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Zoom archéologique sur l’Eglise primitive en Galilée

Christophe Lafontaine
15 novembre 2017
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Zoom archéologique sur l’Eglise primitive en Galilée
Les mosaïques de ces églises de villages galiléens ne représentent pas des animaux, mais plutôt des formes géométriques avec des inscriptions. ©Yeshu Dray

Des fouilles en Galilée occidentale (Israël) suggèrent le rôle clé que les femmes ont pu jouer dans l’Eglise du Ve siècle après J.-C. Période à laquelle le christianisme s’était rapidement propagé dans la  région.


Sept mosaïques et inscriptions grecques de la fin de l’Antiquité ont été retrouvées dans l’ouest de la Galilée, cet été. C’est le résultat de fouilles réalisées dans trois églises byzantines dont une jusque-là inconnue. Les deux autres avaient été découvertes plus tôt. La presse israélienne s’en est fait l’écho la semaine dernière. Mais afin d’éviter les actes de vandalisme, l’emplacement exact n’a pas encore été divulgué. De peur que les gens viennent fouiller et endommager les sites, voire les vandaliser. On se souvient de la profanation en 2012 de la synagogue Hammath (Tibériade) de l’époque talmudique (il y a 1600 ans). Les murs avaient été recouverts de graffitis et le sol en mosaïque lacéré.

S’inspirant de leurs domaines respectifs, l’archéologue Mordechai Aviam  et l’historien Jacob Ashkenazi, tous deux du Collège de Kinneret, institut universitaire du lac de Tibériade, ont reçu une bourse pour trois ans de la part de la Fondation israélienne des sciences afin de compléter un travail interdisciplinaire pour conceptualiser la vie chrétienne en Galilée aux IVe et Ve siècles après J.-C., a déclaré Mordechai Aviam au Times of Israel.

Ils publieront une étude définitive à la fin de leurs recherches. Pour cette première saison de fouilles, c’est le « jackpot » comme l’énoncent les deux protagonistes dans le journal Haaretz. L’une des sept mosaïques retrouvées dépeint la place importante que les femmes ont pu avoir dans l’Eglise primitive. Une inscription en grec, du Ve siècle après J.-C. fait ainsi mémoire d’une certaine « Suzanne » (en hébreu, Shoshana) reconnue et honorée comme une bienfaitrice mécène pour la construction d’une église de village. « Il est surprenant qu’elle ne soit pas mentionnée avec un mari. Elle est une femme indépendante qui a mis à disposition son argent pour l’église, ce qui en dit long sur la vie dans ce village de Galilée », a déclaré Mordechai Aviam au journal Haaretz. Effectivement, dans une société patriarcale (de l’époque post-romaine) où les femmes dépendaient financièrement de leur mari ou d’un tuteur masculin, cette position est plutôt insolite. Ce qui prouve qu’au-delà des grandes villes qui abritaient des familles aristocratiques, des femmes pouvaient obtenir un statut indépendant. Suzanne n’était certainement pas un cas isolé au Ve siècle comme le prétend le Christianity Today (magazine mensuel d’information et de réflexion chrétien évangélique) soutenant qu’un certain nombre de femmes de la classe supérieure ont joué un rôle important dans l’histoire de l’église primitive. Dans les classes supérieures, les femmes se tournaient souvent vers le christianisme, tandis que les hommes restaient souvent païens pour conserver leur statut social et politique. Cette découverte étaye donc la thèse que très tôt dans l’Histoire de l’Eglise, les femmes ont joué un rôle important dans sa fondation. Certainement respectée et de rang social élevé, Suzanne a sans doute, suggère le Times of Israel, marché sur les traces de son illustre homonyme  qui fut – selon l’évangile de Saint Luc (8 : 1-3) – l’une des suivantes de Jésus qui auraient pris « sur leurs ressources » pour l’assister.

