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Pourquoi Jérusalem s’attend à un Ramadan explosif

Cécile Lemoine
30 mars 2022
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Pourquoi Jérusalem s’attend à un Ramadan explosif
Porte de Damas un soir de Ramadan, 26 avril 2021 ©Olivier Fitoussi/Flash90

Après trois attentats et onze morts en une semaine, Israël est en alerte sécuritaire maximale. La concordance du Ramadan, de Pessah et des Pâques chrétiennes fait craindre une nouvelle flambée de violence, un an après les échanges de roquettes entre Gaza et Israël.


Cinq Israéliens ont trouvé la mort mardi 29 mars au soir dans une fusillade menée par un Palestinien des Territoires à Bnei Brak, dans la banlieue de Tel-Aviv. C’est la troisième attaque en l’espace d’une semaine. Les deux premières, une au couteau à Be’er Sheva, et une fusillade à Hadera, ont provoqué la mort de 6 personnes. Perpetrées par des citoyens arabes Israéliens, elles ont été revendiquées par l’Etat Islamique.

Cela fait six ans qu’Israël n’avait pas connu une telle série d’attentats. Les services de sécurité sont en alerte maximale alors que les Palestiniens célèbrent le jour de la Terre ce mercredi 30 mars et que le mois sacré de Ramadan doit débuter samedi 2 avril. Cette période, qui voit entre 100 000 et 200 000 musulmans affluer tous les vendredis sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem est régulièrement source de tensions, du fait d’une présence policière accrue et de contrôles renforcés. L’année dernière, la décision de placer des barrières de contrôle à l’entrée de la porte de Damas avait généré de violents affrontements et, dans un état de tensions variées, une guerre de 11 jours entre Israël et la bande de Gaza au mois de mai.

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Parce que cette année le Ramadan musulman se téléscope avec la Pâque juive (15-22 avril), et les Pâques chrétiennes (17 avril pour les catholiques et 24 avril pour les orthodoxes), la situation est particulièrement scrutée à Jérusalem : la vieille ville va être inondée de pèlerins de trois religions différentes durant tout le mois d’avril. « On peut craindre des semaines agitées », ont prévenu les services consulaires français dans un mail envoyé à leurs ressortissants avant d’inviter à la prudence dans les déplacements.

Pression sécuritaire accrue

Suites aux attaques, l’armée israélienne a déclaré qu’elle renforçait ses troupes en Cisjordanie et dans les zones frontalières avec quatre bataillons supplémentaires. La police envisage quant à elle d’avoir recours à ses compagnies de réservistes et de recruter environ 500 volontaires, ont rapporté les médias israéliens. « L’ensemble des services de sécurité – Tsahal, le Shin Bet et la police – travaillera par tous les moyens pour rétablir la sécurité dans les rues d’Israël et un sentiment de sécurité pour les citoyens », a déclaré Benny Gantz, ministre Israélien de la Défense lors d’une conférence de presse le 29 mars. Une pression sécuritaire accrue qui a le potentiel de mettre de l’huile sur le feu alors que la situation est déjà tendue.

Une unité de police israélienne surveille les abords de la porte de Damas un soir de Ramadan, 9 mai 2021 ©Yonatan Sindel/Flash90

Côté Israélien, les attaques revendiquées par l’Etat Islamique et perpétrées par des citoyens Israéliens d’origine arabe au coeur des villes sont une nouveauté qui inquiète. Leur préparation est passée sous le radar des services de renseignement israélien. C’est l’une des « pires peurs d’Israël qui devient réalité », écrit le journaliste Hamos Arel dans une analyse pour le journal Haaretz. La dernière action a y avoir été revendiquée par Daech (acronyme de l’Etat islamique en arabe) remonte à juin 2017.

