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Yad Vashem: expo en ligne sur la vie juive avant 39-45

Christophe Lafontaine
9 septembre 2019
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Yad Vashem: expo en ligne sur la vie juive avant 39-45
Photo d’une réunion famille chez les Majer à Belgrade en 1935. Dix-neuf personnes de cette photo ont été tuées pendant la Shoah © Archives photographiques Yad Vashem

Le mémorial de Yad Vashem a monté une exposition en ligne pour marquer les 80 ans du début de la Seconde Guerre mondiale en présentant les récits d'une douzaine de familles juives en 1939 et pendant la Shoah.


Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie envahissait la Pologne. Provoquant l’entrée en guerre le 3 septembre du Royaume-Uni puis dans la foulée de la France, entraînant derrière eux leurs empires coloniaux. Quatre-vingts ans plus tard, Yad Vashem a annoncé avoir mis en ligne sur son site une exposition (*) retraçant une douzaine d’histoires de familles juives de toute l’Europe au seuil de la guerre, n’imaginant pas son ampleur. « Cette exposition retrace le sentiment dominant de la population juive au bord d’un avenir inconnu, qui aboutit à l’extermination de six millions de juifs et des siècles de vie juive en Europe », indique un communiqué du mémorial de la Shoah à Jérusalem, publié dimanche dernier. Alors qu’« en 1939, les juifs menaient une vie dynamique, diverse, riche et active dans toute l’Europe. Ils ont élevé des familles, dirigé des entreprises, rêvé et fait des projets, aimé et pleuré. Ce que les juifs ne pouvaient pas savoir, c’est que le déroulement normal de leur vie quotidienne serait bientôt brutalement anéanti », détaille une vidéo du mémorial de la Shoah commentant l’évènement.

« Quatre-vingts ans après, il est encore difficile de comprendre l’énorme décalage entre la vie juive d’avant-guerre et son destin tragique pendant la Shoah », explique la chercheuse et commissaire de l’exposition en ligne Yona Kobo. Tout au long, « nous voyons des familles de Yougoslavie, d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne, de Roumanie, de Grèce et de Tchécoslovaquie aux plus beaux moments de leurs vies – mariages, naissances et autres événements joyeux – mais également en train de chercher des voies de sortie, luttant pour faire face à la détérioration de leur vie quotidienne », a-t-elle déclaré. Pour aboutir au « massacre de masse des juifs sans distinction entre hommes, femmes et enfants ».

Ce n’est pas un hasard si six des œuvres de Felix Nussbaum (1904-1944), peintre juif allemand sont accueillies dans cette exposition. Inscrit à la prestigieuse Académie des Arts de Berlin, il se rendra vite compte qu’il n’y a pas d’avenir pour les juifs en Allemagne. Ses peintures de 1939 à 1941 (portrait, autoportrait, paysage, scènes de vie, nature morte) illustrent ses sentiments de peur et de désolation, sa situation d’homme caché ou l’impuissance de la culture à le sauver. Il sera emmené le 31 juillet 1944 dans le dernier convoi pour Auschwitz depuis la Belgique.

L’exposition s’appuie en outre sur des lettres et cartes postales, extraits de journaux intimes, poèmes, invitation à un mariage. Textes où s’y mêlent de l’allemand, du polonais, de l’hébreu, du yiddish ou du ladino… Photos de fêtes et de bar-mitzva, dessins et objets personnels complètent la collection exposée. Toutes ces pièces, témoins de la période de la Shoah, ont été données à perpétuité à Yad Vashem par des survivants et sont conservées dans les archives du mémorial.

« Soudain le ciel s’assombrit »

En navigant dans les rubriques de l’exposition online de Yad Vashem, le visiteur découvre ainsi le quotidien au début de la guerre chez les Zabludowski à Varsovie en Pologne. « Le problème auquel nous sommes confrontés en septembre 1939, c’est comment trouver du pain. Après avoir fait la queue en vain pendant cinq heures dans les boulangeries et les magasins de confiserie, nous sommes rentrés chez nous avec deux têtes de chou, chacune coûtant un zloty (…) » écrit Mira Zabludowski le 18 septembre 1939 dans un journal qu’elle a tenu pendant les premiers mois de l’occupation en rendant visite à ses parents.  « Nous faisons la queue malgré les bombardements, car une place dans la file est aussi précieuse que la vie elle-même ». Mira réussit finalement à quitter la Pologne à la fin du mois de novembre de la même année, sans jamais imaginer qu’elle ne reverrait plus ses parents.

C’est aussi l’histoire de Lazar-Eliezer Kasorla et Karolina Daniel qui se sont mariés le 15 février 1939 à Thessalonique en Grèce. Moins de cinq ans plus tard, les deux mariés et la plupart des invités au mariage mourront à Auschwitz.

A côté des Finke en Allemagne, des Beck partagés entre Vienne et le Kent en Angleterre, de la polonaise Jula Piotrkowski qui voit partir en 39 son petit ami émigrer pour la Palestine mandataire et qui, elle, sera envoyée avec sa mère dans le ghetto de Lodz sachant quel sera leur destin, l’exposition dont le deuxième titre est explicite – « Soudain le ciel s’assombrit » – revient sur les temps d’insouciance de la famille Majer de Belgrade (en Yougoslavie, aujourd’hui la Serbie) qui laisse derrière elle le témoignage d’une grande famille heureuse. Le rabbin Refael et son épouse Rivka ont eu huit enfants qui leur ont donné plusieurs petits-enfants. Une photo prise en 1935 illustre une réunion de famille. Sur les 21 personnes qui y figurent, l’une d’entre elles est décédée avant la guerre, 19 autres ont été assassinées pendant la Shoah. Une seule a survécu. En réalité, après l’occupation de Belgrade par les Allemands, les Majer n’ont pas eu l’impression de se mettre en danger. Les plus âgés d’entre eux se souvenaient que les Allemands s’étaient bien comportés pendant la Première Guerre mondiale et disaient : « Nous allons réussir comme avant ». Moins d’un an après l’invasion allemande, 90% des juifs de Belgrade avaient été anéantis.

Les récits de l’exposition incluent aussi ceux d’enfants qui ont quitté le territoire du Reich en 1939 à bord du Kindertransport et ont atteint l’Angleterre. Les enfants ont survécu, mais leurs familles ont été assassinées. Beaucoup d’émotion ainsi autour d’un cadeau d’adieu – une petite broche en forme de chiot – qu’un père offrit à sa fille. Anna Nussbaum a grandi à Vienne. Après « la nuit de cristal » et une série d’incidents pour la famille (arrestation, expulsion de l’école, …), le père d’Anna décide de l’envoyer en Irlande rejoindre sa sœur. « A la gare, j’ai commencé à pleurer et à refuser de monter dans le train. Père s’est rendu à l’un des stands et m’a acheté la broche… c’est comme ça qu’il m’a convaincu de monter dans le train », écrit la jeune fille. La broche fut le dernier cadeau qu’Anna a reçu de son père. Les parents d’Anna ont été déportés d’Autriche et assassinés. Après la guerre, Anna Nussbaum a immigré en Palestine mandataire et a rejoint le kibboutz Ein Hashofet et s’est mariée. Sur la première page d’un livre qu’Anna avait emporté avec elle en Irlande, son père avait écrit la dédicace suivante : « Les fleurs se fanent mais l’amour d’un père fleurit toujours. Vienne 9.1.1939 »

(*) 1939 : Le familles juives au seuil de la guerre « Soudain le ciel s’assombrit »

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