L’Histoire de l’Eglise primitive racontée par les tesselles

Les autres mosaïques découvertes dans les trois églises présentent des ouvrages élaborés. Selon Haaretz, cela indique que se cachent derrière ces commandes des communautés prospères. Cependant, contrairement à la norme dans les églises des villes riches, les sols en tesselles des églises, dans les villages de Galilée occidentale, ne représentent pas d’animaux, mais des formes géométriques et des inscriptions. Pour autant, Mordechai Aviam ne suspecte aucune interdiction d’ordre spirituel mais plutôt le fait que les habitants des régions rurales ne pouvaient pas se permettre d’embaucher des artistes reconnus pour leurs motifs floraux ou animaliers. D’ailleurs plusieurs fautes de grec ont été repérées par les chercheurs, selon le Times of Israel. Ce qui confirme que les artistes n’étaient pas les meilleurs. Il faut néanmoins noter deux exceptions. Une mosaïque représente la branche d’un grenadier. Une autre mosaïque, impressionnante par sa taille de cinq mètres de long fait figurer un paon. Cette mosaïque, découverte cet été, est la plus grande jamais trouvée dans la région. L’ouvrage permet de lire sa date d’origine – août/septembre 445 après J.-C. – et le nom de l’évêque de Tyr, Irénée. Il est aussi écrit que le prélat est un ami de Nestorius, une figure controversée des débuts du christianisme connu pour avoir critiqué le titre Theotokos (« qui a enfanté Dieu », improprement traduit « mère de Dieu ») donné à la Vierge Marie.  Nestorius considérait en effet qu’une femme créée ne pouvait être la mère de Dieu, « être par excellence et donc sans cause. » Son enseignement, reconnu hérétique, fut alors condamné. Jusqu’à la découverte de la mosaïque, les chercheurs n’étaient pas sûrs de l’année de l’ordination d’Irénée en tant qu’évêque de Tyr (alors ville dominante de la région, aujourd’hui au Liban). L’inscription met la date de l’achèvement de l’église en 445 et accorde à Irénée le titre d’« episkopos », fournissant la confirmation historique qu’il était déjà ordonné évêque dès 444. Cette inscription est une « grande opportunité de relier le nom sur la mosaïque, avec celui des livres d’histoire », a déclaré Morechai Aviam au Times of Israel.

En plus de l’évêque Irénée, d’autres noms de la hiérarchie de l’Eglise sont tirés des inscriptions. Les noms inscrits incluent des diacres et un évêque, « envoyé spécial » qui a erré parmi les villages de Galilée pour répondre aux problèmes religieux, ainsi qu’un autre évêque qui était quant à lui, responsable des ressources économiques. « Nous avons eu beaucoup de chance de trouver cela et nous avons eu beaucoup d’informations pour commencer à construire la carte de la société chrétienne byzantine galiléenne, de l’économie et de la hiérarchie religieuse », a déclaré au Times of Israel Mordechai Aviam.

Une conversion du paganisme au christianisme fulgurante

L’Empire romain est devenu chrétien au IVe siècle, ce qui indique que, dans l’espace de plus d’un siècle, le christianisme et la foi en Jésus avait profondément pénétré les collines reculées de la Galilée, a déclaré l’archéologue Mordechai Aviam.

Sur les autres mosaïques, des noms d’autres évêques et de différents donateurs indiquent que les chrétiens d’il y a 1600 ans avaient des racines syriennes et phéniciennes et étaient des convertis du paganisme. Il n’y a pas de noms juifs recensés. Cette thèse est renforcée par le fait que dans les villages galiléens explorés jusqu’à présent, aucune preuve d’une communauté juive convertie n’a été trouvée, a déclaré Mordechai Aviam. « Durant la période romaine et la période hellénistique précédente, il n’y avait pas de Juifs vivant en Galilée occidentale », a-t-il ajouté auprès de Haaretz.

La Palestine romaine tardive (un peu plus d’un siècle après l’Empire romain), selon Mordechai Aviam et  Jacob Ashkenazi a donc connu une transition rapide et puissante des cultes païens au christianisme. De fait, les fouilles dans le nord d’Israël ont montré que de nombreux villages de Galilée déjà au Vème siècle possédaient au moins une église et un évêque, explique Aviam au quotidien Haaretz.  Il a également noté que les archéologues ont trouvé des morceaux de poterie et de temples païens qui ont été réutilisés dans la construction de l’une des trois églises. « Dans une église nous avions trois piédestaux qui ont été réutilisés dans la construction de l’église dans les murs », a-t-il dit, notant l’image d’une couronne, que les archéologues considèrent comme un signe d’influence païenne. Au sommet de chaque piédestal, des trous servaient à l’emplacement de statues. Un ornement habituel dans la culture païenne qu’on ne retrouve ni dans les synagogues ni dans les églises de cette époque. Une preuve de plus s’il en fallait.