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Ces enfants juifs yéménites qui interrogent encore Israël

Laura Silvia Battaglia
27 juillet 2016
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Depuis mai, ils sont de nouveau sur le devant de la scène israélienne notamment après la parution d’un reportage journalistique. C’est l'histoire d'un millier d'enfants juifs yéménites disparus depuis la première migration vers l'Etat juif en 1948.


Certaines de leurs histoires ont seulement été dévoilées en mai 2016, après que le journal Hareetz ait publié un rapport d’enquête sur la question. Un rapport retentissant sur la question des enfants juifs yéménites disparus ou enlevés durant la première migration vers l’Etat d’Israël en 1948. Le premier ministre Benjamin Netanyahu a du demandé au ministre Tzachi Hanegbi une enquête et trois commissions ont été nommées afin de travailler sur une liasse de documents pourtant classés jusqu’en 2071.

L’histoire a été relancée après le transfert, en décembre dernier, des dernières familles juives yéménites restées à Sanaa et les polémiques attenant à la difficulté d’intégrer des juifs de tradition très orthodoxe et possédant une culture « de base » beaucoup plus proche de celles des musulmans, dans un Etat comme celui d’Israël. Ainsi, l’organisation Amram qui possède des archives considérables récemment mises en ligne sur Internet, a repris le thème pourtant tabou des familles israéliennes d’origine yéménite qui dénoncent la disparition ou l’enlèvement d’au moins un de leurs enfants par l’establishment israélien au cours des dix premières années suivant la création du pays, et en particulier entre 1948 et 1954.

L’affaire éclata au grand jour pour la première fois dans les années soixante, lorsque certaines familles accusèrent les juifs ashkénazes de la classe dirigeante d’avoir fait disparaître méthodiquement et avec préméditation des centaines d’enfants yéménites ayant émigrés en Israël à la fin des années quarante ou au début des années cinquante pour les revendre à des familles ashkénazes sans enfant ; les familles yéménites apprenant quant à elles que leur enfant était mort d’une maladie.

La possibilité d’une telle affaire fut exprimée au travers de l’histoire de Néhémie Ziner, 76 ans, interviewée par Al-Monitor : « J’ai eu une sœur nommée Naomi Ziner qui a été admise à l’hôpital du Mont Scopus. Mon père, une bonne âme, est allé lui rendre visite mais les médecins lui dirent qu’elle était morte. Mon père a alorsdemandé à voir le corps ou de recevoir un certificat de décès, mais sa demande fut ignorée par toutes les excuses possibles. Il rentra chez lui sans elle. Je suis choqué par un pays dont les pères fondateurs l’ont construit avec la main droite, en le détruisant avec la gauche. Je les méprise ».

Mais tous sont loin d’être convaincus de la véracité de ces témoignages. Ainsi, Dov Levitan de l’université Bar-Ilan, qui a étudié l’immigration et l’intégration des juifs yéménites, répond à Al-Monitor que ces témoignages qui surviennent 50 à 60 ans après les événements et l’idée que l’on s’en est fait sont utilisés à des fins politiques. Levitan aurait ainsi interrogé des centaines de familles et bien plus d’une fois : « Les versions ne coïncident jamais et la dernière en date devient la définitive. Il y a des cas où les familles admettent qu’elles ne pouvaient pas soigner leurs enfants et qu’elles ont accepté de les donner en adoption ». Shlomi Hatuka, fondateur de Amran, vient d’une de ces familles et n’est pas du tout de cet avis : « On ne devrait pas penser un instant que ces témoignages sont fabriqués, c’est comme si on mettait face à face un survivant de l’Holocauste et un négationniste. Les enfants ont disparu durant des périodes spécifiques, dans des hôpitaux spécifiques, et ce méthodiquement. L’histoire ne ment jamais et les familles en ont toujours parlé, réclamant leur désir de justice de génération en génération ». Shlomi, qui est aussi poète et activiste, a repris les armes sur la toile et les médias sociaux. « Maintenant, nous avons un site internet, Facebook, Twitter et une archive virtuelle et nous les utiliserons de manière appropriée ».

Le récit de l’enlèvement reste central dans l’histoire des familles juives yéménites mais pour Levitan cela ne peut être considéré comme un motif d’accusation : « A cette époque, des choses terribles sont arrivées aux migrants : leurs manuscrits, leurs vêtements, des bijoux, de l’or et de l’argent leur ont été volés. Humiliés à jamais. L’Etat a certes commis des actes fous comme celui de ne pas prévenir en temps réel les parents de la mort de leurs enfants. Mais les enlever pour les donner en adoption était impossible de la part des Ashkénazes. Ceux qui ont fait cela, à ce moment-là, n’étaient pas des Ashkénazes, parce que ces derniers n’auraient jamais accepté l’adoption d’un enfant yéménite. Tout simplement parce qu’ils étaient racistes ». Le dernier mot sur cette vieille histoire qui se déverse encore sur le temps présent est du ressort des trois commissions d’enquête nommées. Les familles demandent de lever le secret sur les actes et d’avoir accès à la vérité et à la justice.