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A Gaza, donner son sang via un smartphone

Chiara Cruciati
29 octobre 2017
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A Gaza, donner son sang via un smartphone
L'application de la banque du sang palestinienne vient d'être créée à Gaza.

Quelques jeunes étudiants de la Bande de Gaza ont créé une application pour coordonner les donneurs de sang dans la Bande de Gaza. Une initiative pionnière dans un secteur de santé à bout de souffle.


L’ingéniosité est une qualité qui ne manque pas chez les habitants de Gaza. En déployant les nouvelles technologies, la solidarité de base dans l’une des périodes historiques les plus dramatiques pour la bande de Gaza, passe par les smartphones. Une nouvelle application, développée par deux étudiants et deux étudiantes gazaouis, tente – avec beaucoup de succès – de pallier la crise dans le secteur de la santé dans la bande de Gaza.

Entre l’absence de reconstruction, l’effondrement des services, les réductions de salaires et le blocus israélien habituel, avec un chômage désormais incontrôlable et une augmentation alarmante et sans précédent du taux de suicide, les hôpitaux sont au bord du gouffre. Une phrase souvent entendue quand on parle de Gaza mais qui, aujourd’hui plus que jamais, frappe deux millions de personnes assiégées.

En dehors de la pénurie chronique d’électricité, de médicaments et de machines, la bande de Gaza manque de sang. C’est ce qu’a constaté un groupe d’étudiants en design et marketing : il en est sorti une application dont l’agence Middle East Eye s’est faite l’écho, et qui a été lancée en juillet dernier, consistant à faire rencontrer la « demande » et « l’offre ». C’est-à-dire les hôpitaux et les donateurs. L’idée sous-jacente est similaire à beaucoup d’autres services que le réseau a mis au point, en passant par le co-voiturage à des offres de chambres touristiques. Il y a néanmoins une différence : l’application est complètement gratuite, comme l’est le sang. Un cadeau pour les malades et les patients qui ne trouvent pas de poches disponibles dans les hôpitaux de Gaza.

L’application (téléchargée aujourd’hui par une centaine de personnes – ndlr) s’appelle la Palestinian Blood Bank, c’est-à-dire la Banque du sang palestinien. On s’enregistre en indiquant le nom, le prénom, l’adresse et le groupe sanguin. Les hôpitaux font la même chose : à Gaza City, l’équipe les a visités un par un (les 13 qui fonctionnent toujours, en plus des 54 centres médicaux ouverts) et leur a présenté l’application. En peu de temps, la clinique peut rechercher le groupe requis dans la base de données : un message est envoyé aux donateurs potentiels dans le district ou la ville où le sang est nécessaire et en quelques secondes, ces derniers peuvent accepter en cliquant sur le bouton « faire un don ».

Lorsque le donneur arrive à l’hôpital, il est testé pour vérifier sa bonne santé et donc voir s’il est possible d’utiliser son sang. Les créateurs de la Palestinian Blood Bank tiennent à préciser que tout est assujetti à une clause de confidentialité : les données sensibles sont traitées uniquement par les développeurs.

« L’application est gratuite », explique à Middle East Eye, l’un des développeurs, Salam Doghmish, 22 ans, et nous avons décidé de la créer parce que c’est pour une bonne cause et qu’elle peut aider beaucoup de personnes dans la communauté. Surtout les patients qui ont besoin d’un groupe sanguin particulier qui peut ne pas être disponible dans les banques de sang traditionnelles. » Les résultats sont déjà là : depuis juillet il y a déjà des dizaines de dons qui ont été réalisés grâce à l’appli.

Une forme de solidarité indispensable dans un mouchoir de terre en proie à une dure crise sociale ces dix dernières années. « Le secteur de la santé se trouve dans des conditions difficiles depuis dix ans à cause du blocus qui a des effets directs sur tous les aspects de la vie dans la bande de Gaza », explique à Terrasanta.net le Dr Mahmoud Deeb Daher, chef de la mission de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Gaza. Le chômage, la pauvreté, la restriction de la circulation des personnes, tout cela affecte aussi la santé et les conditions sanitaires de la population. »

 

Quelques données : « le ministère palestinien de la Santé, principal fournisseur de médicaments dans la bande de Gaza, a enregistré une baisse de 42% de l’arrivée et de la distribution de médicaments. Certains sont complètement manquants. La situation est différente pour les machines et le matériel médical : ils ne parviennent à destination seulement si Israël leur accorde un permis pour les passer. Il y a donc des machines clés enfermées pendant des mois à l’extérieur de Gaza. Les coupures électriques s’ajoutent à cela : les hôpitaux de Gaza reçoivent de l’électricité pendant 4 à 6 heures, suivies de 12 heures de panne d’électricité. Les générateurs doivent être utilisés pour faire fonctionner les machines, mais le carburant coûte très cher, compte tenu du déficit budgétaire du gouvernement, et on n’en trouve pas. Grâce à l’intervention de l’ONU, nous avons maintenant assez de carburant pour tenir deux mois. Mais après ? »

Les pénuries d’électricité ont également un impact sur le fonctionnement du réseau hydrique et celui des égouts, ajoutant des problèmes au secteur de la santé, sévèrement touché lors de l’attaque israélienne d’il y a trois ans : «  Sur les 54 hôpitaux opérant avant l’opération « Barrière Protectrice » de 2014, il y en reste maintenant 49 », ajoute  Dr. Daher. « La plupart ont été reconstruits et les cliniques de l’agence onusienne pour les réfugiés (Unrwa) fonctionne. Mais il y a des hôpitaux fermés et un acteur fondamental tel l’hôpital de Wafa (frappé par des bombardements directs – ndr) n’a jamais réouvert et utilise temporairement d’autres bâtiments. »

L’isolement de Gaza englobe tous les aspects de la vie quotidienne. La « frontière » devient une barrière infranchissable pour les médecins et les patients : « Afin d’améliorer la qualité de l’industrie des soins de santé, nous devons envoyer nos jeunes médecins étudier à l’extérieur – souligne le Dr. Daher – mais cela est pratiquement impossible à cause du blocus et du manque d’autorisation de sortie de la part d’Israël. Une restriction de mouvement qui touche également des milliers de patients : chaque année, environ 24 000 personnes demandent aux autorités israéliennes de pouvoir être soignées hors de la bande de Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, dans les hôpitaux israéliens, jordaniens ou égyptiens. Parmi ceux-ci, 40% en moyenne ne reçoivent pas de permis. Nous parlons de personnes atteintes de cancer ou de maladies chroniques qui nécessitent des thérapies spécifiques et sophistiquées. Qu’il n’y a pas à Gaza. »