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Le vote d’une loi interroge sur le devenir démocratique de l’Etat juif

Marie-Armelle Beaulieu
1 novembre 2018
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Le gouvernement israélien en place a-t-il sonné le glas de la démocratie en Israël ? Une loi votée à la fin de la session parlementaire à la mi juillet fait débat dans la société israélienne.


Le 19 juillet, la Knesset, le parlement israélien, votait en troisième lecture, par 62 voix pour, 55 contre, et 2 abstentions une “loi fondamentale”. Un texte d’une demi page en 11 points qui définit l’État d’Israël comme l’État-Nation des juifs (voir le texte intégral de la loi ci-dessous). Rien de neuf sous le soleil ? On savait qu’Israël se voulait lieu d’accueil et de rassemblement des juifs du monde.

D’où vient alors que le vote ait été aussi serré ? C’est que le texte, en ne mentionnant pas les 20 % d’Israéliens qui ne sont pas juifs, a interpellé un certain nombre de députés israéliens. Les premiers à être montés au créneau sont les députés druzes. Ils représentent une communauté de quelque 130 000 membres. Leur religion, qui emprunte à plusieurs autres religions dont l’islam, est secrète. Ils comptent quatre députés à la Knesset siégeant dans quatre partis politiques israéliens différents. Les Druzes se félicitaient jusqu’ici de “servir ce pays avec dévouement, résolution et amour.” Ils sont les seuls des non-juifs à être conscrits obligatoires.

Ils ont été suivis dans leur fronde par les députés Arabes israéliens. La communauté des Palestiniens de 48, Palestiniens d’Israël, Arabes israéliens comme ils se nomment eux-mêmes ou sont nommés représente 17 % de la population et près de deux millions d’habitants. Ils sont musulmans dans leur immense majorité. La communauté chrétienne en leur sein ne comptant que 130 000 membres. Ils ne font l’armée que dans le cadre d’une conscription volontaire.

Ces deux groupes ont été appuyés par la gauche israélienne. Le fils de l’illustre Menahem Begin, Benjamin Begin, centre droit, s’est lui aussi abstenu lors du vote.

Lors des manifestations qui ont suivi – le 4 août à l’appel des Druzes et le 11 à l’appel des Arabes israéliens – le plus grand reproche fait à cette loi est celui d’avoir enterré l’esprit de la Déclaration d’Indépendance de l’État hébreu du 14 mai 1948 qui stipulait : “L’État d’Israël (…) assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ; il assurera la protection des lieux saints de toutes les religions et sera fidèle aux principes de la Charte des Nations Unies.”

Les mots qui fâchent

Le jour du scrutin, un député arabe, Ayman Odeh, brandissait une banderole noire en s’écriant “Vous marquez aujourd’hui la mort de votre démocratie !” Et tous les manifestants comme les opposants à la loi de souligner avec la perte de l’égalité entre citoyens israéliens, les risques encourus par la démocratie. Les plus virulents soutenant même qu’Israël était officiellement devenu un État d’apartheid.

Durant trois semaines, le débat a fait rage dans la société israélienne. Et ce bien qu’en l’état la loi n’ait aucune conséquence sur le quotidien des non-juifs en Israël. Mais le risque est à venir. En faisant de cette loi une loi fondamentale, le gouvernement en place a choisi de lui donner un caractère constitutionnel dans un pays dépourvu de constitution. Toutes les lois à venir qui pourraient revêtir un caractère discriminatoire, si elles devaient être contestées, seront dorénavant étalonnées à l’aune de cette loi fondamentale et par conséquent le plus souvent recevables.

Le patriarcat au front

Le patriarcat latin de Jérusalem, onze jours après le vote de la loi, publiait un communiqué sur son site Internet, qualifiant cette loi de “source de grande inquiétude” puisqu’elle “néglige de garantir constitutionnellement les droits des populations locales et des autres minorités qui vivent dans le pays. Les Palestiniens citoyens d’Israël sont exclus de cette déclaration de manière flagrante.” “Il est inconcevable, poursuit le communiqué, qu’une loi à valeur constitutionnelle ignore sciemment un segment entier de la population comme si ces membres n’avaient jamais existé. Après avoir rappelé que cette loi “violait ouvertement” la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies ainsi que la propre Déclaration d’Indépendance d’Israël et une autre loi fondamentale de 1992 intitulée “Liberté et dignité de l’Homme”, le communiqué du patriarcat – nécessairement validé par l’Administrateur apostolique – poursuivait : “Tout État comportant en son sein de grandes minorités a le devoir de reconnaître leurs droits collectifs et de permettre la préservation de leur identité collective, incluant leurs traditions religieuses, ethniques et sociales.” pour s’achever sur un appel adressé aux citoyens israéliens de s’opposer à cette loi. “Les citoyens chrétiens d’Israël partagent les mêmes inquiétudes, tout comme toute communauté non-juive en ce qui concerne cette loi. Ils appellent tous les citoyens de l’État d’Israël qui croient encore au concept fondamental d’égalité entre tous les citoyens de la même nation à exprimer leur opposition à cette loi et à avertir des dangers qui en émanent pour l’avenir de ce pays.”

