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Téléphérique à Jérusalem: feu vert de la Cour suprême d’Israël

Christophe Lafontaine
17 mai 2022
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Téléphérique à Jérusalem: feu vert de la Cour suprême d’Israël
Ici, le nouveau téléphérique dans la ville de Haïfa, au nord d'Israël, le 8 mars 2022. © Shir Torem/Flash90

La Cour suprême israélienne a rejeté le 15 mai quatre requêtes contre la construction d'un téléphérique à Jérusalem, mettant fin à tout recours légal possible. Les opposants promettent de ne pas baisser les bras.


« Il ne s’agit pas d’un téléphérique vers la vieille ville mais d’un téléphérique vers la colonie de Silwan, pour laquelle Jérusalem est transformée en Disneyland ». Ces propos sont ceux d’Hagit Ofran, de l’ONG « La paix maintenant » qui suit de près l’évolution de la colonisation israélienne.

Il a réagi sur son compte Twitter après que la Cour suprême a décidé de rejeter hier quatre pétitions lancées ces dernières années contre le projet de construction d’un téléphérique à Jérusalem, qui relierait différents quartiers à la vieille ville. Le projet est promu par l’Autorité de développement de Jérusalem et le ministère du Tourisme en tant que projet d’infrastructure nationale.

La question politique et idéologique avait été l’une des objections soulevées dès le début de l’annonce du projet. Car le téléphérique passerait, selon les plans, au-dessus d’habitations palestiniennes. Les Palestiniens estiment que le projet effacera dès lors leur patrimoine dans les zones de la future capitale de l’Etat auquel ils aspirent et craignent en parallèle la judaïsation du secteur oriental de Jérusalem, notamment avec une emprise sur Silwan, au sud-est de la Cité de David où se trouverait le terminus du téléphérique.

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Un communiqué du ministère palestinien des Affaires étrangères a d’ailleurs qualifié le projet de téléphérique de « partie intégrante de la campagne de judaïsation d’Israël à Jérusalem en vue d’éroder son identité palestinienne, islamique et chrétienne ».

D’autres arguments d’ordres environnementaux, architecturaux, archéologiques ou religieux ont aussi été ces dernières années mout fois avancés contre le projet.

Un projet qui devrait voir le jour dans un avenir proche

En vain, donc, puisque « le projet devrait maintenant être lancé dans un avenir proche », juge le journal Haaretz. Le maire de Jérusalem, Moshe Lion, s’est quant à lui félicité de la décision sur son compte Facebook : « La Haute Cour a rejeté toutes les objections au projet et celui-ci est en cours ».

Le juge Yosef Elron au nom d’un panel de trois magistrats a, de fait, déclaré hier que la Cour avait affirmé que toutes les procédures de planification appropriées avaient été suivies, et ajouté que le projet de téléphérique n’aidera pas seulement en termes de transport, mais sera aussi une attraction touristique. 

Ainsi, selon elle, il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne soit pas porté par le ministère du Tourisme.

Le projet, d’un montant de plus de 200 millions de shekels (soit 59 millions d’euros), approuvé par le gouvernement en 2019 devrait compter 41 cabines et pourra transporter jusqu’à 3 000 personnes par heure. Les cabines seront suspendues sur une quinzaine de pylônes, de 9 à 26 mètres de haut. Selon les plans, le téléphérique se déplacera à une vitesse de 21 km/h sur un parcours de 1,4 km pour une durée de 4 minutes et demi, et comprendra trois arrêts. Il partira de l’ancienne gare de Jérusalem, à l’ouest de la ville, traversera la vallée de Hinnom (la Géhenne) et atteindra une première station sur le mont Sion.

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De là, il longera les remparts de la vieille ville et terminera son parcours à la Porte des Immondices, près du mur Occidental dans une gare qui sera construite dans le centre Kedem de l’association de droite Elad, qui exerce un contrôle important sur la partie principale du « parc des murs de Jérusalem », la Cité de David à Silwan, quartier palestinien de Jérusalem-Est, au sud de la vieille ville.

Les défenseurs du projet affirment que le téléphérique sera une attraction touristique et permettra aussi de désengorger efficacement les flux de touristes et de pèlerins vers la vieille ville, et de résoudre ainsi les problèmes de circulation et de stationnement.

La bataille juridique close, une contestation publique s’ouvre

Pour autant, l’ONG israélienne Emek Shaveh, l’un des principaux acteurs dont la pétition a été rejetée, a qualifié cette décision de « hautement lamentable » sur Facebook. « La décision d’autoriser un plan qui a été décrié par des architectes de renommée internationale comme hautement destructeur pour la ville historique causera des dommages irréversibles à un site unique du patrimoine mondial. La cour a prouvé une fois de plus qu’elle est un acteur politique. Notre combat contre le plan continue », a encore déclaré l’organisation, dont le but est de lutter contre l’appropriation de l’archéologie à des fins politiques.

« Bien que la Haute Cour ait approuvé la construction du téléphérique, cela ne signifie pas que le téléphérique doit être construit !! La bataille juridique est terminée et maintenant la lutte publique commence ! », a aussi annoncé Emek Shaveh.

Déjà 4 200 personnes à l’heure où a été écrit cet article ont signé une pétition lancée par l’ONG pour demander au gouvernement israélien de ne pas mettre en œuvre le plan. La pétition rejoint l’appel de 75 intellectuels et architectes qui ont déjà appelé par le passé le gouvernement israélien à annuler le plan qui nuirait aux paysages historiques de Jérusalem et la lettre d’une trentaine d’architectes parmi les plus importants du monde qui avaient aussi fait la même demande au gouvernement israélien.

Plus d’inconvénients que d’avantages

Reste à savoir si et comment Merav Mihaeli la ministre israélienne des Transports pourra appuyer dans ce sens. Elle avait estimé que le projet de téléphérique posait trop de problèmes environnementaux et politiques et qu’il présentait plus d’inconvénients que d’avantages.

Parmi les autres pétitionnaires, désormais privés de recours légal, figuraient également des militants pour la défense de l’environnement critiquant les atteintes au paysage biblique, historique et environnemental, mais aussi des propriétaires de magasins de la vieille ville de Jérusalem, qui craignent un détournement des flux touristiques loin de leurs commerces, et la communauté juive Karaïte – un mouvement séparé au début du IXe siècle qui redoute que le téléphérique profane les sépultures des morts de leur cimetière qui se trouve dans la vallée de Hinnom et qui est toujours en activité.

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Certaines tombes datent de 2 000 ans. Or pour les Karaïtes, il est interdit de se tenir sous un toit où les morts sont enterrés et par conséquent, un téléphérique est équivalent à un toit. Cependant, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de solution idéale au global et que l’équilibre trouvé par le gouvernement et le Comité national des infrastructures était « approprié et proportionné ».

Dans un « policy paper », une coalition d’une dizaine de groupes, dont Emek Shaveh, opposés au projet de téléphérique a demandé que soit annulé le projet et qu’il soit remplacé par un autre qui soit « dirigé par le ministère des Transports en collaboration avec des professionnels de divers domaines, afin de préserver le caractère unique et la beauté de Jérusalem ».

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