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En Grèce, un franciscain anglais auprès des réfugiés syriens débarqués de Turquie

Marie-Armelle Beaulieu
19 novembre 2015
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Plus visibles dans les lieux saints, les Franciscains n'en sont pas moins actifs sur le terrain, au service des communautées locales. Ainsi Frère John Luke Gregory, sur l'île grecque de Rhodes.


Plus visibles dans les lieux saints, les Franciscains n’en sont pas moins actifs sur le terrain, au service des communautés locales. Ainsi Frère John Luke Gregory. C’est au téléphone que nous l’avons joint. Car pour le rencontrer il faudrait se rendre sur l’île grecque de Rhodes. À moins qu’il ne soit en visite à Kos. C’est entre ces deux îles grecques que frère John Luke, depuis 11 ans, est en service pour la Custodie de Terre Sainte. Ces derniers mois, son quotidien, après la gestion de la crise économique grecque, a une nouvelle priorité : les réfugiés qui affluent en bateau sur les îles en provenance de Turquie.

Le Dodécanèse, les îles de la mer Egée, des destinations vacances pour de nombreux touristes. Ces paysages splendides sont le quotidien du Frère John Luke Gregory. Il y est le représentant sur place de la Custodie de Terre Sainte et aussi de l’Église catholique de rite romain.

Rhodes se situant à 17 kilomètres des côtes turques et Kos à 4 km, frère Jean Luke explique que les îles ont régulièrement vu débarquer des réfugiés “mais depuis les mois de mai et juin dernier, ils arrivent en grand nombre”, précise-t-il sans pourtant pouvoir donner de chiffre. “Les autorités locales n’en communiquent pas, et je n’en ai aucune idée.”

Le Haut-commissariat de l’Onu pour les réfugiés faisait état le 2 novembre 2015 d’un chiffre record pour le mois d’octobre, avec 218 000 migrants ayant traversé la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Le porte-parole, Adrian Edwards, précisait que la très grande majorité – 210 000 – étaient arrivés en Grèce, principalement sur l’île de Lesbos (à dix kilomètres des côtes turques, plus au nord).

Mais pour ces réfugiés, les îles ne sont qu’un marchepied vers l’Europe. Une fois débarqués, ils se font enregistrer, puis cherchent à gagner le continent. “La Grèce n’est pour eux qu’un pays de transit. Ils ne cherchent pas à y rester. Ils savent que la situation économique y est mauvaise. Les pays qu’ils cherchent à rejoindre sont prioritairement l’Allemagne ou l’Autriche, l’Angleterre, voire la France.” “La majorité, poursuit frère John Luke, sont Syriens, Afghans ou Irakiens. Beaucoup de femmes avec des enfants en bas âge et beaucoup de jeunes gens, énormément de jeunes gens.”

Des conditions précaires

Chaque jour, dès qu’il trouve un moment libre, frère John Luke se rend au “centre d’accueil”de l’île de Rhodes. Une fois par semaine, il se rend à celui de Kos qui est à trois heures de bateau. “Centre d’accueil”, un bien grand mot. Il s’agit en fait d’une grande bâtisse mise à disposition par les autorités de l’île, mais qui n’offre pas les conditions d’accueil nécessaires pour un tel afflux. “Au moins ont-ils un toit, mais les conditions de vie y sont très précaires, très très élémentaires.” ajoute, désolé, le religieux.

Leur séjour sur l’île dure de quelques jours à quelques semaines tout au plus. Quand ils arrivent, frère John se démultiplie pour leur apporter un peu de réconfort et quelques provisions. “Il faut dire, explique-t-il, que malgré la situation économique ici, les habitants de l’île ont été très généreux. Ils se sont organisés. La Caritas-Athènes fait beaucoup. Les hôtels fournissent des repas”.

Pour sa part, frère John Luke a deux préoccupations la dignité humaine et le sourire des enfants. Pour le premier, il fait tout son possible pour fournir aux réfugiés des produits d’hygiène élémentaires : savon, dentifrice, shampoing et des vêtements propres. Quant aux enfants, il leur apporte des friandises et des joujoux, de petits jouets. “Ces enfants sont ballottés depuis des semaines, ils ne comprennent pas forcément tout ce qui arrive, et ils ont besoin de souffler au cœur de cette détresse.” Alors frère John Luke se penche vers eux tout sourire, il leur offre ce qu’il a apporté et s’enquiert de leurs nouvelles. Mais en quelle langue leur parlez-vous ? “En arabe bien sûr !”

On imagine la surprise des réfugiés accueillis en Grèce par un franciscain anglais qui s’adresse à eux en arabe. “Ça fait beaucoup rire les enfants que je leur parle en arabe car j’ai pour eux un drôle d’accent !” Et c’est vrai que quelle que soit la langue qu’il parle – le plus souvent très bien et il en parle 7 en plus de l’anglais – frère John Luke ne se départit pas de son accent délicieusement “british”.

