Confidentiel, le “quartier africain” de la Vieille ville abrite depuis plus de 100 ans une petite communauté de Palestiniens musulmans originaires d’Afrique de l’Ouest. Longtemps gardiens de la mosquée al-Aqsa, ils sont aujourd’hui de fervents défenseurs de la cause palestinienne. Leur patriarche, l’activiste Moussa Qous, est brutalement décédé en février dernier. Nous l’avions rencontré. Récit.
l faut s’enfoncer au cœur de la Vieille ville de Jérusalem pour trouver les deux anciennes prisons ottomanes qui se font face le long de la rue Ala’ed Din. Nichées à l’orée de l’esplanade des mosquées, elles forment le “quartier africain”. Celui où vivent une cinquantaine de familles aujourd’hui palestiniennes dont les ancêtres ont émigré d’Afrique subsaharienne au début du XXe siècle. Moussa Qous habite l’ancienne “prison de sang”, ou Ribat al-Basiri, depuis qu’il est né. Grands yeux sombres, bouc poivre et sel, le Hiérosolomytain de 63 ans a des airs de vieux sage. C’est que le chef de l’Association de la communauté africaine aime raconter des histoires. Surtout celles de sa communauté, dont il est si fier.
Protéger les Lieux saints
Dans les années 1950 son père, fervent musulman, quitte le Tchad pour réaliser son hajj : le pèlerinage à La Mecque via Jérusalem. Comme de nombreux pèlerins issus du Sénégal, du Nigéria ou du Soudan, il n’en est jamais revenu. Pris dans le tourbillon de la création de l’État d’Israël et des guerres qui s’ensuivent, ils décident de rester pour soutenir les Palestiniens. “Profondément musulmans, ils ont senti qu’il était de leur devoir de continuer à protéger les Lieux saints, quitte à laisser femmes et enfants derrière eux”, relate Moussa en sirotant son café épicé.
Il y a plus de 100 ans, les Takarir (nom donné aux premiers pèlerins d’Afrique de l’Ouest), se sont vu confiée la protection et l’entretien de la mosquée al-Aqsa du fait de leur piété et de leur proximité de l’esplanade des mosquées. Si ce rôle de gardien du troisième Lieu saint de l’islam n’est plus officiel au milieu du XXe siècle, son symbolisme, cultivé dans la communauté, reste fort et explique en partie l’engagement des afro-palestiniens dans la Ligue Arabe, l’OLP et le Fatah.

“Avec le temps, la dévotion religieuse s’est transformée en activisme politique”, analyse Chaïn. Le sexagénaire bedonnant assis à l’entrée du Ribat al-Basiri livre ses souvenirs en gardant un œil attentif sur les mouvements de la rue. Lui s’est retrouvé 12 fois derrière les barreaux. “Ce quartier, c’est le hot spot de la résistance. Presque tous les anciens ont fait de la prison à cause de leur engagement.”
Plus Palestiniens qu’Africains
La culture du martyre, déjà très forte dans la société palestinienne, l’est encore plus dans une petite communauté qui souffre d’une double discrimination : celle d’être noire et palestinienne. Les histoires de Fatimah al-Barnawi, la première palestinienne emprisonnée par Israël en 1967, et de Osama Jidda le premier “martyr” de la seconde intifada (2000-2005), sont connues de tous les habitants du quartier.
“Aujourd’hui nous sommes plus Palestiniens qu’Africains, souligne Yasser Qous, le fils aîné de Moussa, parti à Paris écrire une thèse sur sa communauté d’origine. L’identité afro-palestinienne s’est construite progressivement, au fil des récits et des traditions répétés par les premières générations d’immigrés et à mesure que le groupe s’ouvrait aux mariages mixtes.” Mais aujourd’hui, les anciens ont disparu et emporté avec eux les coutumes de leurs pays. Chez les Qous, les tentatives pour prendre contact avec les demi-frères et les demi-sœurs restés en Afrique ont toutes échoué. Ce qu’il reste de l’héritage africain ? “Un grand sens du partage, de l’entraide et de la communauté, et puis nos grands dîners autour d’un assida, grand plat de polenta très populaire au Tchad”, sourit Moussa en repositionnant ses lunettes sur son crâne. Ancien reporter pour le journal palestinien Al-Quds, il mettait ses compétences journalistiques au service de la communauté avec un objectif : continuer à faire vivre les racines africaines des afro-palestiniens en enquêtant et en racontant leur histoire.
Dernière mise à jour: 09/07/2025 16:22