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Histoire d’enfants, fables et culture bédouine palestinienne

Chiara Cruciati
24 janvier 2014
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Histoire d’enfants, fables et culture bédouine palestinienne
Atelier de dessin dans l'une des communautés bédouines

Un film et un livre illustré sont nés d’un projet italo-palestinien impliquant des enfants des communautés bédouines vivant en Palestine. Ces oeuvres rendent hommage à la tradition orale des fables et des contes de la culture bédouine. Les petits protagonistes ont pu visionner la bande. Cette initiative leur a également permis de construire un pont avec les écoliers italiens. Récit du projet.


(Ramallah) – La salle des événements du Centre culturel Sakakini est envahie d’enfants en tenue d’écoliers. Ils regardent attentivement le film qui fut tourné dans les communautés bédouines de Wadi Abu Hindi, Khan Al-Ahmar, Anata et Al Jabal. En feuilletant leur livre, on découvre les illustrations accompagnant les trois contes recueillis dans la communauté. Ces illustrations sont nées de la plume experte de six illustrateurs palestiniens et italiens, et de la créativité des enfants bédouins.

Les deux produits du projet L’unicité présentent les légendes et les fables bédouines racontées à travers les yeux des enfants bédouins. Ce projet a été réalisé par l’ONG italienne Vento di Terra et l’Institut palestinien Tamer pour l’éducation communautaire. Il est le fruit du travail d’une année d’immersion dans les communautés bédouines du centre de la Cisjordanie, en contact étroit avec les écoliers et les enseignants palestiniens. Selon Natalia Fais, l’objectif est « la valorisation de la culture populaire bédouine et sa protection, au sein de la plus vaste identité palestinienne ».

« Le projet – continue Natalia, coordinatrice de Vento di Terra – est né au sein d’un programme de protection de la culture orale bédouine, en particulier celle de la tribu Jahalin, souvent marginalisée par le reste de la société palestinienne, qui cependant en fait partie intégrante. Nous nous sommes concentrés sur la promotion du droit à l’existence à travers l’art. La reconnaissance de la culture bédouine traditionnelle nous a permis de valoriser cette population au sein de la société palestinienne, mais aussi à l’extérieur, au niveau international. À travers les yeux des enfants et l’implication de toute la communauté, il a été possible de mettre au jour les valeurs et histoires de la culture bédouine qui , ces derniers temps, est mise à mal».

Au fil des pages, styles, histoires, lignes et couleurs se mélangent pour devenir les scènes parfaites où le courageux petit Mohammed lutte avec le monstrueux Ghoula qui a mangé sa maman et son papa ; la généreuse maman chèvre Anasiye, avec ses cornes d’or, tue le loup et sauve ses petits ; ou encore le rusé renard taquin du désert, Huseini, se retrouve poursuivi par un loup en colère qui n’aimait pas être taquiné.

Le projet a débuté en janvier 2013, impliquant 500 enfants provenant de 10 communautés bédouines différentes, de toute la Cisjordanie, 30 enseignants palestiniens, 6 artistes palestiniens et italiens, et 20 enseignants des écoles et des jardins d’enfants italiens. Un échange culturel qui a permis de rapprocher des mondes apparemment éloignés.

« Nous avons opéré sur deux niveaux – continue Natalia : l’un informel, par la promotion de la lecture avec le Bibliobus, librairie mobile qui a voyagé dans différentes communautés bédouines, en apportant aux enfants livres et activités récréatives, afin qu’ils ne se sentent plus isolés. Et l’autre formel, avec un parcours de formation pour les enseignants palestiniens qui travaillent dans les écoles bédouines, à travers la méthodologie de l’art et le processus d’apprentissage participatif ».

Ainsi, page après page, le livre est né : «Au départ, nous avons organisé un atelier d’écriture créative pendant deux mois : comment raconter une histoire ? Quels sont les outils pour faire entendre sa voix ? Comment utiliser le corps, la respiration, le changement de ton ? Ensuite, nous avons mis en place six ateliers d’illustrations avec six dessinateurs : trois italiens (Giulia Orecchia, Emanuela Bussolati e Dario Cestaro) et trois palestiniens (Lubna Taha, Anastasia Qarawani e Abdallah Qarawiq). Les enfants ont demandé à leurs parents de raconter des histoires traditionnelles et les ont ensuite rapportées dans les ateliers au poète Anas Abou Rahma et au narrateur Denis Asaad (hakawatia, figure centrale dans les communautés bédouines). Ainsi, un nouveau dialogue est né avec la famille, et les enfants se sont sentis porteurs de ces valeurs traditionnelles, qui étaient en voie de disparition. Ils se sont sentis fiers d’être bédouins, conscients de l’unicité et de la richesse de leur culture ».

En plus du livre, les enfants bédouins de Wadi Abou Hindi et d’Anata ont également tourné un film, Les habitants sages du désert. Sous la supervision d’artistes italiens et palestiniens – Ahmad Bakri, Pietro Bellorini et Marianna Bianchetti – un court-métrage de 30 minutes est né, dans lequel les enfants témoignent de la richesse de la nature et racontent la beauté et la nécessité de vivre en harmonie avec la faune et la flore : un message qui touche facilement le cœur des enfants à travers le monde.

Du côté occidental de la Méditerranée, les élèves des écoles italiennes impliquées dans le projet ayant lu le livre et vu le film ont été très impressionnés : «Nous avons créé un pont entre l’Italie et la Palestine – conclut Natalia – . Les histoires bédouines traditionnelles sont très proches des traditions italiennes : le loup et l’agneau, le renard et le corbeau. Mais avec des éléments nouveaux et différents, tels que le juge à qui s’adresse la chèvre Anasiye pour sauver les agneaux des loups ».

« Après quelques mois de travail, nous avons en main les histoires que nous voulions partager avec le monde entier, pas seulement en Palestine – dit Lubna Taha, illustratrice et coordinatrice du projet pour l’Institut Tamer – L’objectif de ce livre est de protéger l’histoire et la culture bédouine, à travers des ateliers d’écriture créative à Wadi Abou Hindi, Khan Al-Ahmar et Al Jabal. Dans l’illustration, les artistes italiens et palestiniens se sont concentrés sur des techniques que les enfants ont ensuite développé : le collage, c’est-à-dire le dessin sur papier, la coloration et la coupure. Ils ont tous travaillés en groupes dans les ateliers, et les enfants ont réalisé de très beaux produits qui projettent leur point de vue dans les fables ».

C’est ainsi qu’on trouve éparpillé dans le livre le drapeau de la Palestine, des tentes bédouines, des buissons en forme de coeur et beaucoup de moutons.

« Les enfants bédouins m’ont énormément surpris – déclare Salwa Khalil, narratrice et animatrice de Tamer. J’arrivais dans les écoles avec des histoires préparées pour eux, mais ils avaient déjà des fables et des activités prêtes à m’être enseignées. Le récit de l’histoire est important, parce qu’il aide les enfants à créer un imaginaire, à comprendre et reconnaître la réalité qui les entoure, mais la partie la plus intéressante a été l’interaction avec les enfants : je ne suis pas seulement allée donner, je suis aussi allée recevoir. Nous ne sommes pas arrivés en leur imposant nos idées, ce fut un processus de partage. Et pour cela, ce fut magnifique ».