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Jérusalem: dans les entrailles d’une future nécropole

Christophe Lafontaine
6 décembre 2017
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Jérusalem: dans les entrailles d’une future nécropole
La future nécropole juive de Har Hamenuchot à Jérusalem abritera plus de 22000 tombes (photo prise le 9 juin 2015). © Hadas Parush / Flash90

Faute de place pour enterrer les morts, un grand cimetière souterrain se creuse à Jérusalem-Ouest. L'immense complexe accueillera ses premiers corps au premier semestre 2019. Il pourra contenir plus de 22 000 tombes


« On n’arrive plus à suivre la demande », assurait la semaine dernière à l’AFP, Yehuda Bashari de la société funéraire Hevra Kadisha Kehilat Jerusalem. Les cimetières juifs sont pleins à craquer. Comment gagner de la place ? Face à la surpopulation, la question, cruciale pour l’urbanisme, se pose tant du côté des vivants que des morts. D’où l’idée d’une nécropole souterraine pour créer des milliers de places supplémentaires qui devrait ouvrir ses portes dans moins d’un an et demi à l’ouest de Jérusalem.

D’après la tradition juive, le Messie arrivera à Jérusalem. Alors les morts ressusciteront et ceux de Jérusalem seront les premiers à se lever. D’où l’engouement de se faire enterrer à Jérusalem quand on est juif. Or, la population de Jérusalem compte plus de 520 000 juifs israéliens et pas moins de 6 millions de personnes de confession juive habitent en Israël et 8 millions au total dans le monde. Autant de personnes qui désirent reposer en paix à Jérusalem… Le bilan est tout bonnement sans équivoque : trop c’est trop. La saturation des cimetières est d’autant plus forte que le besoin d’espace funéraire dans le pays est globalement élevé, car la loi juive interdit la crémation.

Pour faire face à ce problème d’encombrement, l’AFP rapporte que des entrepreneurs de pompes funèbres et un spécialiste du secteur du bâtiment spécialisé dans réalisation de tunnels, se sont alliés pour créer un nouveau complexe souterrain au cœur de la colline connue sous le nom de Har Hamenouhot (la colline du repos), à Guivat Shaul, à la sortie-ouest de Jérusalem en direction de Tel Aviv. Har Hamenouhot est l’un des principaux cimetières de Jérusalem. Il est connu pour les nombreuses personnalités juives, israéliennes ou de la diaspora juive qui y ont été enterrées et notamment un grand nombre de rabbins connus. Les responsables du chantier décrivent la future nécropole comme « unique en son genre », indique l’agence de presse française.

Halakha et minhaggim

A ce jour, le cimetière contient déjà plus de 200 000 sépultures. Il y a quelques années, la place manquant au sol, des tombes ont été installées dans des petits murets et dans des bâtiments à étages. Et malgré une construction en terrasse sur trois niveaux qui a créé plus d’espace, cela ne suffit plus au vu de la pression démographique et au regard des exigences de la loi juive. Il faut savoir que l’ordonnancement et l’apparence d’un cimetière juif découlent des règles de la halakha (prescriptions) et des minhaggim (coutumes) des différentes communautés juives. La réalisation de ce projet se fait donc en adéquation avec les règles du judaïsme traditionnel qui commande que les défunts soient mis en terre – l’homme est venu de la terre et doit y revenir – et qui interdit de les déplacer.

L’objectif de la future nécropole est donc de dégager assez d’espace pour obtenir entre 22 000 et 24 000 emplacements supplémentaires. La cavité s’ouvrira par deux entrées au pied de la colline et comportera au total une douzaine de tunnels s’étendant sur 1,5 kilomètre à plus de 45 mètres de profondeur. Les lieux seront entièrement aménagés pour recevoir les tombes et le public qui viendra s’y recueillir. Le complexe funéraire sera équipé d’éclairages, d’ascenseurs et de systèmes de ventilation modernes. « Dans les salles hautes de dizaines de mètres, les tombes s’étageront le long de parois préfabriquées en matériau synthétique à l’aspect minéral » explique l’AFP qui précise aussi que « les dépouilles mortelles seront disposées dans des alvéoles aménagées dans ces parois préfabriquées. Les concepteurs ont veillé à ce que, par un réseau d’ouvertures dans les alvéoles, les corps restent au contact de la terre pour respecter les prescriptions juives de l’inhumation. ». Au centre des salles, des tombes seront creusées à même le sol. Ailleurs, les tombes seront creusées directement dans la roche, à la différence des alvéoles dans les structures préfabriquées. Comme le rappelle l’AFP, ce projet se rapproche des enterrements bibliques (ossuaires) qui se faisaient à même la roche.

Sans contribution gouvernementale

C’est Hevra Kadisha Kehilat Jerusalem qui gère environ 60% des parcelles funéraires juives de la ville qui finance à hauteur de 200 millions shekels (soit 48 millions d’euros) la totalité du projet, sans contribution du gouvernement israélien, indique l’AFP. Il faut savoir que les entreprises de pompes funèbres disposent en Israël d’une capacité financière considérable, l’Etat leur payant l’enterrement des habitants de Jérusalem. Les non-résidents étant prêts à verser des sommes importantes pour être enterrés à Jérusalem. Les investissements des Juifs de la diaspora jouent donc un grand rôle financier dans le projet en cours.

Le chantier a commencé en 2014. A sa fin, au premier semestre 2019, il devrait accueillir les premiers corps de défunts. Cette solution, reste toutefois encore provisoire puisque dans une vingtaine d’années, il faudra à nouveau trouver de nouveaux espaces. Cité par l’AFP, le rabbin Seth Farber, dont l’organisation ITIM dispense conseils et assistance pour observer les lois juives, reconnaît qu’à terme, la raison voudrait qu’on déplace les cimetières hors des villes vers des zones peu peuplées. Pourquoi pas dans le désert, où la place ne manque pas ? Mais c’est renoncer à ressusciter à Jérusalem…

Prendre un peu de hauteur

Confrontée également à un manque d’espace funéraire disponible, Tel Aviv a décidé de regarder vers le ciel plutôt que de creuser dans la terre. Le cimetière Yarkon, en banlieue de la ville de Petah Tikva, le plus grand cimetière de la région de Tel Aviv construit sur 60 hectares, est aujourd’hui plein avec 110 000 concessions funéraires. En 2014, la ville blanche a alors décidé d’emboîter le pas au port de Santos au Brésil qui a fait construire une acropole verticale qui détient le record de hauteur avec une capacité de 180 000 personnes sur 32 étages. Trois bâtiments tendus vers le ciel sont sortis de terre et les tours du cimetière possèdent des tuyauteries remplies de gravats, ce qui signifie que chaque étage est relié à la terre en conformité avec les prescriptions juives. La capacité doit grimper à 250 000 tombes sans nécessiter une extension de la surface, grâce à 30 édifices funéraires verticaux. Nécessité oblige, les autorités religieuses, y compris par les ultra-orthodoxes ont donné leur aval.