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Celles du mois de mars surviennent dans le contexte du « Sommet du Néguev », une rencontre entre les chefs de la diplomatie des Etats-Unis, de l’Egypte, des Emirats, du Bahreïn et du Maroc (les trois derniers étant signataires des Accords d’Abraham qui visent à normaliser les relations entre Israël et certains pays arabes), organisée les 27 et 28 mars dans le désert Israélien.

En réponse aux attentats, Itamar Ben Gvir, un homme politique d’extrême-droite connu pour sa rhétorique anti-arabe, a déclaré qu’il avait l’intention de visiter l’enceinte de l’Esplanade des Mosquée ce mercredi 30 mars. Un geste de pure provocation alors que les Palestiniens commémorent le Jour de la Terre, qui rappelle l’expropriation par le gouvernement israélien de terres appartenant à des Arabes en Galilée le 30 mars 1976 et les émeutes meutrières qui ont suivies.

Nerfs à vif

Côté Palestinien, les nerfs aussi sont à vifs. Dix Palestiniens ont été tués ces dernières semaines dans de violents affrontements avec les troupes israéliennes. A Sheikh Jarrah, ce quartier de Jérusalem-Est épicentre des affrontements de mai 2021, l’expulsion de quatre familles palestiniennes a été suspendue par la Cour Suprême israélienne fin février, mais les pressions des organisations de colons juifs qui cherchent à récupérer la propriété de leurs biens sont quotidiennes. 

La rapidité des sanctions prises contre la Russie a également été vécue avec amertume par les Palestiniens, qui dénoncent le « deux poids deux mesures » des réponses occidentales. « Si la commission Européenne peut interdire l’importation de biens issus des territoires Ukrainiens occupés par la Russie, pourquoi ne le fait-elle pas pour tous les territoires occupés ? », s’interrogeait Inès Abdel-Razek, directrice du plaidoyer à l’Institut palestinien de la diplomatie publique (PIPD), en référence à Israël, dans nos colonnes plus tôt ce mois-ci.

Affrontements entre la police et des Palestiniens pendant une manifestatino à Sheikh Jarrah, le 4 mars 2022 ©Jamal Awad/Flash90

Les Palestiniens sont enfin confrontés depuis un mois à une hausse des prix de tous les produits de base : fruits, légumes, farine, lait, essence, matériaux de construction… Jack, un pâtissier du quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, note, désabusé, que le prix du kilo de farine a augmenté de 40% en un mois, passant de 2,5 shekels à 4 shekels (0,7 euros et 1,12 euros). Une hausse qu’il n’a pas reporté sur le prix de ses gateaux. « Les gens n’en n’achèteraient plus. Ils n’ont pas d’argent », soupire-t-il, les yeux fatigués.

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Une situation liée à « la spéculation des grands requins de l’importation en Palestine qui utilisent la guerre en Ukraine comme un prétexte pour faire monter les prix de produits déjà achetés », explique Qassam Muaddi, journaliste palestinien fin observateur de la société palestinienne. En février, des centaines de manifestants ont défilé à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, pour protester contre cette hausse du coût de la vie. Une colère latente que l’Autorité Palestinienne a tenté de calmer en fixant des prix maximum pour certains produits comme le pain (3 ou 4 shekels le kilo) et le poulet (15 shekels le kilo).

Conscients de l’explosivité de la situation, Israël, l’Autorité Palestienne et la Jordanie tentent de calmer le jeu. Isaac Herzog, le président Israélien a prévu de rencontré le roi Abdallah II de Jordanie ce mercredi 30 mars pour discuter du maintien de la stabilité régionale. Le souverain hachémite s’était entretenu plus tôt dans la semaine avec le président de l’Autorité Palestinienne, sur les mêmes sujets. Mahmoud Abbas a quant à lui condamné l’attaque de Bnei Brak, soulignant dans un rare communiqué que « le meurtre de civils palestiniens et israéliens ne fait que conduire à une dégradation de la situation », avant de conclure : « Nous avons tous pour objectif de stabiliser la situation. »

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