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Portraits de la société israélienne

Hélène Morlet
19 janvier 2015
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La journaliste suisse Aude Marcovitch a mis à profit ses nombreuses années passées en Israël pour partager dans un livre sa connaissance des Israéliens et de leur société avec ses richesses et ses défis.


C’est un livre court qui en dit long. Avec Israël, les blessures d’un destin, Aude Marcovitch dresse un portrait de la société israélienne d’aujourd’hui. En deux parties, le livre débute par les portraits de 10 Israéliens aux histoires incroyables. La seconde partie retranscrit un entretien avec la sociologue Éva Illouz sur le thème : “L’État juif et démocratique est un mariage difficile”.

Lors d’une présentation de son livre à l’Institut français Romain Gary, l’auteur s’est expliquée sur le choix des personnes : “J’ai retenu des personnages dont les parcours reflètent les tendances fortes que le pays connaît actuellement”. Riches d’expériences étonnantes et très variées, ces citoyens se ressemblent pourtant sur certains points : “Ils ont tous en commun d’avoir vécu, de manière choisie ou subie, un moment de rupture qui les a conduits à prendre un virage inattendu. Ils portent en eux des blessures fécondes.”

Ces portraits lui permettent d’aborder différents aspects de la société : l’armée, la religion, la colonisation, l’entrepreneuriat, la (difficile) intégration des arabes israéliens… On croise le créateur de la clé usb, un arabe israélien emprisonné 24 ans pour activisme armé qui tente maintenant de construire une meilleure société arabe, ou une jeune fille élevée dans un milieu laïc qui embrasse le mode de vie religieux orthodoxe.

Toutes ces histoires de vie sont passionnantes, l’auteur écrit dans un style enlevé, ménage le suspense et nous fait part des coups de théâtre des vies décrites. On remarque l’extrême conscience qu’ils ont d’être le fruit de l’histoire de leurs ancêtres, de leurs combats et de leurs rêves, tout comme ils ont conscience que c’est à eux de construire leurs propres destins.

Une société morcelée

Beaucoup des personnes dépeintes ont rompu avec le parcours classique qu’elles auraient pu avoir : Yehuda Shaul, qui a reçu une éducation juive ultra-orthodoxe et qui a finalement créé l’association Breaking the silence (rompre le silence), dans le but de sensibiliser aux conséquences de l’occupation militaire israélienne en Cisjordanie, en est un exemple. Il s’est créé son propre destin. “Je pense que c’est particulièrement possible dans ce pays parce qu’il est encore en définition, on ne sait pas encore ce qu’il va devenir, ce qui permet aux gens de se choisir des destins différents. Une autre conséquence, c’est que les règles sont peu respectées. C’est à la fois problématique et porteur de créativité.” explique Aude Marcovitch. La question de la concomitance d’une démocratie et d’un État juif se pose de plus en plus. Elle est liée au phénomène récent de judaïsation de la société, qui se manifeste par un retour vers le religieux. Cela crée des scissions, comme le souligne Éva Illouz : “L’unité ne doit pas rester un vœu pieu. Elle doit être fondée sur des vraies structures, des vraies institutions sociales qui rassemblent les gens venant de groupes différents. Or aujourd’hui les institutions tendent à diviser les groupes plus qu’à les rassembler.”. D’après elle, on peut distinguer au moins cinq ruptures : géographique, entre ceux qui habitent dans les territoires palestiniens délimités par la ligne verte, et ceux habitant en Israël ; au sein des citoyens entre juifs et arabes, voire entre juifs et non juifs ; au sein des juifs entre religieux et non religieux ; entre Ashkénazes et Séfarades ; et enfin entre socialisme et capitalisme. Les gens ne se mélangent pas beaucoup. “Ça ne fonctionne pas. C’est une société séparée en de nombreuses factions. Israël m’a permis de comprendre qu’il y a une grande différence entre la société tribale et la société républicaine. En Israël, la société cache une tribalité profonde.”

Lire l’entretien d’Éva Illouz permet de mieux comprendre les défis que les Israéliens en tout genre ont à relever ensemble. La collection dans laquelle est paru cet ouvrage s’appelle L’âme des peuples. Et en effet, grâce aux portraits, qui humanisent un pays dont on n’entend souvent parler qu’à travers le conflit, on apprend à mieux comprendre et connaître l’âme de ce peuple.

“Je n’avais pas assez de place, mais c’est vrai qu’il y a encore plein de portraits à faire !” s’exclame Aude Marcovitch. C’est évident. En refermant ce livre, on perçoit mieux les tendances et réalités, richesses et contradictions de la société israélienne. Mais comme toute société elle a encore de multiples réalités à révéler. Une lecture à ne pas manquer.

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