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«Jean XXIII, un homme de paix »

Terrasanta.net
27 avril 2014
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«Jean XXIII, un homme de paix »
Jean XIII sera proclamé saint, avec le Pape Jean- Paul II, le dimanche 27 Avril 2014.

Le 27 avril, le pape François présidera la canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II, sur la Place Saint- Pierre à Rome. La présence du pape Jean- Paul II est encore une vive dans le cœur de beaucoup d'entre nous. Moins proche, mais tout aussi marquante, la figure de Jean XXIII est celle qu’ici nous rappelons grâce au témoignage du frère franciscain Marco Malagola.


(Milan / g.s.) – Le 27 avril, le pape François présidera la canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II, sur la Place Saint- Pierre à Rome. La présence du pape Jean- Paul II est encore une vive dans le cœur de beaucoup d’entre nous. Moins proche, mais tout aussi marquante, la figure de Jean XXIII est celle qu’ici nous rappelons grâce au témoignage du frère franciscain Marco Malagola, frère mineur âgé de 87 ans, membre de la Province du Piémont.

Originaire de la rive lombarde du Lac Majeur, frère Marco a travaillé de 1959 à 1970 au sein du Secrétariat d’État du Vatican, comme proche collaborateur de Mgr Angelo Dell’Acqua (1903-1972). Dans les années 70, il fut missionnaire en Papouasie-Nouvelle-Guinée. De retour en Italie, il a travaillé dans la Commission Justice et Paix de l’Ordre des Frères Mineurs, avant de revenir au service de la diplomatie pontificale à l’Organisation des Nations Unies à Genève, et à la nonciature apostolique en Belgique. Entre 1999 et 2004, Malagola s’est occupé des droits de l’homme au nom de la Custodie de Terre Sainte, à Jérusalem.

Au cours d’une soirée qui s’est tenue à Bergame en juin 2013, frère Marco a rapporté quelques souvenirs personnels du pape Jean datant de sa période de collaboration avec Mgr. Dell’Acqua. En voici quelques passages.

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Que pouvait donc bien avoir Jean XXIII pour être tant aimé ? Je me souviens de la première fois que je l’ai vu de près, j’ai été subjugué par sa grande « humanité ». C’était comme une révélation. Dans son visage, j’ai vu celui de Dieu ! Le visage du pape Jean mettait tout le monde à l’aise. C’était le visage d’un homme en paix avec Dieu et avec les hommes. Un regard paternel et aimable, qui lorsqu’il se posait sur quelqu’un lui transmettait immédiatement paix et sérénité.

J’ai eu le privilège de connaître personnellement le pape Roncalli pendant les années de mon service en tant que secrétaire adjoint de Mgr. Dell’Acqua. Je garde de cette période des souvenirs de rencontres personnelles indélébiles. À son insu, le pape a effacé à jamais de mon langage le mot « désespoir ».

Un soir, j’étais tranquillement assis, seul, dans mon bureau pour travailler. Au bout d’un moment, le téléphone a sonné. Mgr Loris Capovilla, secrétaire de Roncalli, me pria d’aller chercher de toute urgence aux archives un document que le pape souhaitait consulter. J’ai immédiatement transmis la requête à l’un des archivistes. Après un certain temps, un second coup de fil. C’était encore le secrétaire du pape qui me demandait des informations sur le document en question. Je répondis que la recherche était en cours. Les archives du Secrétariat d’Etat, comme vous pouvez l’imaginer, n’ont rien à voir avec les archives d’un diocèse : une marée de documents convergent d’un peu partout dans le monde… Quelques minutes passèrent et puis … un troisième coup de fil. Cette fois, c’était le pape en personne. « Père, – me demanda-t-il – alors ? Avez-vous trouvé le document ? » J’étais un peu surpris d’entendre la voix du pape au téléphone, mais tout aussi désireux de l’assurer que les recherches étaient en cours. Alors je répondis : « Votre Sainteté, croyez-moi, nous sommes désespérément en train de le chercher ». Et lui me dit, « Que dites-vous ? » « Oui – lui répondis-je – nous le cherchons désespérément, mais nous allons le trouver ». Et le pape, en retour, me répondit de son air paternel : «Désespérément ? Oh non, fils, jamais désespérément. Vous ne savez pas que le mot « désespoir» est introuvable dans le vocabulaire chrétien ? ». Le document a été retrouvé peu de temps après et fut remis entre les mains du Pape.

Le pape Jean aimait les choses simples. Il avait une âme franciscaine qu’il incarnait dans la vie, il était le prédécesseur idéal de notre pape François. Ayant reçu la jeunesse du Tiers Ordre Franciscain à la basilique de Latran, le 16 avril 1959, pour le grand pèlerinage célébrant le 750ème anniversaire de l’approbation de la première Règle, il s’est adressé aux Franciscains séculiers présents en évoquant les paroles du fils de Jacob adressées à ses frères : «Je suis Joseph, votre frère. C’est avec tendresse que je vous le dis ». Et il rappela ses visites fréquentes à « l’oasis de paix » qu’est le monastère franciscain de Baccanello, près de Sotto il Monte, sa ville natale, à Bergame.

