Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Au cœur de la société égyptienne les coptes

Marie-Armelle Beaulieu
20 juillet 2010
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Comme on associe maronite à Libanais, on associe copte à Égypte et l’on fait bien tant l’identité copte est liée à la terre des pharaons.
L’Église copte (orthodoxe, catholique et protestante) avec ses quelque huit millions de fidèles constitue le seul vrai « réservoir » de chrétiens du Moyen-Orient. C’est le patriarche d’Alexandrie des coptes catholiques, Mgr Antonios Naguib, qui nous fait découvrir sa communauté.


Béatitude, nous lisons dans le livre des Actes des Apôtres que le jour de la Pentecôte des Egyptiens étaient présents à Jérusalem et écoutaient le discours de Pierre. Doit-on voir là les origines de l’Eglise copte ?

Certes la tradition de l’Église copte cite ce texte mais nous faisons plutôt remonter l’origine du christianisme en Égypte à son évangélisation par l’évangéliste saint Marc.

Une évangélisation qui a eu un succès phénoménal !

En effet, depuis le Ier siècle le christianisme s’est répandu graduellement et autour du IVe siècle pratiquement la majorité des Égyptiens avait adopté la foi chrétienne. Les listes de diocèses de l’époque nous montrent que l’Église couvrait tout le territoire égyptien.

Nous reviendrons Béatitude sur l’Église copte orthodoxe – Église ancestrale de l’Égypte – mais nous avons assisté au XVIIIe siècle à la constitution d’une Église copte catholique, vous en êtes le patriarche, vous avez le titre de Patriarche d’Alexandrie, pourquoi cette scission ?

L’Église d’Égypte était unie à la chrétienté mondiale donc disons à l’Église catholique – puisque catholique veut dire universelle, mondiale – jusqu’à l’année 451. C’est au Concile de Chalcédoine en 451 que l’Église d’Alexandrie s’est séparée du reste de la chrétienté par son refus de la définition dogmatique sur la nature du Christ. Dès lors il y eut en Égypte deux hiérarchies. La hiérarchie locale orthodoxe copte, et la hiérarchie fidèle au Concile de Chalcédoine et qui portait le nom (qu’elle conserve du reste) de « melkite » puisque melkite est l’adjectif dérivé du mot « melek » qui signifie roi. Ce roi c’est en fait l’empereur byzantin de l’Empire grec oriental. Ainsi a existé en Égypte une Église fidèle à Chalcédoine et assez forte tant qu’il y a eu des Byzantins.

Puis quand les musulmans sont entrés en Égypte, les coptes orthodoxes les ont accueillis car ils les voyaient moins comme des conquérants que comme les libérateurs du joug de Byzance. Ainsi ont-ils été les protégés des arabes musulmans affaiblissant et marginalisant la hiérarchie melkite. Pendant des siècles, à partir du VIIe jusqu’au Xe – XIe siècle, il y avait deux patriarches puis le patriarcat melkite a été très affaibli jusqu’à disparaître.

La reconstitution d’une Église chalcédonienne en Égypte a pu se faire suite à la venue de saint François en Égypte et sa rencontre avec le Sultan El-Malek à Damiette pendant les guerres des Croisades. Saint François était venu pour appeler à la paix et il a été bien accueilli par le Sultan qui pensa de lui : « Cet homme est certainement très étrange mais il est certain que c’est un homme de Dieu. » Il lui fit remettre des cadeaux, il lui demanda « Que veux-tu ? ». François répondit : « Une seule chose : je vous appelle à la paix et je demande que vous permettiez à mes frères de servir les chrétiens dans ce pays. » Il le lui a permis et depuis lors, les franciscains sont les gardiens de la Terre Sainte. On ne peut pas nier le rôle important et primordial qu’ils ont eu pour la sauvegarde et le service et le maintien de ces lieux saints pour le service des chrétiens. En Egypte, s’est constitué autour d’eux un petit groupe de chrétiens, mais c’est de ce noyau que s’est recréée une communauté copte catholique qui graduellement a grandi. En 1895, le pape Léon XIII a rétabli le siège d’Alexandrie pour les coptes catholiques à côté du siège d’Alexandrie pour les Coptes orthodoxes qui n’a jamais disparu. Actuellement, je suis le cinquième patriarche copte catholique au service de cette communauté.

