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Sur la route des Balkans : récits de Eidomeni à la frontière gréco-macédonienne

Anna Clementi
20 janvier 2016
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Nous sommes sur l'un de ces passages étroits de la route des Balkans où les polices européennes contrôlent le flux de réfugiés en provenance du sud de la Méditerranée vers l'Europe du Nord. Depuis Eidomeni transitent facilement désormais des Syriens, des Irakiens et des Afghans. Les autres, s’ils sont capturés, sont renvoyés dans leur pays d'origine.


Le policier se saisit du document, il le lit attentivement, consulte un de ses collègues, puis secoue la tête et bloque le passage. Ahmed tente de traverser la frontière, en vain. Il vient d’être arrêté. Il se met à genoux, pleure et implore sous le regard détaché de la police des frontières. Il reste immobile, ses yeux fixés sur cette terre qui lui est interdite, au-delà des barbelés. Il tend les mains vers le ciel, il prie.

Depuis qu’il a fait son premier voyage en mer, Ahmed a perdu la parole. Mais à travers ses gestes, il crie la douleur et le désespoir qui sont en train de le lacérer. Il a décidé de fuir son pays, la Libye, pour éviter le même sort de son frère, brutalement décapité par les hommes de l’État islamique. Initialement, il voulait rejoindre l’Italie par la mer mais, suite à un naufrage duquel il a miraculeusement survécu, a décidé de tenter de regagner l’Allemagne via la route des Balkans, qui a été la principale porte d’entrée vers l’Europe pour des centaines de milliers de migrants au cours des derniers mois. Turquie et Grèce pour débuter le voyage, puis la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Slovénie et enfin l’Autriche.

Mais, à Eidomeni, le rêve Ahmed a été pris au piège dans les barbelés qui se tordent le long de la frontière gréco-macédonienne ; ses espoirs ont été bafoués et brisés par le ‘non’ sec d’un policier de frontière qui l’a empêché de pénétrer en Macédoine seulement parce qu’il était de nationalité libyenne.

Telle est la nouvelle politique de refus de l’Union européenne qui, en Macédoine et en Serbie, a commencé à prendre effet à partir du 18 novembre 2015. Seuls les S.I.A. (Syriens, Irakiens et Afghans) en possession d’un document délivré par les autorités grecques et qui attestent de leur nationalité peuvent traverser. Les non S.I.A. (qui sont Marocains, Pakistanais, Iraniens, Somaliens ou Libyens) sont arrêtés, rejetés, chargés dans des bus et transférés immédiatement à Athènes. Pour eux, le voyage se termine ainsi. En violation de l’article 3 de la Convention de Genève (Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine), c’est la police des frontières qui décide de leur droit d’asile – droit individuel de chaque citoyen – et ouvre ou ferme la frontière en fonction des nationalités mentionnées sur les documents.

Eidomeni est un symbole de cette tragédie humanitaire et politique. Ville grecque qui marque le début de la route des Balkans près de la frontière macédonienne, elle était jusqu’en novembre un véritable camp mis en place pour les migrants en transit. Aujourd’hui, afin d’éviter des épisodes de violence commis par des réfugiés déboutés, elle a été volontairement transformée par le gouvernement grec en un simple « poste-étape » pour les réfugiés de la route des Balkans. Une tente pour les soins médicaux confié à l’ONG française Médecins du Monde, un point pour se restaurer de l’organisation Praksis, enfin une tente géré par des bénévoles indépendants où sont distribués des vêtements, tel est le visage d’Eidomeni.

Chaque jour des milliers de personnes descendent des autobus en provenance d’Athènes après un voyage qui a pu durer jusqu’à 24 heures et se dirigent d’un pas pressé vers la frontière macédonienne. Ce sont des hommes, des femmes, des jeunes mères, des personnes âgées, mais aussi des enfants de tous âges. Une centaine de mètres à pied sur une route poussiéreuse à côté de la voie ferrée, juste le temps de boire un peu d’eau, manger un paquet de biscuits, enfiler un chapeau et une paire de gants pour affronter le froid de l’hiver et puis, de nouveau, un énième champ vers une autre frontière.

C’est un flux continu de vies humaines en fuite d’un douloureux passé et à la recherche d’un avenir décent pour eux-mêmes et leurs enfants.

Selon les données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pendant toute la période de l’année 2015, le nombre d’arrivées à travers la Méditerranée a été de plus d’un million de personnes (dont plus de 3700 morts/disparus en mer), dont 850 000 ont débarqué en Grèce et environ 150 000 en Italie. En décembre 2015 a été établie une moyenne de plus de deux mille personnes transitant chaque jour sur l’un des pays de la route des Balkans (Macédoine, Serbie, Croatie et Slovénie) et l’on prévoit que ce flux se maintiendra au moins pendant l’hiver.

Les plus «chanceux», que l’Europe a décidé de reconnaître comme réfugiés, ont pu traverser. Pour tous les autres, pour tous les Ahmed, à Eidomeni et en Europe, il n’y a pas de place. Il y a ceux qui sont rejetés au passage des frontières, ceux qui sont pris dans la nuit tout en essayant de traverser la frontière dans les bois, ceux qui sont arrêtés par la police alors qu’ils cheminent en territoire macédonien dans l’espoir de parvenir à la Serbie.

Nous les voyons passer en groupe, marchant dans la direction opposée au flux principal, escortés par la police, les yeux baissés et le visage ridé, conscients du sort qui les attend.

Un officier de police s’approche d’Ahmed et lui demande de se lever. Il est emmené alors, vers les bus, en direction d’Athènes, de nouveau. Pour lui, le voyage vers l’Allemagne sera encore long.

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