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Pour ou contre une troisième Intifada ? Les Palestiniens divisés

Mélinée Le Priol
15 octobre 2015
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Le conflit israélo-palestinien oublié des troubles qui secouent le Moyen-Orient s’est brutalement invité aux journaux télévisés. La multiplicité des attentats auxquels répondent autant ou presque d’exécutions sommaires des terroristes et les manifestations dans les Territoires palestiniens font la Une. Tous les Palestiniens soutiennent-ils l’idée et la méthode ? La rue palestinienne est plus nuancée qu’il n’y paraît.


(Ramallah) – Interrogez un Palestinien de Cisjordanie sur les violences meurtrières qui ébranlent, depuis deux semaines, les deux côtés du mur. Si les réponses diffèrent à l’infini, il est possible de dégager quelques tendances.

Première solution : les yeux de votre interlocuteur se mettent à briller et son débit de parole grimpe en flèche, ainsi que son volume en décibels. « C’est la troisième Intifada ! » s’exclame ainsi Zeina Qusini, 16 ans, derrière le poste de télévision qui trône dans son appartement familial de Naplouse. « Et cette fois c’est la bonne, on va gagner, on va libérer la Palestine ! » Si l’adolescente n’est pas encore descendue dans la rue (ses parents ont leurs cinq enfants à l’œil, car ils ne veulent « en perdre aucun »), elle ne cache pas son désir de faire partir du soulèvement. « Moi aussi, je veux attaquer des soldats israéliens en leur jetant des pierres, assure-t-elle. Je veux sortir toute la colère que j’ai en moi. »

Comme les autres membres de sa génération, Zeina n’a vécu ni guerre, ni Intifada : seulement l’occupation israélienne et son lot de frustrations, de démolitions de maisons, d’expropriations de terres et autres violences quotidiennes commises par colons et soldats… « Les jeune sont les premiers à souffrir des humiliations liées à l’occupation, estime le juriste hébronite Anwar Abu Eisheh. Un vieux comme moi, on ne l’embête pas trop au check-point, mais un jeune, il ne coupera jamais aux contrôles d’identité. » Si le but était de tuer en ces jeunes l’espoir ou l’esprit de résistance, le résultat n’a pas été celui escompté : les voilà rêvant de révolution et ne craignant, pour certains, ni la violence ni la mort.

Pour ces jeunes insurgés, Intifada n’est pas un gros mot. Comme les dirigeants du Hamas à Gaza mais contrairement à ceux de l’Autorité palestinienne, ils n’ont pas eu peur de l’employer dès le début des troubles, à partir du 1er octobre. Eveillant les souvenirs des deux précédents soulèvements, en 1987 et en 2000, ce terme semble avoir fait l’objet d’une certaine mythification. « Ces gamins vivent dans le fantasme des deux précédentes Intifadas », avance Fadi Kattan. Ce membre de l’OLP a constaté de nombreuses références à la première dans le soulèvement actuel, notamment dans les codes vestimentaires : un keffieh ou un tee-shirt couvre systématiquement le visage des lanceurs de pierres. « 1987, cela remonte à assez loin dans le temps pour avoir pu accéder au statut de mythe », ajoute-t-il.

Deuxième solution : l’enthousiasme de votre interlocuteur est moins tangible, sa fougue moins évidente, mais il soutient le mouvement de colère actuel. D’un peu plus loin, voilà tout. C’est souvent le fait de Palestiniens plus âgés – la plupart des lanceurs de pierres auraient entre 13 et 20 ans. « Je respecte tous ces gamins descendus dans la rue », avance Mustafa, un étudiant chauve et un peu rond de l’université al-Quds, âgé de 23 ans. « Si j’avais dix ans de moins, je me battrais aussi ! Mais maintenant je manque d’agilité, et je ne suis pas très sportif. »

Quant à Asad, quadragénaire de Ramallah, il participe aux émeutes tous les jours… en tant que spectateur. « Je suis trop vieux pour lancer des pierres, confesse-t-il. Mais même si celles-ci ne feront rien aux soldats israéliens, je comprends la souffrance de ces jeunes. » Même son de cloche chez Bakr, joueur de oud (luth arabe) de 23 ans : « Ce soulèvement ne va pas nous aider, c’est sûr, mais on doit laisser cette colère s’exprimer. »

Troisième solution : votre Palestinien hausse les épaules et pousse un soupir. Pour lui c’est clair, la violence ne résoudra rien. « C’est peut-être une question de génération, avance Anwar Abu Eisheh. Quand j’étais jeune, je ne croyais qu’à la violence révolutionnaire et à la lutte armée, tandis qu’aujourd’hui je suis contre toute forme de violence, quelle qu’elle soit. » Toutes les générations de Palestiniens prôneraient-elles le recours à la violence à un moment, autour de 15 ou 20 ans ? « On dirait bien… », répond distraitement le juriste et président de l’association Hébron-France.

Quatrième solution : le Palestinien que vous avez en face de vous ne se contente pas d’hausser les épaules, il tape du poing sur la table. Non, une nouvelle Intifada ne résoudrait vraiment pas les problèmes des Palestiniens. « Nous ne sommes pas prêts pour ça, insiste Fadi Kattan. On manque d’organisation à l’échelle locale : en 1987, une société alternative avait pu fonctionner pendant tout le temps du soulèvement, assurant les services de santé ou d’éducation, mais ce ne serait pas le cas aujourd’hui. Il nous manque un but clair, aussi : que veut-on, au juste, pour demain ? Et puis, une Intifada ferait une fois de plus de nous des terroristes aux yeux du monde… »

« Ce serait la mort assurée ! » renchérissent certains, redoutant les balles réelles par lesquelles l’armée israélienne réplique aux jets de pierres (elles ont déjà fait une vingtaine de morts depuis début octobre), ainsi que les bombardements et autres destructions massives qu’ont connues la Cisjordanie et Gaza dans le passé. 

Ahmad, architecte de 25 ans, s’apprête à s’envoler pour la France où il finira ses études et cherchera son premier emploi. « Il faut préserver ces vies, les utiliser autrement ! s’exclame-t-il. L’intifada n’est pas le seul moyen de libérer la Palestine. » Ahmad se reconnaît davantage dans une résistance « à l’occidentale » : par l’éducation, la discussion, le partage de connaissances. De toute façon, avant de s’en prendre à l’occupant israélien, les Palestiniens devraient selon le jeune homme commencer par se débarrasser de l’Autorité palestinienne, « responsable de notre déclin ».

Certains Palestiniens disent enfin refuser d’entrer « dans le jeu » d’Israël en lançant une troisième Intifada. « Israël ne cesse d’instrumentaliser les lieux saints de Jérusalem », assure Mustafa, quadragénaire chercheur en urbanisme, très attaché à la laïcité de son pays. « Il cherche à conduire les Palestiniens dans le carré religieux pour s’attirer les sympathies des pays occidentaux, effrayés par l’islam. » « Puisqu’une nouvelle révolte palestinienne arrangerait Israël, ajoute Fadi Kattan, pourquoi la lui donner ? »