Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Les saints de la Pentecôte orientale

Archiprêtre Alexandre Winogradsky, Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem
30 septembre 2013
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

La profusion des reliques que l’on peut trouver à Jérusalem a tendance aujourd’hui à gêner. Le père Alexandre, entre folklore et tradition, nous emmène au-delà des apparences à comprendre ce que la piété dit de la foi.


L’Église byzantine (orthodoxe et orientale) célèbre tous les Saints au dimanche qui suit la fête de la Pentecôte. L’Église orthodoxe affirme avec force qu’elle vit du souffle de l’Esprit saint après l’effusion de la Pentecôte, c’est-à-dire au cinquantième jour après la fête de la Pâque. Ce cycle est identique à celui de la tradition juive : sortie de la Terre d’Égypte au jour de Pessah – résurrection du Seigneur dans la nuit de la Pascha, du Grand Passage de la mort à la vie pour toute l’Église, très sensible dans l’expression de foi orientale. Quarante-neuf jours plus tard, la véritable conclusion de la nuit pascale se trouve dans le rappel du don de la loi écrite (Torah) et orale (Talmud ou Mishnah). L’Église reçut, à cette même date-mémorial, l’effusion de l’Esprit en plénitude.
Qui a vécu de ce “surplus de tous les dons divins” sinon précisément les saints ? C’est parfois gênant. Qui sont les saints ? On les connaît surtout pour la qualité de leurs biographies ou de leurs ossements. C’est une vogue très actuelle. À Jérusalem, en Terre Sainte, les reliquaires ont foisonné jusqu’à l’excès.
Au Saint Sépulcre, dans le trésor de l’Église grecque orthodoxe, sont conservées des reliques des tous premiers siècles chrétiens. Le 1er janvier, dans la nuit, il est de coutume de faire une grande procession au Saint Sépulcre en portant solennellement les restes du bras de saint Basile fêté ce jour.
Ces ossements attestent tout d’abord de l’incarnation de l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 26 ; 5, 1). “Vous êtes des Dieux, des fils du Très-Haut” (Psaume 82, 6). L’affirmation est-elle audacieuse ? Ou reflète-t-elle cette universalité radicale, puissante, fondamentale qui fait que tout être de chair, de sang et possédant un souffle de vie dans ses narines (prière juive de Rosh Hashanah) est appelé à la sainteté ? Au fond, nous sommes tous les descendants d’un meurtrier fratricide, Caïn, dont le signe de protection est symboliquement si proche du Tav (dernière lettre de l’alphabet hébraïque), croix rédemptrice et signe de bénédiction pour le frère François d’Assise.

La sainteté, une réalité

Dans le renouveau spirituel de l’Orient chrétien, les monastères regorgent de toutes sortes de parcelles de vie passées promises à la résurrection. N’est-ce-pas trop ? Les chrétiens, humiliés, assassinés, martyrisés… pas seulement : il y a une vocation quasi in utero à vivre de l’identité divine. Un ami prêtre, spécialiste des saints caucasiens put toujours librement étudier leurs vies : les Autorités soviétiques l’assuraient que “les saints étaient les prolétaires qui avaient réussi”.
À Jérusalem, nous vivons sur une terre marquée par un sang donateur de vie. Au mémorial de Yad va Shem (Shoah), l’inscription est similaire : “Par tes sangs, (que soit) la vie” (Ézéchiel 16, 6) – alors qu’aucun reste humain n’est conservé dans ce lieu.
Le nombre impressionnant des ossements des premiers saints finit par gêner presque nos contemporains. Il devient plus difficile de concevoir que chaque génération côtoie des êtres marqués de la foi authentique. La sainteté est une réalité de la vie en société, même si elle paraît voilée, voire improbable.
La sainteté ne procède pas uniquement de cette vénération des reliques, mais parfois de l’absence de toute trace ADN. L’Esprit habite des corps et des âmes. C’est pourquoi, il est interdit d’incinérer les défunts sur tout le territoire de la Terre Sainte, dans la tradition orientale comme juive. Une âme habite un corps et non l’inverse, comme on entre dans la demeure de Dieu. Le Seigneur permet, dans la foi, d’être un “temple de l’Esprit saint” (1Co 6, 19 ; cf. Pessikta de Rabbi Eliezer 16).
À Jérusalem, c’est “une foule immense que nul ne peut dénombrer” (Ap 7, 9) qui déroule ces rouleaux d’éternité et de notre unité. Chacun est alors quelconque et unique, comme les saints.

 

Dernière mise à jour: 30/12/2023 23:56