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Outrage et honte au Yémen après le massacre des religieuses

Laura Silvia Battaglia
19 mars 2016
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L'attaque du 4 mars à Aden, au Yémen, où quatre sœurs de Mère Teresa, et plusieurs laïcs ont été tués, n'a pas été revendiquée par un groupe terroriste. La communauté locale porte cependant pour responsable la branche yéménite l'État islamique. Outrage et honte partout au Yémen mais aussi en Terre Sainte où une prière de solidarité a été organisée.


« Chaque fois que les bombardements se font plus lourds, nous nous agenouillons devant le cœur de Jésus et demandons la paix pour cette nation. Parfois, nous nous cachons sous les escaliers. Nous vivons ensemble, nous mourrons ensemble avec Jésus et Marie, notre mère ». La lettre-testament des quatre Missionnaires de la Charité tuées à Aden, au Yémen, lue par Sœur Serena de la maison à Rome et diffusée sur Tv2000, en dit long sur le véritable esprit missionnaire, le courage et le sacrifice des sœurs envers leur « pauvres » Yéménites, presque tous personnes âgées et handicapées.

L’attaque dans laquelle quatre sœurs ont été tuées le 4 mars dernier n’a jamais été revendiquée par un groupe terroriste, en dépit des convictions de la communauté locale qui tienne pour responsable la branche yéménite de l’Etat islamique. Anslem, Reginette, Judith et Marguerite, provenaient du Kenya, de l’Inde et du Rwanda, définies par la Pape François de « martyrs contemporaines », elles étaient dévouées à une communauté mixte et variable comprenant entre 60 et 80 personnes de toutes les religions. Avec elles ont également été abattus une douzaine de bénévoles de la maison de réception, à la fois des locaux et des Kenyans ; la supérieure du couvent, sœur Sally, se trouve en sécurité (elle a réussi à échapper au massacre en se cachant dans un réfrigérateur) et est actuellement à l’abri dans la maison des missionnaire de Jordanie. Le père Tom Uzhunnalil, prêtre indien salésien présent au moment de l’attaque, est toujours aux mains des assaillants. La chapelle de la mission a été dévastée, le crucifix détruit.

L’horrible attentat contre la maison des Missionnaires de la Charité a suscité des réactions prévisibles en Occident et en particulier dans les médias catholiques. Le massacre a également eu pour effet d’intéresser – seulement pour un très court laps de temps – les autres médias sur cette guerre au Yémen. Cependant les gros titres ont encore une fois souligné le cliché de la confrontation sunnito-chiite, une confrontation où les Missionnaires de la Charité font figure d’agneau sacrificiel, symbole de ceux qui « choisissent » de ne pas négocier ou prendre parti au profit de la paix, en particulier au nom du Dieu des chrétiens.

Il s’agit là d’une lecture simplifiée d’une réalité dans laquelle – on ne cessera de le répéter -, depuis mars 2015, se sont avant tout les civils yéménites qui payent le coût d’une guerre terrible, avec plus de 7.000 morts et 11.000 blessés. Dès qu’un cessez-le-feu ou une cessation des hostilités est possible (comme cela est arrivé à Aden ou Taiz) c’est encore la population qui souffre de l’ingérence des groupes locaux, des séparatistes et d’autres plus connus tels Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule arabique) et le Wilayat (province) yéménite de l’Etat islamique.

La mort des quatre religieuses n’est pas passée inaperçue à Aden et à travers le Yémen. Des centaines de milliers de personnes ont partagé sur les réseaux sociaux les images terrifiantes des corps sans vie des sœurs, accompagnées de réflexions d’indignation et de honte collective. Le blogueur Haykal Bafana – l’une des voix les plus écoutées de cette révolution et qui ne cache pas sa position pro-Houthi et anti-Arabie Saoudite – à la suite de l’attaque, est venu proposer une solution radicale pour réduire au minimum les attentats suicides contre les civils, les structures gouvernementales et les hôpitaux à Aden : arrêter tous les affiliés à Islah, le parti des Frères musulmans Yéménites, « comme l’ont fait les Houthi à Sanaa, de sorte qu’il ne reste aucun risque potentiel ».

