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A Bethléem, un marathon pour la troisième fois

Mélinée Le Priol
30 mars 2015
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A Bethléem, un marathon pour la troisième fois
Courir le long d'un mur et saisir le sens de son effort © palestinemarathon.com

Le marathon de Bethléem a connu sa troisième édition vendredi dernier 27 mars. L'occasion pour les athlètes de plus de 50 nationalités de s'adonner à leur passion mais aussi de découvrir la dimension politique d'un tel événement. Ou quand un mur élargit des horizons.


(Bethléem) – A première vue, cela ressemble à une course ordinaire. Vous avez les athlètes bien entraînés, qui fixent l’horizon la mine concentrée et portent au bras un appareil sophistiqué mesurant leurs pas. Ceux-ci s’arrêtent à peine aux points de ravitaillement où une musique tonitruante jaillit des hauts parleurs pour encourager les sportifs. Vous avez aussi les groupes de femmes qui discutent comme si de rien n’était, certaines au trot, les autres au pas. Tant pis pour la gloire, on aura quand même la médaille à la fin, pas vrai ?

A y regarder de plus près, pourtant, la course du vendredi 27 mars à Bethléem n’avait rien d’un marathon classique. D’abord, son top départ était donné juste devant la basilique de la Nativité, lieu de naissance de Jésus-Christ. Ensuite, les coureurs traversaient successivement deux camps de réfugiés, ceux d’Aida et de Dheisheh. Etablis en 1949 et 1950, ils hébergent les familles palestiniennes qui ont fui leurs maisons après la création de l’Etat d’Israël.

Surtout, cet événement sportif avait pour symbole un mur de béton. Séparant depuis 2002 Israël de la Cisjordanie, il est surnommé « barrière de sécurité » par les uns, « mur de l’apartheid » par les autres. Plus de 3000 coureurs, dont 2500 Palestiniens, l’ont longé vendredi sur quelques centaines de mètres. « Ce n’est que quand je suis arrivée près du mur que j’ai pris conscience du sens réel de cette course, raconte après coup Rabab Khoury, jeune Palestinienne de Ramallah. En le longeant, je n’ai pas pu m’empêcher de poser ma main dessus. Pourtant, je n’étais pas venue dans une démarche politique, seulement pour m’amuser avec ma bande de copains… »

Qu’on le veuille ou non, cette course a bel et bien une dimension politique. L’ONG qui l’a créée en 2013 et l’organisait vendredi pour la troisième année consécutive, Droit au mouvement, prône une application littérale de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de circuler librement ». En effet, pour Faris Abusada, un jeune Palestinien de 26 ans, courir à Bethléem est une forme de « résistance non-violente » aux restrictions israéliennes qui compliquent son quotidien. « Je n’ai le droit d’aller ni à Jérusalem ni dans les territoires de 1948, explique-t-il. Ce marathon, c’est une bonne occasion de montrer au monde ce qui se passe vraiment ici. »

L’événement a demandé de longs mois de préparation. Le Jérusalémite George Zeidan, qui faisait partie des organisateurs, était fier de montrer que la Palestine est capable d’organiser un rendez-vous sportif « selon des standards internationaux » : des sponsors, du matériel professionnel, 3000 coureurs venus de 51 pays différents…

Seul détail qui coince : l’itinéraire de la course. Oui, parce qu’en Cisjordanie, on ne parcourt pas les 42 kilomètres nécessaires à un marathon sans se heurter à des « checkpoints ». En contrôlant 61% de ce territoire morcelé et grand comme un sixième de la Suisse, l’armée israélienne a donc transformé le tracé en défi logistique. Alors l’itinéraire ne comportait qu’une dizaine de kilomètres, parcourus quatre fois par les marathoniens. Mais de nombreux coureurs n’effectuaient qu’un semi-marathon ou une tranche de 10 km.

C’était le cas de Jan Van Lint, un Flamand sexagénaire arborant sur sa casquette les couleurs de sa Belgique natale. « Les autres années, au début du printemps, je courais à Jérusalem, raconte cet employé du consulat belge en Palestine. Mais cette fois-ci, les deux courses étaient trop rapprochées, il fallait que je choisisse. J’ai préféré Bethléem, car c’est un événement plus modeste et que je voulais soutenir la Palestine. C’est important, que les médias en parlent pour la culture ou le sport, et pas seulement le conflit, le conflit, le conflit ! »

Des étrangers comme Jan, il y en avait environ 500 ce vendredi. Les femmes, quant à elles, représentaient plus du tiers des coureurs. Belle revanche, dans un pays où celles-ci osent rarement faire du jogging dans les rues, exposées à des regards indiscret et à des risques d’agression. La jeune Rabab Khoury a apprécié de courir ainsi, en public et en plein air. D’habitude, elle ne s’entraîne que dans une salle de sport… Cette question des femmes avait même conduit, en 2013, à l’annulation du marathon de Gaza par une agence onusienne : le mouvement islamiste Hamas refusait de les laisser courir aux côtés des hommes.

Justement, les Gazaouis étaient à l’honneur vendredi à Bethléem. Pour la première fois en trois ans, 50 d’entre eux avaient été autorisés par Israël à quitter la bande de Gaza pour quelques jours. Et la star du marathon, c’était sans conteste Nader al-Masri. Cet athlète gazaoui, l’un des rares coureurs professionnels de Palestine, avait participé aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 mais n’avait pas pu courir en Cisjordanie depuis l’an 2000. Vendredi, il a terminé le marathon en premier, en 2h57. Juste après avoir franchi la ligne d’arrivée, place de la Mangeoire, il est monté sur le podium sous les acclamations de la foule. Portant fièrement au-dessus de sa tête un keffieh noir et blanc, il souriait à en faire tomber les murs.