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De Tel Aviv à Berlin retour vers le futur

Hélène Morlet
17 mars 2016
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De Tel Aviv à Berlin retour vers le futur
Restaurant Le Kibbuz, ou la cuisine israélienne au coeur de Berlin © Chen Leopold/flash90

Mi mars 2016, la presse israélienne en fait une victoire. Le concept innovant de la chaine de restaurants israélienne Benedict s'installe à Berlin. Il y a un à peine pourtant le débat sur l'installation d'Israéliens dans la capitale allemande était houleux. Mais en fait la question continue de se poser: être ou ne pas être israélien à Berlin.


Les médias locaux l’annoncent avec satisfaction. Les restaurants israéliens Benedict s’installeront à Berlin en juin prochain. L’année dernière pourtant  le débat sur l’installation d’Israéliens dans la capitale allemande était houleux. L’affaire « Milky », du nom d’une marque de yaourt très appréciés en Israël date de fin 2014. A l’époque, un Israélien vivant à Berlin poste sur Facebook une photo de ces fameux yaourts vendus trois fois moins cher, encourageant ses compatriotes à émigrer (voir notre article Quand des israéliens appellent à quitter l’Etat Hébreu pour Berlin). Les réactions qui s’en suivirent montrent que cette rupture avec le fondement sioniste qui veut que tout juif vive en terre d’Israël pose question et ne va pas de soi. Plus d’un an après, les sociologues commencent à se pencher sur l’installation d’Israéliens à Berlin. Ce phénomène date d’une dizaine d’années et est en contradiction totale avec ce qu’écrivait la commission politique du Congrès juif mondial en 1948. Elle avait alors adopté une résolution qui soutenait « la détermination du peuple juif à ne plus jamais s’établir sur le sol ensanglanté de l’Allemagne ».

Le nombre des départs pour Berlin a connu un pic après les contestations sociales de 2011 en Israël. S’il s’est depuis ralenti, il demeure constant. La communauté israélienne berlinoise serait de 20 à 30 000 personnes. Sur place, on constate la naissance d’une culture juive israélienne sabra. Très active sur les réseaux sociaux et sur internet, elle se développe aussi à travers un magazine en hébreu, des jardins d’enfants, des bars et restaurants tenus par des Israéliens où l’on sert du houmous « comme au pays », une bibliothèque en hébreu… L’association Habait a été créée également par une Israélienne désireuse de faciliter les rencontres entre les gens et les cultures allemandes et israéliennes.

Mais quel est le profil de ces « yordim » de Berlin, ces Israéliens qui quittent la terre revendiquée par le peuple juif? Etant donné la nouveauté du phénomène peu d’études ont encore été faites. La Fondation germano-israélienne pour la recherche scientifique et le développement ainsi que la sociologue Karine Lamarche, chargée de recherche pour le CNRS, s’y sont attelés. Cette dernière a passé un mois là-bas pour effectuer des entretiens sociologiques auprès de cette population. « Ils ont entre 25 et 40 ans, et viennent plutôt seuls ou en couples mais pas en famille. Ils sont en majorité ashkénazes, souvent avec des racines en Allemagne, et la religion occupe une très faible place dans leur vie. Ils sont principalement issus des filières artistiques ou des sciences humaines et sociales. Les homosexuels y sont plus représentés que sur la population totale israélienne, et la majorité de ces migrants viennent de Tel Aviv. »

Les raisons du départ sont toujours plurielles, plus ou moins affirmées dans les entretiens. Dans les médias et les recherches faites sur les motifs qui poussent des Israéliens à quitter leur pays, les considérations d’ordre économique sont mises en avant. Les discours officiels, explique Karine Lamarche, affirment que les yordim partent de façon temporaire pour des raisons matérielles, mais qu’ils sont très attachés à Israël et souhaitent y rentrer un jour. La réalité berlinoise est légèrement différente puisque les raisons économiques sont souvent couplées à une critique à l’égard de la politique israélienne. « Dans les entretiens, ils expriment la sensation qu’il est impossible de faire changer les choses, qu’ils ne se reconnaissent plus dans l’Etat d’Israël actuel. Le conflit, l’occupation, les relations avec les pays voisins de l’Etat juif sont aussi évoqués. Ces Israéliens de Berlin sont en général plus à gauche que la population israélienne », souligne encore Karine Lamarche, lors d’une conférence donnée au Centre de recherche français de Jérusalem.

Le choix de Berlin est lié à sa qualité de ville cosmopolite, tolérante, créative et aux prix abordables. Les études y sont gratuites, les opportunités sont nombreuses pour les artistes et le modèle social est favorable aux jeunes parents. De plus, les relations avec la famille restée en Israël  sont facilitées par la proximité géographique. Les israéliens installés à Berlin ont souvent un passeport européen ou allemand leur permettant d’y séjourner sans problèmes de visa. S’ils y sont venus pour un temps limité, il finissent par y rester après quelques années.

Descendants de survivants de la Shoah, ils font partie de la troisième génération, et se sentent plus libres par rapport à ce lourd héritage. S’ils ne se rendent pas à Berlin pour renouer avec leur passé, nombreux sont ceux qui réalisent que cela les « reconnecte à leur histoire familiale » et libère une parole de la part des parents ou grands-parents. Le fait d’être loin de l’Etat juif et en minorité les interroge également sur leur judaïté, dans un contexte où ils ne ressentent pas d’antisémitisme.

Cette population engagée dans la yerida (descente, départ) est presque aussi accompagnée que celle engagée dans l’aliya (montée vers Israël). Pour elle, le Ministère de l’aliya et de l’intégration met à disposition des Maisons d’Israël, en collaboration avec les consulats et ambassades d’Israël du monde entier. Ces structures d’accueil et de rencontre proposent conseil, orientation et accompagnement aux Israéliens qui aspirent à rentrer dans leur pays, « à la maison » (cf. vidéo Les « Maisons d’Israël », foyers d’accueil à l’étranger ).

Etre ou ne pas être Israélien à Berlin, la question reste ouverte.