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Le sentier de la vallée du sel, un moyen de résister

Chiara Cruciati
28 novembre 2020
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En Cisjordanie, une association palestinienne crée un nouveau sentier de randonnée dans la zone C afin d’attirer les visiteurs dans le Wadi al Maleh. L'armée israélienne fait obstacle.


L’histoire du Wadi al Maleh, « la vallée du sel », remonte loin. Au nord de la vallée du Jourdain, à quelques kilomètres de la ville de Tubas, c’était depuis l’Empire ottoman un lieu de vacances et de rafraîchissement : une sorte de station naturelle, grâce à ses sources d’eau chaude. Un hôtel accueillait les clients.

Aujourd’hui, il reste peu de choses de cette richesse : les huit villages qui la composent (Maleh, ‘Ein el-Hilweh, Hamsa, Himma, Farasiyeh, al-Hadidiya, Samra et Khelet Makhul) font partie de la zone C qui, selon les accords d’Oslo du début des années 1990, se trouve entièrement sous contrôle total israélien tant au plan civil que militaire. Les 3 500 habitants palestiniens, ceux qui sont restés après des décennies de lent déplacement, vivent principalement d’élevage et d’agriculture, mais ils ne sont pas autorisés à construire de structures permanentes ou à creuser des puits.

Le point de contrôle militaire israélien de Tayasir, érigé de façon permanente à la fin de l’année 2000, peu après le début de la deuxième Intifada, sépare les huit villages de Tubas et du reste de la Cisjordanie. Un isolement que les volontaires de Jordan Valley Solidarity (Jvs) tentent aujourd’hui de rompre avec un projet qui réveille les beautés anciennes : un sentier de randonnée à travers la flore et la faune du Wadi al Maleh.

L’association palestinienne, qui travaille depuis des années aux côtés des communautés de la vallée du Jourdain, est bien connue dans ces régions : elle construit des maisons, des écoles, des centres de réunion, des structures pour les animaux avec des briques de terre et se bat légalement contre les ordres de démolition. Elle travaille à apporter l’eau aux communautés (autrement obligées de l’acheter à la société semi-étatique israélienne Mekorot dans des cuves très chères et malcommodes) et à conduire les enfants en classe avec des bus scolaires improvisés.

Un nouveau sentier de randonnée

Aujourd’hui, Jvs veut amener des visiteurs ici, qu’il s’agisse d’étudiants en voyage scolaire ou de touristes palestiniens et étrangers, à qui nous proposons un sentier de randonnée : « Le projet est né il y a deux ans – explique Rashid Khudiri, coordinateur de l’association – Nous avons réuni différents groupes, écoles, universités et communautés locales, pour redécouvrir la région et son histoire. Il y a trois semaines, nous avons commencé à préparer le parcours en impliquant des associations, des étudiants, des enseignants, des artistes. Après la recherche sur les ressources naturelles, la flore et la faune locales, nous avons nettoyé le chemin et placé une trentaine de panneaux en bois pour indiquer le parcours, les noms des lieux, les sources d’eau et les plantes typiques. Enfin, la semaine dernière, nous avons commencé à construire une petite structure en bois et en bambou, une sorte de point d’accueil où les visiteurs peuvent rencontrer la communauté et les artistes locaux ».

L’intervention de l’armée israélienne

L’inauguration officielle était prévue pour le samedi 21 novembre, 200 personnes étaient attendues de toute la Cisjordanie. Mais tout est allé à vau-l’eau : « Le 16 novembre, l’armée israélienne est arrivée pendant que nous construisions le centre d’accueil des visiteurs – poursuit Rachid. – Les soldats nous ont demandé un permis de construire, mais il n’est pas nécessaire car ce n’est pas une structure permanente, elle n’est pas en béton. Ils ont arrêté quatre d’entre nous et ont confisqué ma voiture. Ils nous ont relâchés quelques heures plus tard, mais la voiture est toujours sur la base militaire ».

Quelques jours plus tard, la structure a été démolie. Mais Jvs et le Wadi al Maleh ne se découragent pas : « Ils ne nous ont ralentis que quelques jours. Nous ouvrirons le sentier le week-end prochain. Deux cent Palestiniens arriveront, pour la plupart des étudiants. Nous utiliserons également le centre pour que les femmes locales puissent vendre leurs broderies ».

Résister ou partir

On est toujours à la recherche de nouvelles façons de vivre, et pas seulement de survivre. Wadi al Maleh a connu un déclin important après 1967, à l’instar du reste de la vallée du Jourdain. La population a diminué de deux tiers par rapport aux premières années d’occupation militaire. Bien avant les accords d’Oslo, Israël a déclaré la zone comme zone militaire, confisquant de fait 70% des terres palestiniennes et construisant trois bases autour de la vallée : des exercices à grande échelle sont organisés chaque année sur les parcelles des agriculteurs. En général, expliquait sur son site la campagne Stop The Wall il y a quelques années, les exercices se déroulaient en été, lorsque les agriculteurs doivent procéder à la récolte, souvent perdue à cause du passage de véhicules militaires et de l’utilisation d’armes à feu.

Des politiques identiques à celles pratiquées dans le reste de la vallée du Jourdain, qui abritait autrefois 300 000 Palestiniens et n’en compte plus qu’à peine 60 000 aujourd’hui. Cette zone, considérée comme la plus fertile de la Palestine historique, et frontalière avec le monde arabe, se trouve aujourd’hui à 90% dans la zone C, ce qui représente 2 400 km² où l’autorité civile et militaire est entre les mains d’Israël. A la place de nombreuses communautés palestiniennes, il existe aujourd’hui une trentaine de colonies agricoles, habitées par seulement 11 000 Israéliens en violation du droit international, mais suffisamment importantes pour permettre une production agricole incomparablement plus importante et plus rentable que celle des petites exploitations palestiniennes, contraintes d’acheter l’eau qui coule des nombreuses sources naturelles, inaccessibles.