Et comment va votre communauté ?

Actuellement, nous comptons 250 000 fidèles. A sa fondation, la communauté avait, avec le diocèse patriarcal d’Alexandrie, deux diocèses Hermopolis Minia et Thèbes Tahta Louxor. On en compte aujourd’hui sept. Nous avons presque 250 prêtres coptes catholiques, deux congrégations coptes catholiques de femmes, une troisième contemplative et une congrégation d’hommes, contemplative est en train de voir le jour. Nous avons aussi comme force vive beaucoup de groupes apostoliques et un grand séminaire où il y a – en moyenne – 40 à 45 séminaristes pour les sept diocèses.

Cela veut dire que non seulement l’institution copte catholique se porte bien mais que la foi des coptes catholiques se porte bien…

Nous espérons bien, nous faisons tout notre possible pour renforcer nos fidèles dans la foi et nous cherchons à les aider à avoir une foi éclairée et engagée.

Comment faites-vous pour cela ?

Grâce à la catéchèse. Il y a un bureau national pour l’enseignement religieux, la formation de catéchistes ici au Caire. Dans chaque diocèse, il y a un bureau pour l’apostolat catéchétique et il y a dans chaque paroisse un groupe de catéchistes engagés dans la pastorale de l’enseignement religieux aux enfants et aux jeunes. Il est très capital de donner à tous ces volontaires bénévoles une bonne formation pour qu’ils transmettent une foi solide, éclairée et engagée. Naturellement, le résultat n’est pas à 100 %, ni peut-être même à 50 % mais quelque chose se fait. Dans les diocèses aussi les résultats sont variables. C’est plus ou moins fructueux.

Quelles sont les autres Églises catholiques existant en Égypte ?

Nous avons sept Églises catholiques. L’Église copte, l’Église latine, qui est formée surtout des congrégations religieuses et actuellement d’un bon groupe d’immigrés soudanais peut-être philippins aussi et nous avons cinq autres Églises orientales catholiques : l’Église maronite, l’Église grecque melkite, l’Église syriaque, l’Église chaldéenne et l’Église arménienne. Chaque Église a son évêque. Le nombre de leurs fidèles est très varié de quelques centaines à quelques milliers. Mais en tout, je ne pense pas que les 5 ou les 6 Églises non-coptes dépassent les dix mille.

Vous arrive-t-il de travailler ensemble ?

Non seulement nous avons des relations amicales mais nous avons constitué une structure pour la collaboration : l’Assemblée Générale de la Hiérarchie Catholique d’Égypte qui tient au moins deux réunions par an et dans laquelle nous étudions les sujets, les problèmes d’intérêt commun. Les problèmes qui se posent à l’Egypte, les problèmes de pastorale, les problèmes de l’orientation et aussi de la collaboration entre les organismes et entre les institutions apostoliques ou de bienfaisance. Au sein de cette assemblée il y a des commissions épiscopales qui donnent des orientations et font participer toutes les forces vives des différentes Églises catholiques en Égypte dans les différents domaines : santé, enseignement, catéchèse, doctrine, bible, jeunesse, laïcs et ainsi de suite, la presse et les médias. C’est assez vivant.

Travaillez-vous ensemble à préparer le synode convoqué par le pape Benoît XVI ?

Indirectement oui. J’ai reçu les Lineamenta et les ai envoyés à tous les évêques catholiques des sept Églises. Chaque Église catholique les a travaillés et j’ai constitué un groupe de travail qui en trois jours a élaboré un texte commun que nous avons envoyé à Rome. J’ai eu l’occasion d’aller à Rome à plusieurs reprises pour la préparation de l’Instrumentum laboris, l’instrument de travail que nous travaillerons de nouveau et discuterons en petits groupes.

Qu’attendez-vous Béatitude de ce synode ?

