Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le rite des Kapparot: une tradition juive qui bat de l’aile

Christophe Lafontaine
18 septembre 2018
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Le rite des Kapparot: une tradition juive qui bat de l’aile
Un juif ultra-orthodoxe participant au rituel de kapparot © Dima Vazinovich/Flash90

En vue de célébrer Yom Kippour, les juifs ultra-orthodoxes, pour se laver de leurs pêchés, perpétuent le rite des Kapparot (expiations) en brandissant un poulet vivant au-dessus de leurs têtes. Une tradition de plus en plus remise en cause.


« Voici mon double, voici mon remplaçant, voici mon expiation. Ce coq (ndlr : ou cette poule, si l’on est une femme) ira vers la mort pendant que je commencerai et poursuivrai une vie heureuse, longue et paisible. » Cette formule n’a pas été chantée par Netta Barzilai (25 ans) qui a gagné l’eurovision 2018 en imitant la poule. Il s’agit très sérieusement d’un texte traditionnel que récitent les juifs de certaines communautés ultra-orthodoxes en faisant tournoyer un poulet vivant trois fois au-dessus de leur tête, pour préparer le jour du grand pardon, Yom Kippour. C’est durant les Dix jours de Pénitence qui séparent Roch Hachana (le nouvel an) du jour le plus saint de l’année juive, que ces Kapparot (expiations) peuvent être faites. Mais la tradition dit que le moment idéal est le jour qui précède Yom Kippour peu avant l’aube, car c’est à ce moment-là qu’« un fil de bonté divine » règne sur le monde. Cette année, la fête commence le 18 septembre au soir et se terminera le 19 au soir. Il est donc encore temps de faire ses Kapparot.

Selon cette coutume, le volatile recueille donc les péchés du pénitent et sa mort procure leur absolution. Les règles de la casherout stipulent que le coq ou la poule soient égorgés à l’issue du rite par un cho‘het (sacrificateur rituel). Le poulet peut ensuite être consommé en famille ou bien remis à des personnes nécessiteuses (orphelinats, associations caritatives, étudiants de la Torah, …).

Mais de plus en plus, les Kapparot en volailles sont remplacées par de l’argent comme un substitut acceptable. La coutume s’effectue donc par une Tsédaka, un don d’argent remis aux personnes dans le besoin. Toutefois, en souvenir des Kapparot, beaucoup ont la coutume de manger un plat à base de poulet la veille de Yom Kippour.

Aujourd’hui des acteurs du monde politique associent leurs voix aux organisations de défense des animaux qui s’insurgent des conditions dans lesquels les poulets sont transportés, groupés dans des cages exiguës, souvent sous un soleil accablant puis malmenés pendant le rituel.

Le Jerusalem Post a d’ailleurs rapporté qu’Avraham Poraz, ancien ministre de l’intérieur avait déposé au nom d’un mouvement de militants écologistes laïcs, le 6 septembre dernier, une pétition devant la Cour suprême israélienne pour réclamer une action en justice contre l’utilisation de volailles vivantes dans la pratique des Kapparot. Mais la Cour a rejeté cette pétition, a indiqué Israel national news.

Casse-tête politico religieux

Il n’empêche qu’au début du mois, le ministère israélien de l’Agriculture a lancé une campagne télévisée pour pousser les citoyens juifs d’Israël à effectuer les Kapparot en utilisant plutôt de l’argent que des poulets. Un court dessin animé a notamment été réalisé : on y voit un homme préparer un poulet pour les Kapparot, qui n’hésite pas à ouvrir son bec pour protester contre son sacrifice. Et la voix off de dire : « Cette année, célébrons les Kapparot avec de l’argent et venons en aide aux plus démunis. »

Déjà en 2016, le ministre de l’Agriculture, Uri Ariel, pour les fêtes de Kippour avait déclaré : « nous nous sommes efforcés d’encourager le public à poursuivre cette coutume importante sans recourir à l’abattage de poulets, mais en réalisant à la place un don d’argent. Cela est doublement juste : pour la cruauté évitée envers les animaux, et pour la charité faite aux personnes dans le besoin. » La même année, trois villes israéliennes avaient décidé d’interdire les sacrifices de poulets dans leurs rues : Tel-Aviv, Petah-Tikva, et Rishon-Letsion.

La tradition des Kapparot de poulet ne fait non plus l’unanimité chez les rabbins. Dernièrement, au début du mois de septembre, sur le site d’Israel national news, c’est le Grand Rabbin sépharade Meir Mazouz, le directeur de la Yeshiva Kisseh Rah’amim à Bnei Barak (nord-est de Tel Aviv) qui s’interrogeait : « Comment cela peut-il apporter du réconfort aux plus démunis ? » Et de constater « Parfois ces poulets sont entassés dans des voitures pendant des jours, c’est maltraiter les animaux ! » Ce qui contrevient au commandement interdisant d’infliger des souffrances aux bêtes. Le site modernorthodox.fr relatait que l’organisation rabbinique israélienne Tsohar, la plus grande organisation orthodoxe du pays, avait déjà exprimé en 2014 publiquement son opposition à cette coutume sur des coqs et invitait le public à faire leurs kapparot sur de l’argent, transmis ensuite aux organismes de charité

La même année, les deux grands rabbins d’Israël, David Lau et Itshak Yossef, avaient livré le même conseil. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une condamnation catégorique admettant que la coutume ancestrale de certaines communautés devait se poursuivre.

Le débat ne date pas d’aujourd’hui d’autant que la pratique n’a pas de fondement dans la Torah et le Talmud. L’usage est apparu à la fin de l’ère talmudique, il y a environ 1000 ans. La coutume aurait, dès ses débuts, instauré de prendre des poulets blancs, pour évoquer le verset 1,18 dans Isaïe : « Si vos péchés s’avèrent rouges comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige. » Le choix de l’animal reposerait sur une homonymie. En araméen, « guévèr » signifie « coq » et en hébreu, le mot signifie « homme ». De plus, l’avantage de cette volaille, vient du fait qu’elle n’était pas une espèce qui était offerte en sacrifice au Temple de Jérusalem. Ceci permettant d’exclure l’assimilation par erreur que les Kapparot sont un sacrifice.

Ces raisons n’ont pas empêché les rabbins de voler dans les plumes des défenseurs de cette tradition. Notamment au Moyen-Age. Rambam (XIIe-XIIIe siècle), considéré comme l’une des plus éminentes autorités rabbiniques du Moyen-Âge reproche à ce rite de ressembler aux pratiques païennes. Rachba, un talmudiste espagnol réputé (XIIIe-XIVe siècle) l’apparente aux darkhei ha-emori (« activités ressortissant à la magie » ou superstition).