Tandis que les premières tensions sont retombées, la lutte contre la loi s’organise. “Le combat ne fait que commencer” disent ses détracteurs. De nombreuses pétitions ont été déposées à la Cour suprême israélienne par les Druzes, les Arabes, les Bédouins (eux aussi concernés) et de nombreux Israéliens, réclamant son annulation ou au moins des amendements.

Mais le plus important est que des politiciens, des philosophes, des historiens, des sociologues, des poètes, des rabbins etc. s’interrogent sur ce qu’être juif aujourd’hui en Israël. Sur la finalité du sionisme. Sur la différence entre l’être juif et l’être israélien. Sur la question du rapport à la terre etc.

Si la halakha, la loi juive, tranche sobrement : “Est juif qui est né de mère juive”, en revanche le caractère juif de l’État, dont Benjamin Netanyahu a fait le leitmotiv de sa politique, n’a jamais été défini. Et les contours qu’en trace le Premier ministre israélien inquiètent au cœur du judaïsme même. Ainsi, le président du Congrès juif mondial Ronald Lauder a-t-il écrit dans le New York Times un article dans lequel il dénonce que les lois israéliennes supposent qu’elles définiraient le judaïsme même. Un judaïsme qui se détourne de l’Esprit des lumières, un judaïsme qui prête le flanc à l’antisémitisme, un judaïsme dangereux pour Israël et les juifs du monde entier, un judaïsme auxquels de nombreux jeunes juifs ne veulent pas souscrire. “Ce n’est pas qui nous sommes, ni qui nous souhaitons être”, tance-t-il concluant : “Ce n’est pas le visage que nous voulons montrer à nos enfants, petits-enfants et à la famille des nations. Travaillons ensemble pour changer de cap et faire en sorte qu’Israël continue d’être l’État démocratique juif qu’il est censé être.”

Une réflexion s’impose en effet au judaïsme semble-t-il.

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Texte intégral de la loi

Loi fondamentale:Israël en tant qu’état-Nation du peuple juif

1. Principes de base

A. La Terre d’Israël est la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été créé.

B. L’État d’Israël est le foyer national du peuple juif, dans lequel il remplit son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination.

C. Le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est unique au peuple juif.

2. Les symboles de l’état

A. Le nom de l’État est “Israël.”

B. Le drapeau de l’État est blanc avec deux bandes bleues près des bords et une étoile bleue de David au centre.

C. L’emblème de l’État est une menorah à sept branches avec des feuilles d’olivier des deux côtés et le mot “Israël” en dessous.

D. L’hymne de l’État est “Hatikvah”.

E. Les détails concernant les symboles de l’État seront déterminés par la loi.

3. La capitale de l’État

Jérusalem, complète et unie, est la capitale d’Israël.

4. Langue

A. La langue de l’État est l’hébreu.

B. La langue arabe a un statut particulier dans l’État ; la réglementation de l’utilisation de l’arabe dans les institutions de l’État ou par celles-ci sera fixée par la loi.

C. Cette clause ne porte pas atteinte au statut donné à la langue arabe avant l’entrée en vigueur de cette loi.

5. Rassemblement des exilés

L’État sera ouvert pour l’immigration juive et le rassemblement des exilés.

6. Lien avec le peuple juif

A. L’État s’efforce d’assurer la sécurité des membres du peuple juif en difficulté ou en captivité en raison de leur judéité ou de leur citoyenneté.

B. L’État agit au sein de la diaspora pour renforcer l’affinité entre l’État et les membres du peuple juif.

C. L’État agit pour préserver le patrimoine culturel, historique et religieux du peuple juif parmi les juifs de la diaspora.

7. Colonie juive

L’État considère le développement de la colonisation juive comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir sa création et sa consolidation.

8. Calendrier officiel

Le calendrier hébreu est le calendrier officiel de l’État et à côté de lui le calendrier grégorien sera utilisé comme calendrier officiel. L’utilisation du calendrier hébreu et du calendrier grégorien sera déterminée par la loi.

9. Jour de l’Indépendance et jours de commémoration

A. Le jour de l’Indépendance est la fête nationale officielle de l’état.

B. Le jour commémoratif pour les morts dans les guerres d’Israël et le jour du souvenir de l’holocauste et de l’héroïsme sont des journées officielles de l’État.

10. Jours de repos et de sabbat

Le sabbat et les festivals d’Israël sont les jours de repos établis dans l’État ; les non-juifs ont le droit de maintenir des jours de repos sur leurs sabbats et festivals ; les détails de cette question seront déterminés par la loi.

11. Immutabilité

Cette loi fondamentale ne peut être modifiée que par une autre loi fondamentale adoptée par la majorité des membres de la Knesset.