Des clés pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient

À Gaza, évacuation en urgence du dépôt archéologique de l’EBAF

Cécile Lemoine
11 septembre 2025
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Le dépôt archéologique de l'EBAF : un atelier de travail pour les archéologues qui non seulement inventorient mais aussi restituent les objets ©Ebaf

Le 10 septembre au matin, l'armée israélienne a annoncé le bombardement de l'immeuble où 30 ans de fouilles archéologiques sont entreposées à Gaza. Diplomates, archéologues et autres officiels se sont organisés pour déplacer ce dépôt d'antiquité sous responsabilité française.


Six camions ont été nécessaires pour évacuer la quasi totalité du dépôt archéologique de l’Ecole biblique et archéologique française (Ebaf) ce jeudi 11 septembre. Un sauvetage « in extremis », selon les mots du directeur de l’institution, le frère dominicain Olivier Poquillon. La veille, la tour de 13 étages, où sont stockés les 180m3 d’objets et d’histoire a reçu un ordre d’évacuation avant bombardement.

C’est la politique depuis une semaine à Gaza-ville : cibler les immeubles les plus hauts pour forcer la population à partir vers le sud. Un prélude à l’opération Chariots de Gédéon II, qui doit aboutir à la conquête et l’occupation de la ville.

Situé dans le quartier Rimal, le bâtiment et les trésors qu’il abrite sont sous responsabilité française, et connus de l’armée israélienne. Celle-ci a d’abord donné 30 minutes aux habitant pour évacuer les alentours, en les prévenant par SMS. La nouvelle a provoqué la panique chez les archéologues de Gaza et au sein de l’ONG Première Urgence Internationale (PUI) qui opère sur les sites où l’EBAF fouille depuis 30 ans.

Négociations et reports du bombardement

« Demain ce sera toute la culture matérielle et ethnologique de l’archéologie de Gaza qui aura disparu », s’alarme l’archéologue René Elter dans un message envoyé le 10 septembre à ses contacts dans différentes institutions.

« Comment sauver des dizaines de milliers d’artefacts qui représentent 25 années de travail en quelques heures ? Il faudrait plus d’une dizaine de jours dans les conditions actuelles de Gaza pour tout sauver, et encore ! », poursuit le chercheur associé à l’EBAF, qui a fouillé de nombreux sites à Gaza, et coordonné le programme Intiqal, pour valoriser le patrimoine archéologique de l’enclave.

⬆︎L’immeuble du quartier Rimal dont le rez-de-chaussée abritait le dépôt archéologique de l’EBAF

Quelques heures de délais sont négociées auprès de l’armée. « Nous leur avons expliqué que ce dépôt est placé sous la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et qu’il est la propriété d’une institution de l’Église », détaille le père Olivier Poquillon.

Lire aussi >> 28 années de recherches de l’Ebaf à Gaza menacées

Le Consulat général de France, l’UNESCO, et le Patriarcat latin de Jérusalem font pression de leur côté également. D’autres reports sont obtenus. La logistique s’organise, notamment par l’intermédiaire du Patriarcat Latin et de l’église latine de la Sainte-Famille, qui prête des camions.

Le défi est de taille. « La richesse d’un dépôt réside dans son contenu autant que dans son organisation, emphase le frère Olivier Poquillon. Déplacer un dépôt archéologique, c’est comme déplacer une bibliothèque. Le risque, c’est que les choses se mélangent. »

Faire des choix

Sur place, une équipe du programme Intiqal/PUI gère l’évacuation, aidée par des volontaires de la paroisse latine. René Elter coordonne à distance. « On a sauvé ce qui pouvait être sauvé, tout ce qui n’a pas été cassé notamment », détaille l’archéologue. Les étagères du dépôt ont en effet été pillées pour servir de bois de chauffage, provoquant la casse de nombreux objets.

« Comme c’est un dépôt de fouilles, une grande partie des objets avaient été étudiés, mais cela reste un crève-cœur de devoir faire un choix », souffle l’archéologue qui dit ressentir un mélange de « regret et de soulagement. »

Les archéologues dominicains Dominique-Marie Cabaret (à gauche) et Jean-Baptiste Humbert (à droite) dans l’entrepôt de Gaza ©Ebaf

Le contenu des six camions a été déplacé en lieu sûr, toujours dans l’enclave. « Ils doivent rester à Gaza, sinon ils sortiront du cadre international qui les protège », explique René Elter. En janvier 2024, des soldats israéliens et le directeur des Antiquités israéliennes s’étaient introduits dans le dépôt. Il avaient filmé une vidéo diffusée à l’époque sur les réseaux sociaux, affirmant que des objets avaient été installés dans « une petite vitrine à la Knesset », avant que l’information ne soit démentie.

« Alors que la plupart du patrimoine et les deux musées archéologiques de Gaza ont été détruits, ces objets sont un témoignage inestimable d’une histoire vieille de 4000 ans », rappelle le frère Olivier Poquillon. Grâce à une importante mobilisation, ces témoins ont été sauvés. Au moins pour cette fois.

Le numéro en cours

L'offre du moment

Site officiel de la Custodie

Achetez ce numéro