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Jordanie: l’aqueduc de Gadara ouvre les vannes au public

Christophe Lafontaine
10 janvier 2019
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Jordanie: l’aqueduc de Gadara ouvre les vannes au public
Vue sur la ville antique de Gadara sous laquelle passe l'aqueduc du même nom © Bernard Gagnon / Wikimedia Commons

Trois ans de travaux auront été nécessaires pour réhabiliter en Jordanie un tronçon de l'aqueduc romain de Gadara, l’une des dix villes de l’antique Décapole. De quoi stimuler le tourisme sur le site.


L’aqueduc de Gadara (aujourd’hui la ville moderne d’Umm Qais à 110 km au nord-ouest d’Amman) est le plus grand système hydraulique connu au monde à l’époque de l’empire romain. L’ouvrage également appelé Qanat Fir’aun (le cours d’eau du pharaon) mais qui n’a rien d’égyptien, apportait l’eau depuis les sources au pied du mont Hermon et serpentait en pente douce sur 170 km (dont 106 sous terre) entre la Syrie et la Jordanie actuelles. Sa construction a débuté vers l’an 90 et s’est poursuivi pendant les 120 années suivantes. Les ingénieurs romains confrontés, après le tronçon syrien, à une succession de collines, de wadis et de pentes abruptes au nord de la Jordanie ont décidé de creuser dans la montagne pour échapper aux difficultés du relief. Le pont-canal continua sa course sous terre. Un prodige quand on sait que la boussole était inconnue dans le monde antique et quand on connaît les risques du manque de ventilation sous terre pour le travail des ouvriers. Pour surmonter ce problème, des puits inclinés dans la roche tous les 20 à 200 mètres ont été percés. Le réseau souterrain avec une hauteur moyenne de 2,5 mètres et une largeur de 1,5 mètre a été redécouvert par Mathias Döring, professeur d’hydromécanique à Darmstadt, en Allemagne, en 2004.

Prouesse d’hydro-ingénierie

Conscientes de la prouesse que représente cet ouvrage colossal d’hydro-ingénierie, deux organisations, américaine et jordanienne, se sont engagées à sa conservation et sa réhabilitation sur plus de 2 kilomètres, selon le journal Asharq al-Aswat (Le Moyen-Orient en arabe).

Les travaux, entamés en 2015, sont désormais terminés, permettant, selon le quotidien panarabe, aux visiteurs de se déplacer dans le tunnel, « afin de proposer une expérience unique qui emmène les visiteurs dans le passé et leur présente la créativité de ceux qui ont construit ce tunnel. » Il y a près de 2000 ans.

L’ouvrage fut exécuté sous la forme de deux systèmes parallèles complexes appelés tunnels inférieur et supérieur qui avaient pour fonction de répartir l’eau entre les bâtiments privés et publics, tels que les thermes. L’aqueduc alimentait outre Gadara – sa destination – également d’autres villes comme Adraa (Dar’a actuelle) et Abila (Quwayliba) situées sur son parcours.

Récemment, une cérémonie a été organisée (exactement le 18 décembre 2018) pour annoncer l’ouverture officielle du tunnel au public. « Cet important site historique est mieux préservé pour le peuple jordanien et pour les nombreux visiteurs et touristes qui s’émerveilleront de l’ingéniosité des constructeurs de l’Antiquité », s’est réjouie dans un communiqué l’ambassade des Etats-Unis en Jordanie.

Car le projet mené en coopération avec des membres du corps professoral d’archéologie et d’anthropologie de l’université jordanienne de Yarmouk, selon le communiqué américain, a été financé à hauteur de 160 000 dollars par le Fonds des ambassadeurs américains pour la préservation de la culture (AFCP). Depuis 2001, la Jordanie a reçu plus de 2 millions de dollars de subventions américaines pour financer 18 autres projets de conservation du patrimoine culturel dans des villes telles que Petra, Al-Beidha, Umm al-Jimaal, Abila, la Vallée du Jourdain et le centre-ville d’Amman. 

Cette restauration sur le site archéologique de Gadara permettra particulièrement « d’accroître l’intérêt général pour le site en tant qu’attraction touristique du nord de la Jordanie », indique le communiqué de l’ambassade des Etats-Unis dans lequel le chargé d’affaires américain, Jim Barnhart a déclaré que « le tourisme reste l’un des fondements de l’économie jordanienne et les Etats-Unis se sont engagés à soutenir sa croissance continue. »

Bientôt au patrimoine mondial ?

Ziad al-Saad, vice-président des affaires académiques de l’université de Yarmouk, cité dans Asharq al-Aswat, a souligné que l’achèvement de ce projet pourrait contribuer à fournir les conditions requises pour que le canal souterrain de Gadara soit ajouté à la liste du patrimoine mondial, « ce qui conférerait au site une valeur ajoutée », a-t-il déclaré. En ajoutant que « cela ouvrirait également la voie à la mise en œuvre des travaux futurs d’entretien des parties restantes du tunnel. » Pour l’heure, le site antique de Gadara est seulement inscrit sur la liste indicative au patrimoine mondial de l’Unesco (depuis 2001). Il s’agit d’un inventaire des biens que chaque Etat partie de l’organisation internationale considère comme étant un patrimoine culturel et/ou naturel de valeur universelle exceptionnelle susceptible d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial et qu’il a l’intention de proposer pour inscription.

Gadara fut l’une des dix villes de la Décapole, cette fédération de villes regroupées en raison de leur langue, de leur culture, et de leur situation politique autonome à la frontière orientale de l’Empire romain. La ville n’est pas nommée dans la Bible, mais le territoire qui l’entoure est appelé la région des Gadaréniens et selon la Bible, c’est l’endroit où Jésus aurait chassé le diable et deux démons dans un troupeau de porcs (Matthieu 8, 28-34). 

Le site était occupé dès le VIIème siècle av. J.-C. La ville bâtie sur un carrefour de routes commerciales stratégiques, du haut de sa colline connut son apogée à l’époque romaine à partir du règne d’Auguste (27 av. J.-C – 14 apr. J.-C). Ville d’environ 50 000 habitants, Gadara a particulièrement prospéré à la fin du IIème et au début du IIIème siècle ap.J.C. Cosmopolite, elle abritait une vie culturelle riche en attirant écrivains, philosophes, artistes et poètes.

En témoignent notamment encore les ruines de deux théâtres, d’un temple et de nombreux autres bâtiments de commerce. Une rue pavée bordée d’une double colonnade, traverse la ville d’est en ouest.

Le plan original de la ville romaine prévoyait que l’eau de l’aqueduc remplît un haut réservoir de pierres qui alimenterait les fontaines de la ville et un « bassin des nymphes » de 22 mètres de long. Mais cela n’eut jamais lieu. A cause d’erreur de calculs, l’aqueduc arriva légèrement trop bas pour satisfaire tous les projets aquatiques de la ville. Le réservoir n’a jamais pu être rempli et les fontaines n’ont jamais été mises en service…