Sans être aussi radicaux, les citoyens d’Aden se sont fait entendre : jeunes militants, hommes et femmes, ont occupé le 5 mars, l’espace qui se trouve devant le Département de la Sécurité à Aden tout en arborant le drapeau du parti séparatiste dans le Sud. Armés de panneaux, ils ont réclamé la sécurité pour tous les citoyens d’Aden. Dans la ville, depuis novembre dernier, on décompte au moins une cinquantaine de morts dans des attentats suicides notamment à l’encontre des convois des autorités gouvernementales ou lors des points de contrôle.

La société civile à Aden porte la conviction que la reprise de contrôle par les forces loyalistes dans le sud laisse un espace incontesté à des groupes terroristes, en particulier l’Aqpa. Al-Qaïda dans la péninsule arabique contrôle depuis plusieurs années la province d’Abyan, et vient de remporter Ahwar, une ville de 30.000 habitants située entre le grand port de Mukalla et à la petite ville de Zinjbar, également sous le contrôle d’Aqpa. Leur présence – dangereuse pour les civils, mortelle pour les troupes de la résistance populaire jusqu’à présent alliés aux loyalistes et déstabilisante pour tout type de restauration du pouvoir local par l’ancien gouvernement du président Mansour Hadi Abbo – est toujours plus forte, notamment grâce à la « générosité » employée envers les civils dans les zones contrôlées par l’organisation (des images sur Twitter témoignent de dons effectués aux civils de Al Mukalla 23 millions de rials par habitant, soit un montant de 84 EUR).

A ce cadre dangereux, s’ajoute les menaces du réseau local de l’Etat islamique. Le lendemain de la mort des quatre religieuses, le Wilayat d’Aden a distribué un communiqué de quatre Missionnaires de la Charité, (reproduit dans la galerie de photos – ed) dans lequel les femmes des lieux – déjà bien habituées à porter des vêtements contraignants – sont invitées à s’ »habiller décemment au risque de voir les habits déchirés ».

Une messe commémorative à Jérusalem

Vendredi 11 mars, le Patriarche latin de Jérusalem, Mgr. Fouad Twal, a présidé une messe en mémoire des quatre religieuses de la Congrégation des Sœurs Missionnaires de la Charité, tuées au Yémen le 4 du même mois.

Pour l’occasion, l’église paroissiale de Saint Sauveur, dans le cœur historique de la ville, a été inondée par une foule de chrétiens locaux venant témoigner leur affection aux sœurs de Mère Teresa de Calcutta, mais également à celles présentes en Terre Sainte. Ont également participé à la cérémonie le clergé des communautés grecque orthodoxe, arménienne, syriaque, copte et éthiopienne, ainsi que M. Mahesh Kumar, représentant diplomatique de l’Inde en Palestine.

Parmi les fidèles de l’assemblée, les Missionnaires de la Charité qui travaillent à Naplouse, Jérusalem et Bethléem, étaient réunies autour de la Mère Provinciale provenant d’Amman et la supérieure générale de la congrégation, Mère Mary Prema, arrivée de Calcutta (Inde).

Une grande affiche avec le sourire de Mère Teresa, invitant à la prière, était suspendue à la gauche de l’autel alors que tout près de la balustrade avait été placé la photographie des quatre religieuses martyrs : Sœur Anselme, de l’Inde ; Sœur Judith, du Kenya; Sœur Marguerite et sœur Reginette, du Rwanda.

La messe, célébrée en arabe, fut recueillie mais sans tristesse. Dans son homélie, en anglais, le patriarche a souligné la gloire du martyre et a conclu en disant : « Nous vous présentons nos condoléances, mais nous vous félicitons pour le don de leurs et de vos vies, pour tout ce que vous faites dans le service auprès des plus pauvres. »

Les Missionnaires de la Charité sont arrivées dans le diocèse de Jérusalem en 1970. Elles ouvrent à Gaza, Jérusalem, Naplouse et Bethléem. En Jordanie, elles sont à Amman, Ermaimim et Rusaifeh. Elles animent divers centres d’accueil pour personnes âgées et handicapées physiquement ou mentalement. Certains d’entre elles sont plus engagées dans les visites aux familles, le soutien aux pauvres ou l’animation du catéchisme dominical.