Nous attendons qu’il réponde au but pour lequel il a été convoqué c’est-à-dire d’abord renforcer la communion à l’intérieur de chaque Église orientale au Moyen Orient, renforcer la communion entre les différentes Églises catholiques du Moyen Orient, la communion avec les Églises non catholiques et aussi la communion et le dialogue avec les non-chrétiens, musulmans et juifs. Le second but est d’encourager et d’aider les chrétiens membres des Églises catholiques au Moyen Orient à être de vrais témoins de l’évangile du Christ. Car le but du synode est double : communion et témoignage.

Précisément, devant les musulmans et les juifs, les divisions des Églises chrétiennes sont une tragédie car elle donnent un contre-témoignage. Quelles relations entretenez-vous avec l’Église copte orthodoxe ?

Vous savez qu’il y a différents niveaux de relations. Il y a les relations personnelles et nous pouvons dire qu’elles sont bonnes et même très bonnes. J’entretiens une véritable amitié avec le pape Chenouda III, pape et patriarche de l’Église copte orthodoxe. De même, chaque évêque dans son diocèse, et les prêtres en général avec leurs confrères orthodoxes ont de bonnes relations mais au niveau structurel, nous n’avons pas de lieu d’échange, de dialogue et de collaboration. L’unique structure qui existe est la commission de dialogue œcuménique entre le Conseil pontifical pour l’unité des Chrétiens à Rome et l’Église copte orthodoxe d’Égypte ; à cette commission participe un évêque copte catholique.

Pourquoi cette absence de dialogue ici en Égypte ?

Il y a eu dans le passé et pendant deux décennies au moins une commission locale – j’en étais membre – Mais l’Église copte orthodoxe a dit qu’en pratique l’église catholique locale – comme chaque Église catholique dans les différents pays du monde – ne peut rien décider « in fine ». Ce que nous faisons ici, nous allons le refaire dans le cadre de la commission internationale. La commission locale s’est donc dissoute. Cela se comprend un peu.

Les médias coptes ont beaucoup parlé en décembre des apparitions mariales à Warraq-Imbaba. Il semble qu’il y ait eu, depuis les apparitions de Zeitoun en 1968, une dizaine d’apparitions mariales en Egypte. Que pensez-vous de cette inflation ?

A dire la vérité, nous respectons la prise de position officielle de l’Eglise copte orthodoxe. Ces apparitions attirent un grand concours de fidèles chrétiens et de musulmans. Il revient à l’ Église copte orthodoxe de se prononcer sur ces évènements et ni comme chef de l’Église copte catholique ni comme président de l’Assemblée générale de l’Église catholique en Égypte, nous n’intervenons pour émettre un jugement. L’Église orthodoxe est compétente et ce n’est pas à nous de dire si ces apparitions sont vraies ou non. Nous respectons la prise de position pastorale – et non dogmatique – et nous constatons que cela aide les fidèles à rester attachés à leur Église et à leur foi.

Dans un autre domaine, que pensez-vous de l’interdiction faite par le pape Chenouda III de se rendre en Terre Sainte tant que dure l’occupation israélienne ?

C’est également une prise de position pastorale de sa part qui n’était pas celle de ses prédécesseurs. Le pape Chenouda a certainement des raisons et des convictions personnelles sur le sujet. Peut-être est-ce une volonté de se conformer à la position officielle du gouvernement. Certes celui-ci entretient des relations officielles avec Israël mais il prend soin de respecter le sens commun des citoyens pour qui des réticences demeurent au sujet de ce rapprochement tant que le conflit israélo-palestinien n’est pas réglé.

Vous-même, Béatitude, êtes-vous favorable aux pèlerinages en Terre Sainte ?

Moi je laisse faire les fidèles. S’ils veulent y aller, s’ils ont la permission des autorités civiles ici, je ne les empêcherai pas. Ce n’est pas par opposition à Sa Sainteté le pape Chenouda. Je respecte ses décisions, ses directives pastorales et ecclésiales et aussi nous avons nos convictions personnelles.

Nous entendons rarement parler des chrétiens coptes en Europe ou en Occident sauf généralement en de mauvaises occasions, comme par exemple ces six derniers mois l’élimination des troupeaux de porcs qui faisaient vivre essentiellement des chrétiens en Egypte ou hélas, de façon beaucoup plus dramatique, les événements de janvier dernier à Nag Hammadi. Quelle est la réalité de la relation avec les musulmans en Egypte ?