Et quelle est la réaction des adultes ? “Ça leur fait du bien de pouvoir parler dans leur langue. En fait je constate qu’ils sont assez peu nombreux à parler plus que quelques mots d’anglais ou de français. Mais dès qu’ils peuvent parler, ils racontent ce qu’ils ont fui : la guerre, les bombardements, la peur, les écoles fermées, la peur de Daesh (l’État islamique). Ils disent que les membres de Daesh pour la plupart ne sont pas des Syriens, ce sont des mercenaires venus de l’étranger et ils sont sans pitié pour les Syriens, il n’y a pas moyen de parlementer.”

Ils racontent aussi le passage en bateau, 40 personnes entassées sur un canot prévu pour 17. “Ce sont les trafiquants qui obligent à cela. Beaucoup font naufrage. Même en été ici, la mer peut être agitée et nous avons des courants très forts entre le continent et ici ou Kos. C’est très dangereux”.

Cet été, frère John Luke avait mis les touristes à contribution. A toutes les messes, il faisait appel à leur générosité pour laisser qui des produits hygiéniques qui de l’argent. “Et ils ont été très généreux, je dois dire.” Quand on demande au frère John Luke si on peut lui faire des dons sur un compte en banque, il répond “Surtout pas. Avec la crise économique grecque, l’argent est taxé forte ment. Et je ne peux pas retirer plus de 420 euros par semaine. Avec cette somme je dois administrer deux couvents et cinq églises.”

Le mieux c’est de faire parvenir des colis jusqu’ici, “de l’argent liquide ce serait idéal, mais comment ?”. Cela permettrait à frère John Luke d’acheter en fonction des besoins. “À chaque fois que je me rends au centre, je regarde qui est là, si ce sont plutôt des hommes ou des femmes avec enfants, je m’enquiers des besoins et j’ajuste ce que je dois apporter la fois suivante. À cette époque, il va falloir commencer à songer à fournir des vêtements. À la fois, tempère-t-il, les réfugiés ne désirent pas se charger de trop. La route est encore longue pour eux, et ils préfèrent voyager léger. Mais l’hiver arrive et je ne sais pas comment la situation va évoluer.”

Frère John Luke pense que les mois de novembre et décembre devraient voir diminuer le nombre des candidats à la traversée. “La mer est vraiment mauvaise l’hiver.” Mais il précise : “La dernière fois que je me suis rendu à Kos, il y avait bien 2000 réfugiés. 2000…”, répète-t-il abasourdi par l’ampleur. “Mais les réfugiés m’ont dit : de l’autre côté, ce sont 2 millions qui espèrent passer.”

Une marée humaine

A Kos, frère John Luke se fait seconder par une paroissienne Philippine, Mélanie. Elle réceptionne tous les jours les produits envoyés par la Caritas-Athènes et les livre au centre d’accueil. Parfois lui-même reste sur la plus petite des deux îles deux ou trois jours, en fonction de la situation. “Sur les deux îles, les habitants ont fait de leur mieux. Ils ont déjà été lourdement frappés par la crise économique et le tourisme ici ne tourne que 6 mois par an. Ils ont été très généreux, mais ils ne cachent plus leur peur de voir cet afflux nuire au tourisme. Les réfugiés sont si nombreux, qu’on ne peut pas juste les parquer. Ils sont partout. On ne peut plus se promener le long du port, tous les quais sont bondés de réfugiés qui attendent les navires pour le continent. Ils ont peur que cette présence rebute les touristes.”

Le flux des réfugiés pour l’instant continue et inquiète le franciscain. “Cet été, les touristes ont été généreux, mais la période estivale est terminée. Heureusement, j’ai eu des articles dans quelques journaux anglais et des colis me sont parvenus d’Angleterre et de Suède. Il faut se tenir prêt à toute éventualité.”

Quand il n’est pas avec les réfugiés, ou à se donner à telle ou telle des activités paroissiales nombreuses et variés qu’il a mises en place, frère John Luke s’affaire au jardin et avec sa basse-cour. “Depuis la crise, il a fallu s’organiser. Alors dans la cour du couvent, j’ai des poules qui nous donnent des œufs et le jardin est dorénavant transformé en potager.” S’il n’y avait le sort des réfugiés, ce serait la joie parfaite pour frère John Luke : “Cette simplification de la vie convient si bien à un franciscain ! C’est aussi un témoignage de vie pour les hôtels de luxe qui nous entourent, n’est-ce pas ?”

Son humour et son esprit franciscain ne parviennent pourtant pas à cacher l’inquiétude de frère John Luke devant cet océan de misère qui déferle sur les côtes grecques. Une misère qu’il essaie de soulager, de son mieux, pour quelques heures, pour quelques jours parce que l’amour du Christ le presse.

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