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Le patriarche Raï à Riyad : une visite hautement symbolique

Christophe Lafontaine
16 novembre 2017
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Le patriarche Raï à Riyad : une visite hautement symbolique
En Arabie saoudite, le patriarche maronite a été reçu par le roi Salmane le 14 novembre 2017. Inédit. (Photo © Patriarcat Maronite, Bkerké)

Désireux de promouvoir le dialogue interreligieux, le patriarche maronite a profité de sa venue en Arabie saoudite pour rencontrer le premier ministre libanais démissionnaire. Retour sur une visite triplement historique.


Un séjour court de 24 h. Mais qui restera dans les annales. Le patriarche maronite, le cardinal Bechara Raï s’est rendu à Riyad sur invitation du pouvoir saoudien les 13 et 14 novembre 2017. Sa visite est très importante à trois niveaux.

Premièrement, elle intervient dans un contexte local et régional épineux et particulièrement trouble au moment où l’Arabie saoudite met la pression sur le Liban pour tenter d’isoler le Hezbollah, mouvement politique pro-iranien membre du gouvernement libanais. La tension ne cesse de monter entre Ryad et Téhéran : les deux grands rivaux régionaux soutiennent notamment des parties adverses dans les conflits en Syrie et au Yémen. Le chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson a mis en garde la semaine dernière contre toute utilisation du Liban « comme théâtre de conflits par procuration. »

Deuxièmement, le patriarche Bechara Raï a été le premier responsable libanais officiel à foulé le sol saoudien depuis l’annonce tonitruante de la démission du Premier ministre libanais, le 4 novembre dernier, depuis Riyad. Saad Hariri, musulman sunnite qui dispose de la nationalité libanaise et saoudienne, et soutenu par le régime saoudien, a vivement critiqué (sous contrainte de l’Arabie Saoudite ?) l’influence grandissante du Hezbollah chiite dans le monde arabe. Saad Hariri se trouve toujours en Arabie saoudite, disant craindre une tentative d’assassinat dans son pays. Mardi 14 novembre, le chef de l’Eglise maronite a pu s’entretenir à huis clos avec lui et a déclaré par la suite à la presse être « convaincu par les raisons de sa démission.» « Il reviendra au Liban dès que possible », a-t-il ajouté. Alors que Saad Hariri a encore annoncé, hier, dans un tweet, « revenir très bientôt dans son cher Liban », le président libanais, Michel Aoun, et la majorité de la classe politique libanaise le considèrent comme « détenu » en Arabie saoudite. Pour l’heure, Saad Hariri « a accepté l’invitation » du président français Emmanuel Macron à se rendre en France, mais la date de sa venue lui appartient, a déclaré jeudi à Riyad le chef de la diplomatie française.

Arabie saoudite : une grande première dans le dialogue interreligieux

Troisièmement et ce point n’est pas des moindres, il s’agit de la toute première visite d’un haut chef religieux catholique au royaume wahhabite. Cette visite avait été préparée avant l’affaire Hariri. Dans le passé, le seul dignitaire chrétien à s’être rendu en Arabie saoudite fut le patriarche d’Antioche Elias IV qui était grec-orthodoxe. « Les relations entre l’Arabie saoudite et le patriarcat maronite remontent à très loin, comme en attestent les correspondances entre les patriarches Arida, Boulos Méouchy, Antonios Khoreiche et Nasrallah Sfeir et les monarques du royaume. Aujourd’hui, elles se concrétisent par cette visite », a lancé le chef de l’Eglise maronite, comme le rapporte L’Orient-Le jour. Le quotidien libanais rappelle que le prélat a aussi plaidé vigoureusement en faveur de la convivialité islamo-chrétienne, après avoir mentionné les paroles du pape Saint Jean-Paul II pour qui « le Liban, un petit pays, est porteur d’un grand message. »

Ainsi, la visite du Cardinal Bechara Raï aura marqué un rare moment d’échange interreligieux dans le royaume saoudien, qui suit pourtant une interprétation ultraconservatrice de l’islam, hostile aux autres religions et qui abrite les lieux les plus saints de l’islam, La Mecque et Médine. Dans le berceau de l’islam, la construction d’églises et l’importation d’accessoires liturgiques, notamment la Bible, y sont interdits. Les expressions et manifestations religieuses non musulmanes ne sont pas autorisées en public. Cette situation explique que le Vatican n’ait toujours pas de relations diplomatiques avec Riyad. Alors que le pays compte 1,5 million de chrétiens parmi ses travailleurs immigrés (des Philippins principalement, mais aussi des Indiens, des Libanais, des Egyptiens, etc.), soit 4,4 % de la population totale.

Le patriarche a d’abord rencontré, lundi 13 novembre au soir, la communauté libanaise de Riyad à l’ambassade du Liban. « Nous allons maintenir une amitié forte entre l’Arabie saoudite et le Liban », a-t-il déclaré dans une allocution prononcée à cette occasion, indique L’Orient-Le jour. Le patriarche maronite a aussi rendu un vibrant hommage au roi Salmane ben Abdelaziz al Saoud, ainsi qu’au prince héritier Mohammad ben Salmane pour l’attention qu’ils portent aux Libanais installés dans le royaume.

Le patriarche de l’Eglise maronite a rencontré ensuite le roi Salmane mardi 14 novembre répondant à l’invitation inédite du monarque et de la figure montante du royaume, le prince héritier Mohammed ben Salmane. Selon l’agence officielle saoudienne SPA, le patriarche et le roi ont « évoqué les relations fraternelles entre le royaume et le Liban et confirmé l’importance du rôle des différentes religions et cultures pour promouvoir la tolérance et renoncer à la violence. »

Fruit de cette rencontre, la monarchie saoudienne pourrait autoriser l’ouverture d’un « Centre international permanent pour le dialogue interreligieux », a avancé Fides le 15 novembre 2017.  Ce centre, explique l’agence de presse vaticane d’après des sources libanaises qui n’ont pas encore rencontré de confirmation officielle – « pourrait être accueilli sur le site d’une antique église vieille de 900 ans et reportée à la lumière, laquelle serait restaurée de fonds en comble dans ce but. » Radio Vatican rappelle qu’un un comité permanent mixte « du même type que ce centre interreligieux » avait déjà été évoqué au Vatican lors de la rencontre informelle de Mohammed al-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, avec le Pape François, le 20 septembre dernier.