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Messe en langue des signes: une première à Chypre

Christophe Lafontaine
21 novembre 2017
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Messe en langue des signes: une première à Chypre
Une syllabe du nom de Jésus en langue des signes, où l'on présente les stigmates du ressuscité © Chalermphon Kumchai | Dreamstime

La divine liturgie a été célébrée pour la première fois en langage des signes dans une église orthodoxe près de Nicosie à Chypre, le 19 novembre 2017. Coup de projecteur sur une île, partie intégrante de la Terre sainte.


Interpréter la divine liturgie en langage gestuel. Voilà une initiative de derrière les fagots en provenance directe des sacristies orthodoxes chypriotes ! Dans l’église Saint-Jean Chrysostome à Latakamia au sud-ouest de Nicosie, la divine liturgie (ndlr : célébration eucharistique dans les Eglises de rite byzantin) a été interprétée dans le langage des signes pour la première fois, dimanche dernier. La paroisse était en effet désireuse « d’inclure les personnes atteintes de surdité aux saints Mystères de l’Eglise grecque-orthodoxe », rapporte le Cyprus Mail.

De fait, pour les sourds et les malentendants, la célébration eucharistique traditionnelle peut être considérée comme un théâtre muet. C’est ainsi qu’à l’invitation du métropolite (titre porté par certains évêques des Eglises d’Orient et notamment à Chypre) de Tamasos et d’Orinis (banlieue sud de Nicosie) qu’un théologien bien versé dans le langage des signes, est venu de Grèce pour expliquer aux sourds et malentendants le déroulement de la liturgie. Il ne s’agissait pas de « traduire » mais d’ « interpréter » en langue des signes « le sens théologique de la liturgie et du sermon », a déclaré, dans les colonnes du quotidien chypriote, le Père Kyriacos Kasparis qui est  le recteur de la paroisse. Ce dernier a par ailleurs annoncé que d’autres célébrations identiques auront désormais lieu régulièrement, une fois par mois (puis progressivement une fois tous les quinze jours) et lors des grandes fêtes. « Si tout va bien, la prochaine étape, a-t-il-dit, sera une école du dimanche pour les enfants sourds. »

Une femme chypriote experte en langue des signes a été invitée à apprendre les codes gestuels de la liturgie qu’utilisent le théologien grec afin qu’elle le remplace éventuellement en cas d’indisponibilité à se rendre à Chypre.

Présence chrétienne

Latakamia est une ville d’environ 40 000 habitants dans la plaine de la Mésorée sur le sol de la République de Chypre sur l’île du même nom. Située en Méditerranée orientale, le territoire de l’île est aujourd’hui divisé entre trois souverainetés de facto. Celle de la république de Chypre, internationalement reconnue. Celle de la partie nord (36,3 % du territoire occupés par l’armée turque depuis 1974, y compris une partie de sa capitale Nicosie) autoproclamée République turque de Chypre du Nord en 1983, reconnue seulement par Ankara. Enfin, celle du Royaume-Uni dans les enclaves britanniques d’Akrotiri et Dhekelia.

La christianisation sur l’île remonte au Ier siècle après J.-C. et a été réalisée par Paul et Barnabé, lui-même originaire de Salamine à Chypre. Il est d’ailleurs considéré comme le saint patron de l’île. Aujourd’hui, l’Eglise orthodoxe réunit la grande majorité de ses habitants. Après avoir dépendu d’Antioche, l’Eglise de Chypre est devenue autonome en 431 après le Concile d’Éphèse. Celle qu’on appelle aussi Eglise grecque-orthodoxe de Chypre est donc une juridiction autocéphale de l’Eglise orthodoxe. Le primat de l’Eglise porte le titre d’Archevêque de la Nouvelle Justinienne et de tout Chypre avec résidence à Nicosie. L’Eglise est membre du Conseil œcuménique des Eglises ainsi que du Conseil des Églises du Moyen-Orient. Les Chypriotes sont, au final, à plus de 75% de la population des chrétiens orthodoxes. Il existe également de petites communautés maronite, arménienne et catholique latine (5 %). La partie occupée de l’île (au nord) est en revanche majoritairement musulmane sunnite (18 % de la population totale de l’île).

