En voyage
Un voyage est toujours une expérience unique et irremplaçable, et comme le dit un jeune auteur-compositeur italien : «La destination n’est pas un lieu mais elle est ce que nous ressentons».
Ce sont les sentiments qui m’ont habité il y a quelques semaines lors d’une visite de plusieurs jours en Allemagne, bien que le lieu ait eu un poids important dans ce voyage. J’ai été contacté par des amis qui, inspirés par les écrits de saint Jean-Paul II, organisent depuis des années une conférence sur la théologie du corps. Tous les ans ils ont à cœur d’inviter une voix qui puisse porter le témoignage d’une religion différente.
Cette année ils avaient pensé au monde juif et m’ont demandé si j’avais quelqu’un à leur recommander, un témoin faisant autorité et qui serait prêt à donner une conférence sur le thème de l’amour dans le couple selon l’expérience juive. J’ai immédiatement pensé à mon amie Tamar Appelbaum, femme rabbin, avec qui je collabore depuis plus de sept ans sur le dialogue interreligieux à Jérusalem.
Tamar est la leader spirituelle d’une synagogue pluraliste qui accueille des juifs de toutes les branches et de tous les milieux culturels. Les membres de la communauté de Sion (Kehilat Zion en hébreu), compte des professeurs, des médecins, des écrivains, des personnes engagées dans la politique et dans le social. Tamar a eu quelques doutes avant d’accepter l’invitation, notamment parce que la conférence devait avoir lieu en Allemagne, un pays qu’aucune personne de sa famille n’a visité depuis la Shoah.
Elle m’a raconté avoir grandi dans une famille orthodoxe où il était interdit d’étudier l’allemand, d’acheter des produits allemands, ni même d’écouter Wagner et toute musique composée par un Allemand. La forte amitié qui nous lie l’a convaincue qu’ensemble nous pourrions affronter ce voyage, même si humainement et spirituellement ce n’était pas facile. Nous avons été accueillis dans la maison de l’évêque, dans une petite ville de Bavière ; l’atmosphère de Noël était magnifique. Les conférences ont toutes été d’un grand intérêt et nous ont enrichis, nous les chrétiens, comme Tamar, qui pour la première fois écoutait des théologiens et des experts du monde chrétien commenter l’Écriture sainte et actualiser la pensée des sages et des théologiens.
Il y a eu deux moments particulièrement intenses durant notre voyage : les échanges après la conférence de Tamar et le dîner du vendredi à l’évêché. Certains des participants à la conférence n’ont pas pu retenir leur émotion et leurs larmes en remerciant Tamar Appelbaum d’être venue de Jérusalem en Allemagne ; même si elle ne l’avait pas verbalisé, ils avaient compris combien il pouvait être difficile pour elle de venir dans leur pays. Ce fut un moment plein de délicatesse et en même temps de profonde souffrance ; les mots exprimaient le désir de guérir une blessure qu’ils porteront à jamais en eux en tant que citoyens d’une nation responsable de l’une des plus graves atrocités de l’Histoire.
Le soir du shabbat, Tamar a demandé s’il était possible d’avoir un dîner avec le rite de la bénédiction du pain et du vin (le kiddoush en hébreu) qui se fait dans toutes les familles juives après le coucher du soleil. Ainsi, autour d’une grande table, avec des invités d’honneur, le nonce apostolique, quelques évêques et des amis de la conférence, Tamar a consacré le shabbat avec les bénédictions de ses pères. Et d’une certaine manière, elle a béni cette terre, autrefois si éloignée de Dieu et de ses bénédictions.
Ce furent des journées intenses et uniques, mémoire et témoignage d’un monde désireux et ayant besoin de pardon et de réconciliation.