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Qassam: « Le manque d’ouverture asphyxie la présence chrétienne en Terre Sainte »

Cécile Lemoine
1 février 2023
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Qassam: « Le manque d’ouverture asphyxie la présence chrétienne en Terre Sainte »
Qassam Muaddi, journaliste en Territoires Palestiniens ©DR

Journaliste de 34 ans, Qassam Muaddi est né en Colombie avant de venir habiter à Taybeh, le village de son père. Catholique de rite latin, il s’interroge sur le sens et le but que les chrétiens devraient donner à leur présence en Terre Sainte. Pour lui c'est indissociable d’un engagement social.


Comment définiriez-vous votre relation à l’Église ?

J’en fais partie. Je suis baptisé. Mais on ne choisit pas sa famille. C’est dans mon éducation et une partie importante de mon identité. Il y a eu une période où toutes mes activités étaient tournées vers l’Église. À Taybeh on a commencé par organiser des groupes de volontariat systématique : chercher comment on pouvait rendre service dans le village, une ou deux fois par mois. En même temps, on s’intéressait à la culture. On avait déjà conscience que son accès était très restreint, réservé à une élite, plutôt à Ramallah. On voulait mettre du contenu palestinien, patriotique. On a géré une bibliothèque pendant quatre ans pour les enfants et les adolescents de Taybeh.

Pourquoi était-ce important pour vous de vous engager ?

Parce que sinon il n’y a pas de sens. Je vais au bureau huit heures par jour, et après je fais quoi ? Si j’ai décidé de vivre ici, c’est pour m’impliquer et défendre quelque chose. Mais plusieurs choses ont fini par m’éloigner de l’Église. Quand le curé de Taybeh a changé, en 2012, on a commencé à comprendre que le patriarcat latin n’était pas d’accord avec ce qu’on faisait.

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On était en dehors des cadres, on n’était pas structuré comme les groupes de catéchisme ou les groupes de jeunesse. Le nouveau prêtre nous a demandé d’arrêter nos activités. Il y a aussi de l’hypocrisie de la part de certains responsables religieux, qui nous ont enflammé l’esprit quand on était plus jeune, au moment des Intifadas, et qui ont été les premiers à aller serrer les mains des officiers israéliens à Noël ou à Pâques.

Quels sont les problèmes de l’Église de Terre Sainte ?

Elle n’arrive pas à trouver son rôle dans le contexte politique. Elle se soucie de son existence, mais elle ne sait pas dans quel but. Maintenir une présence chrétienne, ça ne veut rien dire. Pour quoi faire ? Quel est le rôle des chrétiens ? L’Église n’a pas compris qu’il faut que les laïcs aient un rôle dans la gestion de leur Église. Ils veulent qu’on aille à la messe, qu’on se marie entre nous et qu’on travaille dans leurs institutions. C’est ça notre rôle. Le reste, c’est eux qui gèrent. Comme à l’époque ottomane. Les temps ont changé, mais l’Église n’évolue pas.

« Être chrétien en Terre Sainte, c’est d’abord appartenir à une communauté, à une certaine classe sociale »

L’Église ne pense pas à créer ces espaces où on peut s’impliquer comme chrétien dans la société. La groupe de la jeunesse chrétienne de Palestine m’a demandé de m’investir. Mais c’est trop structuré et hiérarchisé. Je comprends que ça soit stimulant quand on a 20 ans. On a l’impression de faire partie de quelque chose. Mais quel est le produit final ? Ils font des rencontres où ils prient, et ils font des fêtes. Ça amène à quoi ? Ils ont un comité pour la prière, pour la musique, pour la catéchèse… Mais ils n’ont pas de comité pour l’action sociale. Ils n’y ont même pas pensé. Ce manque d’ouverture et d’envie de faire partie de la société, ça asphyxie la présence chrétienne en Terre Sainte. Tous les chrétiens que je connais qui sont impliqués socialement, politiquement… tous, sont dissociés de l’Église. Ça dit quelque chose.

Qu’est-ce qu’être un chrétien en Terre Sainte ?

C’est moins lié à la foi qu’à une situation sociale. C’est d’abord appartenir à une communauté, à une certaine classe sociale. Ça influence comment tu choisis de vivre. Les gens veulent se distinguer des musulmans, en se montrant plus raffinés, en prétendant être plus riches qu’ils ne le sont. Il faut aller au restaurant toutes les semaines pour montrer qu’on est différent, quitte à s’endetter. Ces comportements sont le produit du communautarisme. L’Église en tant qu’institution ne fait pas grand-chose pour régler ça, et tend plutôt à alimenter le phénomène, parce que c’est important pour sa pérennité. Les actions des chrétiens sont trop dirigées vers l’intérieur, vers la communauté, et pas assez vers l’extérieur.

De quoi rêvez-vous pour l’Église de Terre Sainte ?

Peut-être que l’Église ne soit pas seulement une institution, mais aussi un peuple. Qu’elle puisse être un référent éthique et moral pour tous les habitants de Terre Sainte, qu’ils soient chrétiens ou pas. Que les gens puissent se dire : « Là on voit les disciples de Jésus, ce que c’est l’Évangile. » C’est ça la mission : évangéliser par l’exemple.

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