Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Un centre médical pour les pauvres de Bethléem

Chiara Cruciati
20 mars 2014
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Un centre médical pour les pauvres de Bethléem
Le Dr. Nidal Salameh, l'un des fondateurs du Centre médical Al Saqada. © Photo C. Cruciati

A Bethléem, dans un immeuble de trois étages, une équipe médicale complète prend soin des familles les plus pauvres de la ville et du quartier. Ce projet, lancé en 2000, est appelé « Centre médical Al Saqada ». Une cinquantaine de personnes se relaient autour des patients : des médecins, des infirmières et du personnel paramédical. Chaque mois, 5000 à 8000 patients y sont accueillis.


(Jérusalem) – À quelques centaines de mètres de l’agitation des souks de Bethléem, des tapis colorés et de l’odeur des épices, dans un bâtiment haut de trois étages, une équipe médicale complète s’adonne à prendre soin des familles les plus pauvres de la ville et du quartier. Il s’agit du Centre médical Al Saqada, un projet né en l’an 2000, dans une cellule de prison israélienne, à l’initiative de deux amis, prisonniers politiques au début des années 90.

«Nous avons commencé à travailler dans une chambre à louer, tout près d’ici. Toute la clinique était concentrée dans une petite pièce – explique le directeur d’Al Saqada, le Dr. Nidal Salameh, l’un des fondateurs du centre – . Puis, avec le temps, nous avons réussi à amasser l’argent nécessaire pour acheter ce bâtiment. Maintenant, nous travaillons sur le développement : au rez-de-chaussée, nous voulons ouvrir un service d’urgence, puis construire un nouvel étage pour l’hôpital de jour ».

Les travaux ont déjà commencé, mais dans l’attente de nouveaux fonds, il a fallu les suspendre au cours de ces dernières semaines : «Dès que nous aurons reçu les fonds nécessaires, nous reprendrons les travaux de la salle des urgences. Nous voulons être en mesure de fournir les meilleurs traitements à nos patients, les familles les plus pauvres, pour lesquelles il est impossible d’avoir accès aux coûteuses cliniques privées. Dans le secteur public, géré par l’Autorité palestinienne, le coût des soins étant faible, les listes d’attente sont trop longues. Nous, dans notre petit coin, nous essayons de soulager une petite partie de ces patients».

Au centre médical Al Sadaqa, une cinquantaine de personnes se relaient autour des patients : ce sont des médecins, des infirmières et du personnel paramédical. Dix-huit spécialistes, du gynécologue au dentiste, de l’urologue au cardiologue, de l’otorhino à l’orthopédiste. Chaque mois, 5000 à 8000 patients y sont accueillis, aussi bien des chrétiens que des musulmans de Bethléem et des villages alentours. Pendant l’interview du Dr. Salameh, une petite fille au manteau pourpre et orange, coiffée d’un bonnet de laine se présente avec sa mère. Salameh l’ausculte : petite toux et légère fièvre. Après lui avoir prescrit un traitement, la petite le salue.

«L’objectif est d’aider ceux qui n’ont pas d’autre alternative – poursuit le Dr Nidal -. Les patients qui ne peuvent s’offrir le luxe d’une consultation ne paient qu’une somme symbolique, 30 shekels (environ 6 euros), dont 20 iront au médecin, et 10 serviront à couvrir les frais du centre : coûts de la vie, factures, médicaments, papeterie. Ceux qui ne peuvent pas payer du tout sont pris en charge gratuitement, et lorsque nous en avons la possibilité, nous fournissons nous-mêmes aux patients les médicaments dont ils ont besoin. Tout est à la charge du centre, de la première visite jusqu’aux analyses et aux radiographies ».

« Ce n’est pas facile à gérer, mais nous avons le soutien crucial de nombreux amis, surtout en Italie ». Des amis que le Dr Nidal a connus dans les années 70 et 80, d’abord à Milan, puis à Catane, où Salameh étudia la médecine et tissa des liens étroits avec ceux qui lui permettent encore de mener à bien son projet. En ce qui concerne le centre, les dons des amis italiens, des individus et des organisations qui envoient du matériel et des médicaments sont largement visibles : «Je remercie tous ceux qui nous soutiennent, sans eux, nous n’aurions pas les moyens de faire survivre le centre – dit-il en montrant des machines à ultrasons et à rayons X, données par l’Association d’amitié italo-palestinienne et la Fondazione Monte dei Paschi di Siena – . Ici, au centre, nous n’acceptons pas les dons d’argent, mais seulement du matériel et des médicaments. Merci pour ces contributions qui nous permettent de travailler avec le plus grand professionnalisme ».

En amont des défis sanitaires dans les territoires palestiniens, se pose encore le problème de l’occupation militaire israélienne. Le Dr. Nidal en est conscient, tout comme ses collègues, dont certains ont passé plusieurs années derrière les barreaux des prisons israéliennes, pour des raisons politiques. Le Dr. Salameh est encore sur «liste noire» : il ne peut pas quitter le pays, bien que lui-même ait besoin de soins, étant atteint d’un cancer de la thyroïde. « La dernière fois que j’ai été autorisé à quitter le territoire pour me rendre en Italie, ce ne fut que grâce à l’intervention du consulat italien. Mais mon sort est le même que celui de centaines d’autres Palestiniens malades, échoués en Cisjordanie ou à Gaza. Il est difficile pour nous de sortir du pays pour recevoir des soins médicaux adéquats, parce qu’Israël ne délivre pas de permis. De plus, de nombreux médicaments nécessaires au traitement de maladies chroniques, comme l’hypertension, le diabète, et plusieurs formes de cancer, sont interdits. C’est le cas du traitement par rayons ionisants dont j’aurais besoin pour mon cancer de la tyroïde : Israël en interdit l’entrée, estimant ces rayons trop dangereux à cause de la radioactivité ».

L’Autorité nationale palestinienne (ANP), à court d’argent, ne parvient pas à fournir un soutien aux malades. Le centre d’Al Sadaqa, essaie tant bien que mal de soulager au moins une petite partie des malades : «Certains médicaments nous sont envoyés d’Italie, car introuvables ici – dit le médecin – . Mais nous n’en avons jamais assez pour tenir plus de deux ou trois mois. De plus, l’ANP a accumulé de nombreuses dettes envers les compagnies pharmaceutiques, et celles-ci ne nous fournissent plus les nombreux médicaments dont nous avons besoin ».

Le Dr. Nidal, resté silencieux, reprit alors la parole, l’air plus hésitant : «La question de la santé n’est pas l’unique problème auquel notre nation est confrontée. Le taux de chômage continue d’augmenter, nos jeunes sont diplômés mais restent à la maison, sans emploi, nous ne pouvons pas aller et venir, nous ne pouvons pas travailler nos propres terres. Savez-vous ce qui se passe ? Nous sommes pour la première fois en train de perdre tout espoir. Nous ne voyons aucun avenir devant nous. La plupart des jeunes sont fatigués, et nombreux sont ceux qui décident de partir. Moi, à mon âge, j’ai décidé de quitter l’Italie et revenir ici, affronter la prison et les difficultés financières d’aujourd’hui. Et je n’ai aucun regret ».

Ce jour-là, il pleut sur Bethléem. Les patients sont moins nombreux que d’habitude, assis dans la salle d’attente, pour une visite générale, pour rencontrer un spécialiste… Une goutte dans l’océan, il est vrai. Mais Al Sadaqa reste la seule alternative pour les plus pauvres de la ville.