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L’autel croisé au Saint-Sépulcre, typique de l’art à Rome au Moyen-Age

Christophe Lafontaine
20 avril 2022
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L’autel croisé au Saint-Sépulcre, typique de l’art à Rome au Moyen-Age
Face frontale décorée du maître-autel cosmatesque de l'église du Saint-Sépulcre ©Autorité des antiquités israéliennes

Le 13 avril, des chercheurs ont annoncé la redécouverte du maître-autel médiéval du Saint-Sépulcre à Jérusalem. C’est la deuxième pièce d'art cosmatesque de ce type et de cette qualité se trouvant hors d'Italie.


Lors de travaux de rénovation en 2016-2017 dans l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem, des chercheurs ont redécouvert la partie principale du maître-autel médiéval du lieu saint chrétien. L’artéfact avait déjà été découvert à la fin des années 60. Il s’agit d’une dalle de pierre de 2,5 x 1,5 mètres. Les chercheurs travaillant dessus ces dernières années ont entrepris des recherches supplémentaires, précisé et prolongé les conclusions faites il y a 50 ans par le père franciscain Virgilio Corbo, archéologue de son état.

Des éléments décoratifs et structurels suggèrent que cette plaque a été utilisée comme façade d’un grand autel rectangulaire. Les chercheurs ont annoncé à Reuters le 13 avril dernier, qu’il s’agissait du pallioto c’est-à-dire la face frontale décorée du maître-autel qui fut consacré le 15 juillet 1149 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la conquête de Jérusalem par les Croisés.

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La célébration de ce jour-là a également vu l’achèvement d’un grand projet de construction qui a fusionné l’église médio-byzantine (Xe au XIIe siècle) construite par l’empereur Constantin IX Monomache avec une plus grande extension croisée bâtie en style roman. Ces deux églises ont été construites à l’endroit où Jésus a été crucifié, enterré et ressuscité.

Un autel utilisé par les latins pendant 53 ans

Amit Re’em, archéologue et responsable régional pour Jérusalem au sein de l’Autorité israélienne des antiquités nous explique que la dalle a été redécouverte placée contre le mur directement à gauche de l’entrée de la chapelle de la prison du Christ, construite sur le site où, selon la tradition chrétienne, Jésus a été détenu par des soldats romains juste avant d’être crucifié. La prison se trouve dans la partie du Saint-Sépulcre « sous souveraineté » de l’Eglise grecque-orthodoxe.

A l’origine, l’autel se trouvait dans l’abside principale – le lieu le plus central – de l’église principale des Croisés, à l’est du « chorus dominorum », le Chœur des Chanoines à l’époque des croisades, qui correspond aujourd’hui au catholicon grec-orthodoxe (c’est-à-dire la principale église) situé au centre de la basilique, face à la rotonde qui abrite le tombeau du Christ.

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Selon les chercheurs, le maître-autel a été utilisé par les catholiques latins depuis sa consécration en 1149 jusqu’à la conquête de Saladin en 1187, puis à nouveau lors du deuxième épisode croisé à Jérusalem en 1229-1244. Les grec-orthodoxes ont utilisé le maître-autel entre 1187 et 1229, puis de 1244 à 1808. Au total, les latins l’ont utilisé pendant 53 ans et les grecs-orthodoxes pendant 606 ans. En 1808, il fut endommagé par un incendie. L’autel se serait ensuite « perdu dans la brume des temps pendant des décennies », jusqu’à ce qu’il refasse surface. Amit Re’em a expliqué que la dalle de pierre avait été oubliée car elle était située dans un coin sombre de l’église, posée à l’envers et recouverte de graffitis laissés par les pèlerins.

Un pur exemple de l’art cosmatesque

Sur l’avers retourné, on peut remarquer des ornements en boucle élaborés. Toutefois, « vous ne pouvez pas le voir aujourd’hui, mais à l’origine, il était incrusté de morceaux de marbre précieux, de morceaux de verre, de petits morceaux de marbre finement travaillés », a déclaré à l’agence Reuters, Amit Re’em. Littéralement, « il brillait », a déclaré celui qui a mené les fouilles avec l’historien Ilya Berkovich de l’Institut de recherche IHB de l’Académie autrichienne des sciences.

Ce dernier nous fait remarquer qu’à ce titre, « ce n’est pas seulement le maître-autel de l’église du Saint-Sépulcre que nous avons identifié. Nous parlons de la deuxième pièce d’art cosmatesque de ce type et de cette qualité trouvée en dehors de l’Italie ». Le seul autre exemple connu à ce jour, explique-t-il, se trouve à Londres, où le roi Henri III d’Angleterre (1207-1272) a chargé le maître romain Pietro di Oderisio de décorer le sanctuaire du roi Edouard Ier le Confesseur (˜ 1003-1066) et plusieurs autres éléments dans l’abbaye royale de Westminster, à Londres.

Dessin de la reconstitution de l’autel croisé au Saint-Sépulcre à partir des 2/3 découverts au Saint-Sépulcre © Roy Albag

L’art « cosmatesque », typique du Moyen-Age en Italie, combine les arts classique, byzantin et islamique ancien qui se distingue par des pavements élaborés ou marqueterie de marbre pour des colonnes, chaires ou autels, grâce à des morceaux de marbre coloré ou de porphyre rouge et vert finement taillés en triangle, carré, parallélogramme, disque ou rectangle qui étaient réemployés à partir de ce que pouvaient fournir les ruines romaines. Le nom vient des Cosmati, l’une des confréries d’artisans marbriers, mosaïstes et sculpteurs des XIIe et XIIIe siècles qui ont œuvré à l’intérieur d’églises datant des XIIe et XIIIe siècles, à Rome, à l’instar de la basilique Sainte-Marie-Majeure, Saint-Paul-hors-les-Murs ou encore Saint-Jean-de-Latran.

Le quinconce, la quintessence du symbolisme cosmatesque

« L’autel du Saint-Sépulcre porte l’un des motifs les plus caractéristiques de l’art cosmatesque – le quinconce », indique Ilya Berkovich. Il s’agit d’un ornement géométrique composé de cinq disques reliés par une seule bande d’entrelacs, créant une figure pouvant s’inscrire dans un rectangle. Le quinconce est chargé d’une profonde signification spirituelle, symbolisant – entre autres – l’infinité de Dieu, les cinq éléments et les cinq plaies du Christ.

« Ce que nous voyons à Jérusalem, ce sont en quelque sorte les ‘‘négatifs’’ », nous explique Ilya Berkovich. C’est-à-dire que l’on peut voir les cercles creusés où devaient être incrustés les morceaux de marbre, de porphyre ou de verre. « Seuls quelques-uns des disques de marbre sont encore insérés à leur place d’origine », souligne-t-elle.

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A noter qu’il y avait à l’origine sur la dalle deux champs rectangulaires identiques, qui étaient séparés symétriquement, par une bande serpentine. Les deux tableaux portaient chacun un quinconce aplati et formaient la dalle de façade de l’autel. « Il existe d’autres endroits dans le Saint-Sépulcre où des ornements cosmatesques ont été employés à l’époque des Croisés, et nous avons pu reconstituer le délicat motif de maçonnerie dans lequel ils étaient incrustés », s’est réjoui Ilya Berkovich (voir dessin).

Les travaux des chercheurs seront publiés par l’Israel Exploration Society d’ici la fin de l’année dans le prochain volume de la revue « Eretz Israel ».