Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Rififi au musée d’histoire naturelle à Jérusalem

Christophe Lafontaine
7 mai 2018
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Rififi au musée d’histoire naturelle à Jérusalem
De jeunes Israéliens visitent le musée d'histoire naturelle de Jérusalem (juillet 2011). ©Miriam Alster / FLASH90

Le Musée d'Histoire naturelle de Jérusalem continuera de cacher des parties de son exposition sur l'évolution des espèces pour ne pas choquer les juifs ultra-orthodoxes. L'institution est accusée de trahir la science.


« Couvrez cette expo que je ne saurais voir. » Du Molière version haredi. Le Musée d’Histoire naturelle de Jérusalem, plutôt poussiéreux, est au cœur d’une polémique qui oppose la religion à la science. L’institution culturelle a en effet déclaré qu’elle continuerait à cacher son exposition sur l’évolution pendant le temps de visite des groupes scolaires ultra-orthodoxes, a rapporté le 2 mai 2018 le Times of Israel. Problème : l’exposition aurait été cachée à d’autres occasions où aucun groupe ultra-orthodoxe n’était présent dans les murs du musée. Ce qui  a suscité nombre de critiques révélant une énième dissension entre juifs ultra-orthodoxes et laïcs en Israël.

Qu’en est-il exactement ? Tout bonnement, un drap rose dissimule ainsi crânes, représentations, outils de chasse de la préhistoire, commentaires pédagogiques qui expliquent  les étapes de la transformation progressive des primates – en particulier celle du genre Homo dont l’homo sapiens, notre espèce humaine – qui s’est effectuée sur des centaines de milliers d’années

Or, les haredim (ou « Craignant-Dieu ») reconnus pour avoir une pratique religieuse stricte et refusant pour une large part la modernité, rejettent la théorie scientifique de l’évolution du vivant fondée sur la sélection naturelle qui s’oppose au créationnisme religieux. Pour les haredim, selon la lecture littéraliste de la Bible, les hommes ont été créés séparément de tous les autres animaux. Le « sixième jour ». D’autre part, selon eux, « le monde a été créé il y a 5 778 ans, par opposition aux 13,8 milliards d’années citées par la science moderne. », synthétise le Times of Israel.

D’après un sondage de mars 2016, publié par le quotidien israélien en ligne, seulement 3 % des juifs ultra-orthodoxes croient à l’évolution. Ce qui explique que dans le système éducatif haredi, la théorie de l’évolution n’a pas sa place dans les programmes d’enseignement. Comme d’ailleurs l’existence des dinosaures. Ou des sujets relatifs au corps humain ou à la reproduction. Ainsi toute exposition sur ces thèmes est malvenue.

C’est d’ailleurs au nom du respect des croyances religieuses des groupes ultra-orthodoxes que le musée d’histoire naturelle de Jérusalem a décidé de s’autocensurer.

Mais le motif n’est pas que de cet ordre. L’institution culturelle avoue ne pas pouvoir se permettre de perdre financièrement un manque-à-gagner au cas où l’affluence de groupes juifs ultra-orthodoxes viendrait à baisser. Le directeur pédagogique du musée, le Dr Evgeny Reznitsky a confié au Times que le musée (situé près de la Colonie allemande),  ne changerait d’avis que sous l’injonction des autorités municipales.

Volée de bois vert

« Le rideau ne cachera pas la vérité sur le mur ! » « L’évolution est pour tous ! ». « Ne laissez pas les squelettes dans le placard !», ont crié des manifestants postés devant le musée, la semaine dernière. Estomaqués que l’autocensure revienne à falsifier les faits scientifiques.

Et ce serait un euphémisme de dire que cette décision a suscité un vent de protestation. La prise de position du musée lui a en effet valu une volée de bois vert de la part de nombreux utilisateurs des réseaux sociaux et des médias en hébreu. Sur Facebook, beaucoup ont appelé au boycott du musée et ont contacté sa direction en signe de protestation. « La science et le savoir ne sont pas une plaisanterie », a déclaré dans un post publié sur son compte, Uri Keidar, directeur exécutif de Be Free Israel, une organisation à but non lucratif qui vise à promouvoir le pluralisme religieux en Israël. « Le musée doit décider s’il s’agit d’un musée scientifique présentant la vérité ou d’une institution pratiquant l’autocensure qui cherche à dire à ses visiteurs des demi-vérités et des mensonges complets. »
Mais l’indignation a largement dépassé les frontières de l’Etat hébreu. Le professeur Jerry Coyne, d’origine juive, du Département de l’écologie et de l’évolution de l’Université de Chicago a publié une lettre ouverte accusant vertement le musée. Dans son courrier, l’universitaire – offensé en tant que scientifique – se dit profondément offusqué de la politique menée par le musée, qui selon lui, en vient à « mentir par omission. » Jerry Coyne emploie des paroles très dures : « Ce genre de comportement me fait avoir honte de mes origines juives », écrit-il, jugeant les arguments du musée comme « pathétiques ». Et le biologiste évolutionniste d’ajouter que « ce n’est pas acceptable de la part d’un Etat moderne, favorable à la science et largement laïc. La vérité scientifique est la vérité scientifique, et ne devrait pas être cachée au public par le gouvernement parce qu’elle offense la religion. Une telle censure n’existerait jamais aux Etats-Unis ».