Je me souviens que quelques jours après sa mort, de retour au bureau, j’ai trouvé un petit paquet. Je l’ouvre, curieux, et qu’est-ce que je trouve? Un petit réveil banal à deux sous, accompagné de quelques lignes de son secrétaire, Mgr. Capovilla, qui s’exprimait ainsi : «Père Marco, veuillez accepter ce petit réveil. Il ne fonctionne plus très bien. Mais il était à côté de ce lit ! ». Le pape Jean était vraiment pauvre en esprit. Il est mort en homme pauvre. Aux frères de la maison de Sotto il Monte, son pays natal, il a laissé 10 000 lires à chacun. Pour tout ce qui lui appartenait, il a dit : donner tout aux pauvres. « Je veux mourir – a-t-il écrit – sans savoir s’il me reste quoi que ce soit ». Le pape venait à peine de mourir : j’ai été impressionné de voir arriver ses frères au Vatican, dans la troisième loge du palais apostolique, avec des valises en fibres de carton attachées avec de la ficelle de coton.

Les contacts téléphoniques entre le Saint-Père et le Secrétaire étaient fréquents, presque quotidiens, et il arrivait parfois que l’appel me soit adressé. La première fois que le pape a entendu ma voix, il m’a naturellement demandé qui j’étais, quel était mon nom. Je lui ai répondu bien sûr, très ému, et lorsqu’il entendit mon nom, « Marco », il s’est exclamé : « Venise ! Mon Saint-Marc ! Je ne vous cache pas ma nostalgie ». Lorsqu’il me vit pour la première fois dans mon habit de franciscain, il s’écria : « Quel plaisir de voir Saint-François en secrétaire d’Etat ».

Quelques jours avant Noël 1961. Ma mère était en fin de vie. Pour le médecin, il n’y avait plus aucun espoir. Dans la soirée, il l’a laissée, persuadé d’avoir à revenir le lendemain matin pour remplir un certificat de décès. Lorsque j’appris la nouvelle, je pris immédiatement le premier avion pour Milan. Pendant ce temps, Mgr. Dell’Acqua fit connaître à Mgr. Capovilla l’état dans lequel se trouvait ma mère. J’arrivais le lendemain matin sur ma terre natale, Luino. Je vous laisse imaginer dans quel état d’esprit je me trouvais, mais à ma grande surprise, je vis ma mère éveillée, assise sur son lit, qui m’attendait et qui m’ouvrit les bras, à la stupéfaction générale de sa famille. Au même moment, je recevais un télégramme du Vatican : un texte court et concis, mais extrêmement significatif : « Le Saint-Père prie pour votre mère. Soyez heureux. Noël est un jour de fête. Sursum corda ! Signé : Capovilla ». Que penser ? Le Seigneur le sait !

Le pape Jean n’avait pas de secrets. Ouvert, il se montrait tel qu’il était, sans même s’occuper de ce qui pourrait diminuer, aux yeux de certains formalistes, sa dignité pontificale. Je le revois encore… Il disait qu’il était fatigué s’il était fatigué, il s’asseyait tranquillement sur ​​sa chaise, les mains posées sur ses genoux. «Nous sommes un peu en confidence», disait-il, en se détendant. Il parlait de ses voyages, de ses études, de ses rencontres, de sa vie.

Quelques semaines avant sa mort le 3 Juin 1963, Mgr. Dell’Acqua voulut faire un beau cadeau à ses deux secrétaires, Mgr. Moretti et son adjoint : un entretien privé et confidentiel avec le pape Jean. Je me souviens, c’était le soir. Le pape, assis dans un fauteuil, visiblement pâle et rongé par le mal qui avançait, nous accueillit affectueusement, avec un large sourire, se tournant vers ses deux jeunes associés avec la tendresse du grand-père qui ouvre son cœur à ses petits-enfants à la fin de la journée. C’était une conversation calme et affectueuse. « Chers enfants, – dit-il – je vous remercie de venir me voir, mais surtout merci pour votre service à mon cher Mgr. Dell’Acqua qui a voulu que je vous bénisse et vous rencontre ici, pour une petite causerie autour de la cheminée ».

Et ainsi, le pape Jean a ouvert le livre de sa vie avec une grande simplicité, racontant ses expériences dans le monde entier. La conversation se prolongea sur le ton de la simplicité affectueuse. Le temps passait et nous étions tout ouïs pour entendre les confessions du Pape Roncalli. Mgr Capovilla, le fidèle secrétaire, apparut sur le seuil de la porte. Il venait nous faire comprendre que la conversation se prolongeait un peu trop. Le pape fit un geste comme pour dire : j’arrive. Il poursuivit son récit… Il nous parla longuement de la médiation historique lors de la crise de Cuba (Octobre 1962), il priait pour conjurer l’imminence d’une catastrophe nucléaire, et gardait un espoir confiant en un rapprochement avec les pays communistes de Europe de l’Est. Il évoqua les considérations du Concile voulu par lui-même, et engagé depuis peu. Il donna des conseils sur la vie quotidienne du Vatican. Le temps passait. Capovilla frappait parfois à la porte, en vain, et le pape continuait à parler, et nous l’écoutions, enchantés et étonnés de nous trouver là, à côté de ce saint vieillard. Puis, cette rencontre prit fin. Le pape nous accompagna à la première porte ; il semblait nous congédier et nous saluer… mais non ! Il a continué à nous accompagner jusqu’à la deuxième, puis la troisième porte. Nous nous sommes retrouvés sans se rendre compte à la troisième loge de Raphaël avec le pape qui ne cessait de nous saluer et de nous bénir.

