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Azriel : le juif ultra orthodoxe devenu fromager

Cyrille David
31 janvier 2013
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Azriel : le juif ultra orthodoxe devenu fromager
Un éleveur juif ramène sa brebis égarée? © Photo Nati Shohat/Flash90

Il a quitté les atours de l’ultra-orthodoxie juive et son quartier de Méa Shéarim pour s’ouvrir au monde. Azriel a délaissé le siddour (livre de prière) pour les seaux d’une fromagerie. Dix ans après cette révolution personnelle, il parle de son parcours.


(Jérusalem) – Azriel tire de sa poche une photo. Ce jeune israélien de 25 ans a l’allure d’un juif laïc. Avec un associé, il a monté une petite entreprise. Ils produisent et commercialisent du fromage artisanal. Parce qu’on a du mal à le croire, il nous montre la photo : c’est celle d’un haredi de 16 ans. C’est bien lui. Le chapeau et le costume noir, des mèches de cheveux en spirale (les payos) qui encadrent son visage : aucune des particularités du juif ultra orthodoxe (1) ne lui manque. Ou plutôt ne lui manquait. Car il quitta sa communauté peu après que cette photo a été prise. D’ailleurs, si on le regarde à deux fois, on imagine mieux le jeune de la photo faire les 400 coups plutôt que de prier le siddour (livre de prière) à la main. Aujourd’hui, il a troqué les payos contre un catogan.

« Le monde est trop grand » dit-il. Travaillé par la curiosité de l’extérieur, il quitta les siens à l’âge rebelle. L’horizon que lui proposait sa communauté ne lui suffisait pas. Pour lui, le problème était pratique plus que spirituel. Au détour d’une question il confie, « aujourd’hui je ne sais pas si je crois en Dieu ». Mais s’il est sorti de sa communauté ultra religieuse, ce n’est pas parce qu’il a cessé de croire en Dieu. Avec une dizaine d’années de recul, il raconte : « Dans ce milieu, ils ne veulent pas voir ce qui se passe à l’extérieur. Tout est fermé. » Alors à l’âge de 16 ans, il a décidé d’aller à la rencontre de ce qui se passait dehors.

Mis à l’écart de la communauté et de sa propre famille, le jeune doit apprendre une multitude de choses. Certaines choses simples comme s’habiller autrement qu’en costume noir et en chemise blanche. Il faut quelque temps à Aziel pour retomber sur ses pieds après ces bouleversements. Il parle peu de cette période. Il préfère voir ce qui va ? Il raconte simplement: « J’ai eu des problèmes avec ma famille ». Puis il a habité seul. Avec réserve, dans un sourire, il dit : « Beaucoup de personnes m’ont aidé. » Est-il un cas isolé ? Il précise : « J’ai beaucoup d’amis qui ont essayé la vie à l’extérieur. »

Sa famille vit à Mea Shearim, le vaste quartier orthodoxe, aux portes de la vieille ville de Jérusalem. « J’aime beaucoup me promener dans la vieille ville. Comme je vais visiter ma famille presque tous les samedis, je vais souvent y faire un tour. » Contrairement à d’autres jeunes sortis de l’ultra orthodoxie, il est toujours en lien avec sa famille. Mais il ajoute «Ce que je crois, je ne le leur dis pas. Je pense différemment. J’ai l’esprit plus ouvert. »

A l’issue de ses trois années de service militaire, il a travaillé un an. Puis il s’est tourné vers la fabrication du fromage. Aujourd’hui il a un atelier artisanal de dégustation et commercialise ses produits en Israël. Le marché du fromage de terroir y est (toujours !) à conquérir. S’il s’est lancé un temps dans le fromage de chameau, il a dû se limiter à la brebis et la chèvre dont le lait est kosher et donc dont les fromages se vendent mieux.

Un militant alter mondialiste à l’israélienne ? Azriel confie : « Aux temps bibliques, il y avait avant 12 clans juifs qui se faisaient la guerre. Maintenant il n’y en a plus qu’un. J’espère qu’avec la mondialisation il n’y aura bientôt plus qu’un clan mondial et plus de guerres. »

(1) 34% des juifs de Jérusalem de 20 ans et plus se considèrent ultra orthodoxes. Cependant, 65% des 70 000 enfants scolarisés à l’école primaire « hébraïque» sont ultra orthodoxes. Il y a aussi 40 000 écoliers arabes du même âge dans l’agglomération. A l’échelle, d’Israël, si 9% des juifs se disent ultra orthodoxe, 28,9% (190 000) des écoliers primaires sont ultra-orthodoxes. Dans les années 90, ils étaient 7,6% (35 000). C’est ce qu’indiquait le Bureau National des Statistiques à l’occasion du Jerusalem Day 2012.