C’est un peu aussi la même chose comme les relations avec les coptes orthodoxes ou les protestants. Il y a toujours deux niveaux. Le niveau personnel qui est aussi relation de voisinage et d’amitié – mais j’avoue que même à ce niveau cela s’est refroidit avec la montée du courant islamiste – et il y a le niveau officiel avec les autorités religieuses et par exemple avec le Cheikh, Président de Al Azhar, qui est le Vatican sunnite de l’islam. Après sa nomination, nous sommes allés visiter le nouveau Président avec Mgr Golta, mon évêque auxiliaire, et nous avons eu de très bons échanges même, et nous avons évoqué la formation d’une commission locale de dialogue interreligieux. Reste à la mettre en place. Mais c’est encourageant. Ceci n’empêche pas qu’il y ait toujours les difficultés ordinaires, l’interdiction de construire des églises, la difficulté à les entretenir ou les difficultés pour trouver un travail mais cela s’applique un peu à tous les Égyptiens surtout les jeunes, car comme vous le savez, la situation économique du pays est assez difficile.

Précisément, Béatitude, les indicateurs économiques et sociaux du pays sont au rouge. Le Président Moubarak a 82 ans, l’avenir après lui est incertain, n’avez-vous pas peur pour les chrétiens d’Egypte ?

Nous demandons à Dieu qu’il prête longue vie à notre Président car vraiment il met un certain équilibre très précieux dans la vie économique et sociale mais personne n’est éternel par conséquent pour l’avenir, je crois que nous devons avoir confiance en Dieu. L’Église d’Égypte est passée par des périodes beaucoup plus noires, plus difficiles et plus dures, des périodes de vraies persécutions. Elle en est sortie plus forte et plus dynamique quoi qu’il en soit des difficultés actuelles. En ce qui concerne les chrétiens je les vois actifs, dynamiques au cœur de la société. Certes, des Égyptiens choisissent d’émigrer, pas uniquement parmi les chrétiens, beaucoup au risque de leur vie, mais ceux qui restent essayent de vivre dans une vraie dynamique. Beaucoup s’engagent dans la société, beaucoup aussi ont des entreprises petites ou grandes. Quant au futur, encore une fois, nous nous mettons entre les mains de Dieu mais avec beaucoup de confiance et d’espoir.

Les chrétiens d’Occident sont de plus en plus attentifs au devenir des chrétiens d’Orient. Quelle sorte d’aide peuvent-ils apporter à votre avis ?

Plusieurs ! La première est certainement l’aide spirituelle : la prière car c’est la prière qui est à la base de la présence, de l’action et du développement du Royaume de Dieu n’importe où dans le monde. Ensuite, il y a aussi le soutien moral quand dans les institutions, organisations internationales on traite des questions soit morales, soit humaines, soit sociales et que les prises de position des responsables politiques sont contraires à l’évangile et aux valeurs évangéliques et morales, cela affecte les chrétiens de nos pays. Car que nous le voulions ou non, en tant que chrétiens en pays arabe, on nous assimile aux occidentaux et aux valeurs de l’Occident. Et suivant les décisions on va nous dire « Voyez ce que vous faites, où est la morale, où sont les valeurs etc. ». Nous savons bien que ce n’est pas la faute des chrétiens catholiques engagés qui sont certainement opposés à ces lois et prises de position des gouvernements.

Nous entendons leur voix et nous lisons sur internet et dans la presse leurs prises de position mais c’est malheureusement la voix opposée qui est la plus forte et qui a l’autorité et le pouvoir. Donc les choix moraux et spirituels de l’Occident se font sentir ici pour le meilleur et pour le pire.

Enfin, bien sûr il y a la solidarité pratique, l’aide financière. Les pays et les Églises catholiques d’occident essaient de nous apporter une aide assez importante même si depuis une dizaine d’années elle a fortement diminué du fait de la situation économique en Occident, nous dit-on.

C’est avec ces différents type d’aide que de notre côté nous essayons de nous maintenir comme chrétiens, coptes et catholiques, au Moyen Orient.

Dernière mise à jour: 20/11/2023 18:16