La petite communauté catholique latine, elle, est sous l’autorité du patriarcat latin de Jérusalem. Le vicaire patriarcal, le frère Jerzy Kraj, est un franciscain qui est aussi délégué du Custode de Terre Sainte pour Chypre tant pour la partie sud de l’île que pour celle du nord. La mission franciscaine à Chypre dispose de trois couvents à Nicosie, à Lanarca et un autre à Limassol. Actuellement une petite dizaine de frères vivent sur l’île. La communauté catholique (maronite et latine) ne regroupe que 1000 chypriotes indigènes. Près de 40 000 fidèles catholiques sont des ouvriers immigrés – pour la plupart de passage – originaires des Philippines, d’Inde, d’Afrique…

Au nord, le patrimoine chrétien en péril

Durant les croisades, l’île de Chypre a vécu sous le règne de la maison franque des Lusignan, qui s’est installée à Famagouste. D’où la forte influence catholique dans cette ville. Cette ancienne cité touristique sur le littoral oriental de la partie nord de Chypre a cependant fait l’objet d’un triste reportage dans L’Orient-Le jour cet été, intitulé « le triste sort des Eglises de Famagouste ». « Entre l’invasion ottomane au XVIe siècle et celle de l’armée turque en 1974, la grande majorité des édifices religieux chrétiens ont été détruits, transformés en mosquées ou tout simplement abandonnés », introduit l’article.

Famagouste, partie de la République turque de Chypre du Nord (RTCN, reconnue uniquement par Ankara) est le symbole de la division de l’île. La ville est séparée d’un de ses quartiers historiques – Varosha – depuis 1974. Bouclé par des barbelés rouillés, gardée par les troupes turques, envahi par les herbes et désertée par les grecs depuis quarante ans, cette zone interdite ou ce no-man’s land aurait pu selon certains, représenter une monnaie d’échange en vue de futures négociations sur le sort final de l’île avec la partie grecque. En vain. Un dernier round de négociations vient de se terminer début juillet à Genève sans avancée majeure. Un accord final bute toujours sur le double écueil du retrait de l’armée turque, et du libre retour des Chypriotes déplacés en 1974 dans leurs communes d’origine.

Passé le quartier de Varosha, les remparts vénitiens de Famagouste abritent des églises consumées par le temps et les invasions. A l’instar des nombreux édifices qui se trouvent actuellement dans la zone interdite de la ville, de nombreuses églises ne sont plus entretenues ou ne répondent plus du tout à leur vocation originelle. En témoignent, l’église Saint-Georges des latins, bâtie au XIIIe siècle en réplique de la Sainte-Chapelle à Paris (France). L’édifice religieux fut détruit par les Ottomans en 1570. « Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un mur formé de quelques arcades », signale Antoine Ajoury, le journaliste de L’Orient-Le jour. N’est pas plus enviable le sort de l’église Saint-Georges des Grecs, deuxième plus grande église de Famagouste. Cathédrale grecque-orthodoxe de la ville, construite dans le style d’une église latine au XIVe siècle. Sous le siège ottoman elle fut une cible privilégiée des assiégeants à cause de sa hauteur. « En outre, l’abside aurait été utilisée comme galerie de tir. Ce qui reste de l’église est toutefois impressionnant. Malgré les destructions, on est toujours sous l’envoûtement d’une grandeur passée qui s’impose au visiteur », s’émeut l’auteur du quotidien libanais. L’imposante église Saints-Pierre-et-Paul, quant à elle, « est aujourd’hui une salle polyvalente, propriété de la municipalité », indique Antoine Ajoury.

La mosquée Lala Moustapha Pacha – le conquérant ottoman de l’île – était à l’origine une église. Bâti au XIVe siècle, l’édifice est de style gothique, copie de la cathédrale de Reims (France). Après la chute de Famagouste aux mains des Ottomans, un minaret a été construit à la place de l’une des tours. La quasi-totalité des figurines humaines et animales qui ornaient la cathédrale ont été détruites, car incompatibles avec l’islam.

Plaise au ciel que ce patrimoine évanoui retrouve son éclat et son intérêt grâce aux retombées touristiques que génère « l’île d’Aphrodite ». Sur les dix premiers mois de l’année, la destination a déjà reçu 3,4 millions de visiteurs. C’est donc mieux que les 3,19 millions de touristes accueillis sur l’ensemble de l’année 2016, déjà une année record, qui avait généré 2,36 milliards d’euros de recettes. Le tourisme en provenance d’Israël est aussi en hausse avec des arrivées en croissance de +80%. Les revenus du tourisme représentent environ 12% du Produit intérieur brut (PIB) de cette île d’un million d’habitants.