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Mer Rouge : huit pays prennent les coraux par les cornes

Christophe Lafontaine
19 juin 2019
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Récif corallien dans la mer Rouge (partie égyptienne) © Derek Keats / Wikimedia Commons

Sous la houlette d’un institut suisse, Israël va s'allier avec ses voisins arabes riverains de la mer Rouge pour protéger les coraux qui y vivent. Une mission commune au nom de l’écologie mais aussi de la diplomatie.


Israël, la Jordanie, l’Egypte, le Soudan, l’Erythrée, Djibouti, l’Arabie saoudite et le Yémen. Tous ces pays qui bordent les eaux bleues de la mer Rouge ont accepté de rejoindre un centre de recherche commun : le « Red Sea Transnational Research Center ». La presse locale s’est fait l’écho de cette initiative la semaine dernière.

Le nouveau centre sera chargé d’étudier, de surveiller et de protéger les coraux de la mer Rouge, leur santé et leur biodiversité. Protéger les coraux, c’est favoriser la saine symbiose entre les algues et les coraux, vitale à la faune sous-marine qui habite les récifs, qui s’y protège et s’y reproduit. Favorisant un vivier pour les pêcheurs comme pour les touristes attirés par les trésors colorés et animés de la mer. Ayant de ce fait un rôle dans le développement économique des pays de la région. Protéger les coraux, c’est aussi préserver les barrières qu’ils forment et qui servent de bouclier naturel contre les vagues et l’érosion qu’elles peuvent provoquer.

Ainsi, pour le Times of Israel, ce centre est sans doute « la plus grande initiative conjointe dans la région à la fois pour le nombre de pays concernés et pour la vaste région et la complexité des écosystèmes étudiés. »

Aux côtés d’Israël, hormis l’Egypte et la Jordanie qui ont signé des traités de paix, on compte donc cinq pays à majorité musulmane qui n’ont pas de relations diplomatiques avec l’Etat hébreu, participant à ce front uni écologique sur la base d’échanges d’informations scientifiques.

Pour des raisons politiques évidentes, le nouveau centre sera encadré et géré par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse. Cet institut agira comme un « parapluie neutre » pour superviser la recherche du nouveau centre basé à Berne (Suisse) et assurera ainsi la liaison entre les pays, explique le chercheur israélien Maoz Fine, biologiste marin de la Faculté des sciences de la vie Mina et Everard Goodman de l’Université de Bar-Ilan, cité par la chaîne i24News. C’est lui dont le laboratoire est à Eilat (Israël) qui est à l’initiative du projet.

A la loupe

Concrètement, explique le Times of Israel, « les chercheurs suisses travailleront individuellement avec chaque pays pour placer des centaines d’écrans de contrôle dans la mer, lesquels transmettront des données en temps réel à la base de données hébergée dans le cloud de l’EPFL. Des éléments comme la température, les courants et les vents seront ainsi enregistrés. »

En plus de ces données, le nouveau centre, dont les chercheurs sont issus des milieux de l’océanographie, la biologie, la génétique, l’écologie, la géologie, la protection de la nature ou encore le génie civil et environnemental, veut analyser les dommages causés par la proximité de zones urbanisées, l’activité touristique, la pollution agricole, la surpêche et les déchets industriels. Autant de menaces qui nécessitent une coordination pour un partage d’informations utile afin d’aider les décideurs de la région à prendre des mesures concernant l’évolution de la société et les stratégies de protection de leur environnement commun.

Le centre a aussi comme autre ambition d’identifier les mutations génétiques qui expliquent que les coraux de la mer Rouge survivent à des températures élevées et résistent aux effets de décoloration dus au réchauffement climatique qui touchent d’autres récifs dans le monde. D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), environ 20% des récifs coralliens du monde ont déjà été détruits et 60% des récifs coralliens du monde sont menacés d’extinction. Entraînant derrière eux la disparition de tout un écosystème.

Les découvertes scientifiques autour des gènes des coraux de la mer Rouge qui seront possibles grâce au nouveau centre de recherche, pourraient permettre de rendre d’autres coraux d’autres régions du monde et similaires à ceux de la mer Rouge, plus résilients au réchauffement climatique.  « Cela signifie que le monde pourrait avoir une réserve de coraux en bonne santé qui pourraient servir à reconstituer les stocks de coraux mourants dans d’autres régions qui ne se sont pas montrées résistantes au changement climatique », indique Haaretz. Dans l’océan Indien ou l’océan Pacifique, par exemple.

Pour l’ensemble de ses études, le centre utilisera les plateformes de recherche existantes dans les différents pays partenaires, notamment l’Institut interuniversitaire des sciences de la mer d’Eilat, la Station des sciences de la mer de Jordanie dans le golfe d’Aqaba ainsi que les infrastructures de recherche offertes par l’Université King Abdullah de Science et technologie en Arabie Saoudite. De nouvelles stations de surveillance seront également créées. La zone de recherche couverte s’étendra sur 2 000 km de côtes et 14 500 km de récifs.

Les coraux de la paix

Le biologiste israélien Maoz Fine espère que le centre de recherche fera des émules pour d’autres projets de recherche nécessitant l’alliance des pays de la région. « Je pense que c’est ce qui motive les Suisses, car ce n’est pas une région qui s’intéresse beaucoup aux coraux », ironise avec sérieux le biologiste. « Ils étudient l’idée de ‘diplomatie pour les sciences, les sciences pour la diplomatie’ », explique-t-il en ajoutant que « cela pourrait vraiment servir les relations diplomatiques dans la région. »

Le Département fédéral de la Suisse pour les affaires étrangères (DFAE), a annoncé en mars qu’il soutenait le projet chapeauté par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Dans son discours, Ignazio Cassis, chef du DFAE avait déclaré que la Suisse disposait d’une importante communauté scientifique et qu’elle avait « les atouts et la crédibilité pour jouer un rôle de facilitateur » pour « promouvoir un tel dialogue dans une région du monde caractérisée par un contexte politique et culturel fragile. »

Il existe d’autres modèles de projets de recherche supervisé par ce pays neutre, notamment celui des « chouettes de la paix » qui rassemble des chercheurs israéliens, palestiniens et jordaniens. Les agriculteurs ont l’habitude de répandre des pesticides afin d’éliminer les rongeurs qui dévastent les cultures agricoles. Or, les chouettes effraies permettent de réguler la population des rongeurs, ce qui peut ainsi éviter l’usage de poisons dans les cultures.

Si l’objectif premier est de protéger l’environnement avec l’emplacement des nichoirs pour chouettes, il est certain que le projet favorise aussi la coopération entre des communautés, habituellement en tensions. L’intérêt du Pape s’y est même arrêté. En effet, le souverain pontife a reçu en mai dernier au Vatican, Alexandre Roulin, le porteur du projet.

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