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Père Jacques Mourad se livre à la télévision publique anglaise

Terrasanta.net
30 octobre 2015
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"J'ai décidé que je devais sortir de Qaryatayn quand j'ai vu de mes propres yeux que la milice de l'Etat Islamique avait détruit le monastère de Mar Elian, duquel j'étais prieur". C'est ainsi que se livre, dans une interview à la BBC, le père Jacques Mourad, prêtre syriaque catholique enlevé par des hommes de l'Etat islamique (Daesh) le 21 mai 2015 et qui a pu s'échapper 12 octobre dernier.


(Cg) – « J’ai décidé que je devais sortir de Qaryatayn quand j’ai vu de mes propres yeux que la milice de l’Etat Islamique avait détruit le monastère de Mar Elian, duquel j’étais prieur, et le tombeau du Saint (Saint Elian était un moine du IV siècle qui compta parmi ses disciples Ephrem le Syrien – NDLR). J’ai fui pour encourager les autres chrétiens de mon village à ne pas tomber aux mains de l’Etat Islamique et à m’imiter ».

De nouveaux détails émergent sur l’histoire du père Jacques Mourad, prêtre syriaque catholique, enlevé par des hommes de l’Etat islamique (Daesh) le 21 mai et qui a pu s’échapper le 12 octobre dernier, après cinq mois de captivité. Aujourd’hui, le père Jacques se trouve près de Homs et une l’équipe d’un programme diffusé en langue arabe par la chaine britannique BBC a pu l’interviewer samedi 24 octobre. Les images montrent le père Jacques enfin libre, célébrant la messe dans une cour avec une dizaine de fidèles. C’est une petite table recouverte d’un drap qui fait office d’autel, adossée contre le mur de la cour. La croix disposée au dessus est formée de deux branches simplement attachées ensemble. Au cours de l’homélie, le père Jacques pose tout haut la question que tous les chrétiens de Syrie portent à l’intérieur d’eux-mêmes : « Beaucoup de gens se demandent où est Dieu? Quand viendra-t-il pour sauver son peuple de tels massacres? « .

« Trois semaines avant qu’ils ne m’enlèvent, j’ai eu l’impression d’être en danger, que quelqu’un surveillait – a dit le père Jacques à Assaf Aboud, journaliste de la BBC qui l’a interviewé -. Puis, le 21 mai (alors que la ville de Qaryatayn n’était pas encore tombée aux mains de l’Etat Islamique  – NDLR) des hommes aux visages recouverts sont venus au village. Deux d’entre eux sont entrés dans le monastère et, un séminariste et moi-même avons été emportés. Ils nous ont liés et cagoulés, et avec la voiture du monastère, ils nous ont conduit en montagne à une demi-heure de route du village. Après quatre jours, ils nous ont déplacés dans la ville de Raqqa. Pendant 84 jours nous sommes restés emprisonnés. De façon générale ils nous ont bien traités. Nous n’avons pas été torturés. Mais chaque jour, ils entraient dans ma cellule et me parlaient sévèrement, ils me disaient que nous étions des infidèles, qui nous étions dans l’erreur et que la seule vraie religion est l’Islam qu’offre l’Etat Islamique. Ils disaient être venus pour apporter la bonne religion. Ces gens ont de grandes ambitions: ils veulent se rendre (contrôler) à Rome et Moscou ».

Tout au long de la période d’emprisonnement le père Jacques a subi des interrogatoires de la par des émirs de l’Etat Islamique. Dans les premiers jours, alors qu’il ne savait pas que l’Etat Islamique avait pris son village, un émir lui adressa plusieurs questions insistantes sur les lieux chrétiens de Qaryatayn: « Je lui ai dit que nous avons deux églises, une syriaque orthodoxe et une autre syriaque catholique puis le monastère ». « Qu’est-ce donc que ce monastère? » demanda l’émir. Alors qu’ai pensé qu’il ne savait pas O combien était important le monastère pour les chrétiens comme pour les musulmans de Qaryatayn. J’ai répondu que c’était simplement un endroit où nous cultivions des terres essayant de cacher ce qui était important … Mais ils savaient tout ».

« Nous avons pensé que ceux de l’Etat Islamique étaient des Bédouins, des ignorants, mais ce n’est pas le cas – raconte amèrement le prêtre -. Surtout ceux de l’étranger, les Tunisiens, les Algériens et les Irakiens; ils ont obtenu un diplôme, ont étudié et sont très déterminés à atteindre leurs objectifs ».

Après environ trois mois de captivité à Raqqa, les miliciens de Daesh ont rapporté le père Jacques à Qaryatayn: « Pour y arriver, nous sommes passés par Palmyre. Trente kilomètres plus loin, la voiture a pénétré une zone couverte – explique le père Mourad -. Ils nous ont fait descendre, et nous sommes entrés dans une chambre avec une grande porte en fer. La première chose que j’ai vu ce sont deux enfants chrétiens de mon village. Puis, levant les yeux, j’ai vu tous mes autres chrétiens! Ce furent des jours remplis de souffrance; il me fut très difficile d’imaginer que mes enfants aient  été emprisonnés, en particulier les personnes âgées et les handicapés. La chose qui m’a le plus attristé fut de découvrir qu’il y avait aussi une femme et un enfant de dix ans, tous deux patients atteints d’un cancer. Ils ont besoin de soins spéciaux, de médicaments … et nous avons supplié les émirs qui portaient notre responsabilité afin que ces deux personnes puissent au moins aller chercher leur traitement et prendre leurs médicaments … Ils n’ont jamais accepté notre demande ».

« Le 31 août enfin, sont venus à moi cinq ou six émirs – continue l’histoire -. On m’a appelé et j’ai eu peur parce que je pensais vraiment qu’ils allaient me tuer. Ils venaient annoncer ce qu’avait décidé le calife pour les chrétiens Qaryatayn. J’ai mis ma main sur mon cœur et je me suis dit: ça y est. Nous sommes finis ! Au lieu de cela le calife nous a laissé quatre options: que les hommes soient tués et les femmes vendues comme esclaves fut la première; la seconde était que tous soient réduits en esclavage. La troisième était la conversion à l’Islam et la quatrième était d’accepter la grâce du calife. Cette « grâce » c’est de vivre dans le pays régit par l’Etat Islamique en contrepartie d’une taxe. Tous ont choisi cette option. Les émirs ont pris note des noms de tous les chrétiens. Le lendemain, ils ont pris deux gros camions, nous ont chargés dedans et ramenés au village. Ils nous ont donné des documents avec lesquels nous pouvons aller partout, même à Mossoul, dans les terres gouvernées par l’Etat Islamique. Quand j’ai pu, je me suis enfui afin de donner à d’autres chrétiens le courage de fuir. Parmi les chrétiens de Qaryatayn, certaines personnes trouvent très difficile le fait de quitter. Ils préfèrent mourir dans leur pays. Et il y a des chrétiens qui pensent qu’il est possible de bien vivre sous le régime de l’Etat Islamique ».