Il avait entretenu le culte de l’amitié. Ses lettres à ses amis ont toujours été marquées par une familiarité aimable. « Envoyez des réponses « aimables » » demandait-il à ses employés. « Vous savez – dit-il – la gentillesse, la courtoisie et les bonnes manières sont des formes de la charité ». Il avait l’art de réaliser des rencontres fondées sur le contact direct et personnel, il était capable de développer l’amitié, et quelque chose de plus. C’était la diplomatie personnelle du cœur, qui n’a pas manqué de porter ses fruits.

En effet, quelque chose bougeait. Le 25 novembre 1961, fait totalement insolite, le pape Jean reçut un message surprenant pour ses 80 ans, de la part de Nikita Khrouchtchev, secrétaire du Parti communiste soviétique. Des messages de courtoisie réciproques continueront à circuler des deux côtés, et bien que tous ne se soient jamais rencontrés en personne, une amitié est née, progressivement mûrie au cours des négociations de la crise de Cuba.

Une crise qui, comme vous vous en souvenez, a explosé en octobre 1962, lorsqu’à la demande du président cubain Fidel Castro, le chef soviétique Khrouchtchev ordonna l’installation de bases de missiles à Cuba, équipées d’ogives nucléaires capables de frapper le territoire américain. Depuis Washington, le président John F. Kennedy a répondu en imposant un blocus naval autour de l’île de Cuba et menaça l’île d’une attaque militaire pour empêcher l’installation de missiles inacceptables pour la sécurité de son pays.

À tout moment, une guerre nucléaire aux conséquences inimaginables pouvait éclater. Le monde entier suivait la situation avec la plus grande attention. Je me souviens qu’au Secrétariat d’État, dans un climat d’intense et fiévreuse activité diplomatique, une série de réunions eut lieu avec des diplomates et des ambassadeurs des parties opposées, parmi lesquelles on retrouve le fameux journaliste américain Norman Cousins, protagoniste discret et informel dans les négociations et les contacts entre Kennedy, Khrouchtchev et les diplomates du Vatican, notamment le chef du Protocole Mgr. Hyginus Cardinale.

La situation était dramatique. Le temps était compté. Mais alors, une brèche s’est ouverte. L’idée d’un arbitrage possible se généralisa, un arbitrage qui consisterait à constituer une autorité mondiale, super partes, accueillie et appréciée par les deux parties. Finalement, il a été convenu que cette autorité ne pouvait être que Jean XXIII, qui dès le début de son mandat avait su montrer un grand esprit de conciliation. Son discours ne serait pas soupçonné de partialité politique ; de plus, tant Kennedy que Khrouchtchev obtenaient ainsi la possibilité de se sortir honorablement de cette situation difficile. Le pape accepta avec plaisir ce rôle de médiateur.

Le 25 octobre, il écrivit un message personnel à Khrouchtchev et à Kennedy, afin d’en appeler à leur conscience, pour qu’au nom de l’humanité, ils renoncent à l’usage de la force.

Le message a été remis aux ambassadeurs russes et américains à Rome. Dès le lendemain, le 26 octobre, le journal du Parti communiste russe, la Pravda, publia en première page le message du pape. La résonnance fut gigantesque. Il a ainsi pu parvenir à un compromis qui favorisait le retrait des deux parties de la zone potentielle de conflit. Les navires russes chargés de têtes nucléaires à destination de la Havane rebroussèrent chemin, et la confrontation avec la flotte américaine a été évitée.

Peu de temps après, Khrouchtchev, dans une lettre au chancelier allemand Konrad Adenauer, écrivit : « Il y a quelque chose qui me donne beaucoup d’émotion quand je pense à cet homme qui se donne tant à faire, en dépit de la maladie, pour voir la « paix sur la terre » avant à mourir ». Il a ajouté : « Si nous n’avons pas la paix et que les bombes atomiques commencent à tomber sur nos têtes, qu’importe d’être communistes ou capitalistes ou catholiques ou russes, chinois ou américain ? Qui pourrait nous diviser ? Qui pourrait se diviser et se différencier pour survivre ? La médiation du pape Jean XXIII pour résoudre la crise de Cuba fut un véritable rayon de lumière. J’en suis très reconnaissant. Croyez-moi, ces jours étaient vraiment dangereux .