de 200 morts et 6 500 blessés, les Libanais oscillent entre révolte et fatalisme.


Sur le mur bordant la route qui longe le port s’égrainent les noms des «martyrs» tués par la déflagration, avec quelques photos d’enfants déjà délavées par le temps qui passe. Une immense sculpture de ferraille tordue, forme humaine tenant à bout de bras une colombe de métal, se dresse devant les ruines des silos à grains éventrés par l’explosion de 2’750 tonnes de nitrate d’ammonium, stockés dans un hangar du port sans surveillance depuis 2014.

«Elle a été montée par les manifestants de la ›thawra’ (la révolution) qui protestent contre le gouvernement depuis octobre 2019. Les gens n’en peuvent plus de l’establishment politique qui se partage le gâteau sans se soucier des besoins de la population…», lance l’avocat Wajih Raad, frère du Père Samih Raad, qui nous guide dans les rues de Gemmayzé qui portent encore de nombreuses stigmates du funeste 4 août 2020.

Sur le mur qui borde la route qui longe le port s’égrainent les noms des «martyrs» qui ont été tués par la déflagration du 4 août | © Jacques Berset

Deuil national

Le premier anniversaire de cette terrible journée a été décrété journée de deuil national par le Conseil des ministres, avec suspension du travail dans les administrations et les institutions publiques. La foule se rassemblera au port de Beyrouth pour une cérémonie présidée par le patriarche maronite Béchara Raï.

La population accablée par la profonde crise qui assaille le pays depuis octobre 2019, une corruption endémique, des infrastructures publiques en déliquescence, des hôpitaux au bord de la rupture par la pandémie de Covid-19, ne voit pas le bout du tunnel.

Dans les hôpitaux, nombre d’infirmières sont parties travailler à l’étranger, il en est de même pour les médecins. Des professeurs des écoles catholiques, dont le salaire ne suffit plus à nourrir leur famille, démissionnent en vue d’émigrer. A la fin de l’an dernier, plus de 380’000 demandes de formulaires d’émigration ont été adressées aux ambassades des pays de l’Union européenne, du Canada et des Etats-Unis… L’avenir du pays paraît bien sombre!

Une majorité entre pauvreté et misère

Largement plus de 50% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. On peut même parler aujourd’hui de misère. Au Collège de la Sainte Famille Française à Jounieh, à une bonne vingtaine de kilomètres de Beyrouth, Sœur Eva Abou Nassar, responsable administrative, confie qu’elle a perdu une vingtaine d’enseignants en juin et juillet.

«La plupart veulent émigrer, car ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Le pouvoir d’achat a drastiquement chuté: si avant la crise, un salaire de débutant de 1,525 million de livres libanaises (LL) équivalait à environ 1’000 dollars, avec la chute de la LL, il ne vaut plus que 75 à 80 dollars aujourd’hui. Un professeur avec expérience gagne le double, mais cela reste largement insuffisant. Quand avant la crise, un dollar valait 1’500 LL, il s’échange sur le marché parallèle pour 18’900 livres».

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Et comme le Liban importe quasiment tous ses biens de consommation, tout se paie par rapport au dollar. «Une boîte de lait pour bébé – et il en faut deux par semaine -, coûte 250’000 LL. L’abonnement d’un générateur pour l’électricité (car l’électricité publique n’est fournie que 2 à 4 heures par jour) s’élève à 600’000 LL par mois, alors que le salaire minimum est de 675’000 LL. Une pièce de rechange pour la voiture, revient à 2 à 4 mois de salaire… Ici à Jounieh, une ville qui n’a pas la réputation d’être pauvre, des familles vont chercher de la nourriture dans les poubelles, tôt le matin, pour ne pas se faire voir!»

«On s’en sortira !»

Nombreuses sont les boutiques qui ont baissé leur rideau de fer, les restaurants qui se suivaient dans les rues passantes sont presque tous fermés, le quartier semble mort: rien à voir avec les années d’avant crise. « L’ambiance est morose, les gens aimeraient pouvoir partir, mais comment ? », relève Wajih, qui se veut pourtant optimiste contre toute attente, l’espoir chevillé au corps. « Il faudra plusieurs années, mais on s’en sortira ! »

Juste à côté, dans le quartier de Mar Mikhaël, l’imposant bâtiment du siège de l’Electricité du Liban, complètement dévasté, montre ses fenêtres béantes. Tout près, une grande fresque murale déjà décrépie, avec cette phrase: « Qu’est-ce que nous réserve l’avenir ? »

«Le pape François nous donne de l’espoir pour affronter cette crise, en appelant l’Eglise universelle à ne pas nous laisser tomber. Le pape ne va pas abandonner l’Eglise du Liban! Nous retrouvons une certaine confiance, malgré toutes les difficultés. Pourquoi avoir peur de l’autre, quand nous avons la foi en Jésus-Christ! Dans une société majoritairement musulmane, à partir des valeurs chrétiennes, nous devons être les ferments. Le ferment, c’est petit, mais cela change toute la pâte!», conclut le Père Raymond Abdo, Provincial de l’Ordre des Carmes Déchaux au Liban, qui nous accueille dans le couvent de Notre Dame du Mont Carmel, à Hazmieh, dans la banlieue de Beyrouth. (cath.ch/be/bh)

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