Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Quand les ex-dirigeants du Shin Beth sèment le trouble

Louise Couturaud
30 mai 2013
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

À sa sortie en salle en Israël en janvier dernier, le film The Gatekeepers a fait salle comble. Le réalisateur, Dror Moreh, a donné la parole à six anciens dirigeants du Shin Beth, l’Agence israélienne de la lutte contre le terrorisme. Une parole dérangeante pour l’exécutif israélien.


“Moi qui connais très bien les Palestiniens, je peux vous dire qu’on ne fait pas la paix par des relations militaires, mais par des relations de confiance.” “Encore un idéaliste”, pourraient penser certains… qui seraient bien étonnés de connaître l’identité de l’idéaliste en question. Celui qui tient ces propos, c’est Yuval Diskin, ancien dirigeant du Shin Beth, l’Agence israélienne de Renseignement chargée de la lutte contre le terrorisme en Israël. Comme cinq autres ex-responsables de l’agence, il se livre devant la caméra du réalisateur israélien Dror Moreh pour nous offrir un documentaire détonnant, The Gatekeepers. Sans langue de bois, ces hommes, qu’on ne peut soupçonner de manquer de patriotisme, confient leurs pensées et leurs expériences tirées des années passées à la tête du Shabak – autre nom de l’Agence, et dressent un bilan très mitigé de la politique israélienne.

Dans la guerre pas de morale

Les témoignages de ces dirigeants, entrecoupés d’images d’archives et de reconstitutions historiques, retracent certains épisodes controversés qui ont marqué l’Agence depuis 1967. Tous les six expliquent et assument tout à fait leur implication dans une politique répressive à l’efficacité violente : assassinats ciblés, exécutions sommaires des suspects, quelques dommages collatéraux tuant des innocents… Ils évoquent froidement les méthodes de la lutte antiterroriste d’Israël : pressions sur la population palestinienne, recrutement d’indicateurs arabes, interrogatoires plus que musclés… Tous se refusent à faire un bilan moral de cette lutte contre le terrorisme. Avraham Shalom assure : “Dans la guerre contre le terrorisme, il n’y a pas de morale”. Mais certains que l’on croirait “blindés” avouent leur malaise. Comme Diskin : “On fait sauter la voiture. On se dit qu’on a pris la bonne décision. Et pourtant quelque chose vous dérange : le pouvoir de décider de leur mort.” Yaakov Peri confie quant à lui : “Ces situations finissent par vous miner, et quand vous quittez le Shin Beth, vous devenez un peu gauchiste…”

Ces anciens chefs du Service de Renseignement avouent, certains ouvertement, l’échec de la politique israélienne. D’un point de vue uniquement stratégique, ils admettent que la politique sécuritaire dans les Territoires palestiniens est inefficace et qu’elle mène à l’impasse. Elle compromet toujours plus la possibilité de voir naître deux États. Ils pointent du doigt la fracture qui les sépare de la classe politique israélienne. Avraham Shalom confie ainsi son désarroi devant l’impunité dont a bénéficié le terrorisme juif, coupable de plusieurs attentats.
Mais si la répression n’est pas une solution, quelle est-elle ? Le dialogue, assurent ces hommes, et avec tous les interlocuteurs, “y compris le Hamas” selon Diskin.

Perception accrue

De telles prises de position, audacieuses, méritent qu’on s’y attarde. Comme l’explique le réalisateur, “personne ne comprend mieux le conflit entre Israël et les Palestiniens que ces six hommes. Quand ils parlent, les dirigeants les écoutent. Peut-être l’heure est-elle venue pour les gatekeepers de s’adresser à un public plus large”. Israel Confidential, c’est le titre de la version française, a fait l’effet d’un pavé dans la mare israélienne et continue de faire parler de lui à l’étranger. Comme Ayalon, il faut espérer que les personnes qui verront ce film ne sont pas les seules personnes déjà convaincues par ce que dévoile le documentaire. Actuellement en lice pour l’Oscar du meilleur documentaire, le film a déjà remporté le prix du meilleur documentaire au festival de cinéma pour la paix à Berlin.
À la cinémathèque de Jérusalem quand l’écran noir se fait sur cette dernière phrase : “On a réussi à maîtriser le terrorisme, mais ça n’a pas réglé le problème de l’Occupation. On a gagné toutes les batailles mais on a perdu la guerre”, le silence dans la salle, comme durant toute la projection, est lourd. Porte ouverte vers un éveil des consciences ?

Dernière mise à jour: 30/12/2023 16:08